samedi 29 septembre 2018

Journal de Vay Matagi, pages 21 à 40


Le doute, il n'y a rien de pire que le doute. Il vous sert la tête, il vous griffe la tête, il vous chauffe le cœur, il vous éclate l'esprit en fragments qui ne peuvent plus s'imbriquer. Là, je suis assis sur ma chaise et je doute. Pour la première fois depuis longtemps je ne sais pas quoi faire. 

Je n'ai jamais vu le petit, c'est un étranger pour moi. Elle m'a même dit son nom, mais j'ai refusé de m'en rappeler parce que je savais, je Savais, que ça me rendrait la décision plus difficile. Mais même si je ne l'ai jamais vu, c'est quand même mon neveu. C'est le fils de Talanaïa.

Le doute, la colère, la sensation de sans issue, quoi que je fasse, quoique je décide je sais que je vais le regretter. La nuit me portera conseil, je l'espère. 


Entrée du 18/10/2557

Comme je le craignais, les changements dans l'océan commencent à devenir réels. J'ai vu un nouveau type de poisson, mais je ne sais même pas si c'est un poisson. L'image donnée par le son n'est pas comparable à un poisson. Ces choses commencent à nous ressembler avec des membres de plus en plus définis, et leur peu n'est pas fait d'écailles, mais de quelque chose d'autre. J'ai essayé de partager ma découverte avec les autres pêcheurs et c'est unanime, ces trucs ont été aperçus partout. Et le pire c'est qu'ils ont déjà mangé plusieurs d'entre nous. Je ne sais pas comment ces villages vont faire pour se nourrir, mais c'est une très mauvaise nouvelle. 

Cette découverte m'a confirmé dans ma position. Je sais que le petit est l'unique fils de ma "soeur", et elle m'en voudra toute la vie pour ça. Je suis prêt à l'assumer. 

Lilico n'aura pas besoin d'un pêcheur pour survivre, plus maintenant. Ce dont Lilico aura besoin c'est de quelqu'un qui puisse me surpasser moi, Matagi. Et si je ne trouve pas cette personne, alors nous sommes fichus. J'arrive à l'âge où je ne pourrais pas faire face à l'océan, je serai une viande comme une autre dans les abysses. Je le sais, et c'est comme ça. Je ne vois pas finir comme Valati au milieu de Lilicons, pas après que j'aurai condamné leurs enfants. Je pêcherai jusqu'à mon dernier souffle, même sans le vêtement des anciens s'il le faut. 

J'emporterai mes doutes et ma culpabilité avec moi, mais je laisserai un héritage dont je pourrais être fier. Et si aucun jeune ne survit, si personne ne peut supporter le poids de ma lance, eh bien... Lilico sera de l'histoire ancienne. Elle sera de l'histoire ancienne aussi si un incompétent prend ma place. Les ressources sont limitées, la tour ne peut offrir son aide qu'à un seul pêcheur... Dans ma tête c'est clair, mais le doute. Malgré ma conviction, le doute me hante encore et c'est mauvais. Si j'ai décidé, en âme et conscience. Si je sais que c'est le bon choix, je ne dois ni douter ni m'excuser. Mais ça c'est ce que ma tête me dit, mon cœur lui n'en est pas si sur. 

Entrée du 25/10/2557

J'ai commencé la préparation des épreuves. Je dois penser à tous les moyens possibles de limiter les pertes. J'avais pensé à ramener un poisson à l'intérieur de la mer de corail et laisser des objets que les jeunes doivent retrouver. Je réfléchis encore à quel poisson choisir ou si je ne vais pas changer l'épreuve. 

Ce que je veux ce n'est pas quelqu'un qui ne connait pas la peur comme moi, Matagi. Ce que je cherche c'est quelqu'un qui ait le courage de replonger à chaque fois que nécessaire dans cet océan pourri. Mais ce type de courage à lui seul n'est pas suffisant, il me faut aussi quelqu'un avec du talent. Quelqu'un qui puisse utiliser ce que je vais lui apprendre. Mais quel jeune Lilicon a ces capacités. J'ai encore 4 mois pour tout préparer correctement. 

Le maire compte tenir une réunion communautaire pour préparer les parents au fait qu'ils risquent de perdre leur enfant. Et il m'a demandé de venir leur parler... Ça ne me parait pas déraisonnable, même si je sais d'avance comment ça va se passer. Ils vont me demander de penser à une autre solution, ils vont me dire que je suis un monstre, mais ce n'est pas déraisonnable. Non, ce n'est pas déraisonnable. 

Je vais y aller le plus tôt possible comme ça s’est fait et je pourrai me concentrer sur les choses importantes. Idéalement, j'aimerais rencontrer chacun des 12 choisis pour les connaitre un peu mieux et faire des épreuves différentes pour chacun. Mais je ne vais pas me mentir, c'est trop compliqué, je n'ai pas le temps et je ne sais pas si c'est utile. C'est une idée intéressante, mais c'est trop contraignant. Déjà à cause de ces nouvelles saloperies... Hmm il faudrait que je trouve comme les appeler. À cause de ces trucs, je dois redoubler de prudence par sécurité, ce qui me prend beaucoup plus de temps pour pêcher. Meh... Tout le monde pareil ce n'est pas mal n'est plus.

Entrée du 30/10/2557

J'ai vu quelque chose d'incroyable. Ces machins, ces nouveaux trucs, ils sont intelligents. Si ce n'est pas le cas, alors je ne sais pas ce que j'ai vu. Et ce que j'ai vu c'est qu'un de ces machins a utilisé un piège pour capturer un poisson. Au cours de toutes mes années de pêche, je n'ai jamais rien vu de tel. Oui, il y a des poissons qui utilisent des parties de leur corps comme leurre, mais aucun n'utilise un piège construit. 

Oui je sais, même là en m'écoutant j'ai l'impression que mon esprit a été volé par l'océan. Mais ces choses, ces choses sont intelligentes et je vais devoir le tester moi-même. 

Hahaha, j'avoue que je suis un petit peu inquiet, mais Matagi n'a peur de rien, Matagi triomphera. Je n'ai pas d'autres choix de toute façon. Peut-être attendre après la sélection ? Mais en quatre mois beaucoup de choses peuvent changer dans l'océan. Oh dieux, qu'est-ce que vous avez encore fabriqué dans votre colère contre nous ?

Entrée du 15/11/2557

J'ai commencé à observer la nouvelle chose, mais je devrai dire Les choses, de plus près. D'aussi près que je peux. Elles sont au nombre de trois, et se sont installées dans mes eaux en détraquant l'ordre établi. La plus petite mesure près de 20 mètres et le plus grand doit être à 25 mètres de la tête au bout de la queue avec des mains anormalement longues et une tête qui ressemble à la nôtre, mais sans le nez, les lèvres et les yeux, il y a des creux à la place. Elles sont intelligentes et savent comment utiliser des outils. J'en ai vu une embrocher un poisson avec une pierre en forme de lance. Elles sont également d'une extrême férocité et ont un très gros appétit ce qui est normal au vu de leur taille. 

Je me suis donné pour mission d'en savoir plus. Il est inévitable que nos chemins finissent par se croiser. Même si je ne suis qu'une bouchée, une bouchée c'est mieux que d'avoir le ventre creux. Leur attention peut se tourner sur Lilico. Je ne peux pas ignorer cette possibilité. Possibilité que moi, Matagi, a peut-être précipitée. 

Je n'ai jamais été en position où je devais me soucier d'être étudié aussi. Les poissons sont mortellement dangereux, mais il n'y a aucune trace de réflexion, de planification dans leur esprit. Je ne pouvais pas imaginer que pendant j'étudiais ces choses, elles savaient que j'étais là. Qui aurait pu y en penser ? Je fais quoi 1m86 à tout casser ? Pourquoi ? Pourquoi ils prendraient même la peine de me remarquer ? 

Sauf si, pendant que je chassais. Moi, Matagi, petit homme, j'arrivais à leur voler leur proie. Là, oui là, je commence à être intéressant pour eux. Je ne vois pas d'autres explications et ça me rend nerveux. Pendant que je pêche, tapie dans l'obscurité une de ces choses, ou même toutes, me regardent, m'étudient parce qu'elles me voient comme un rival, une menace. Ha ! Et elles raisons de me voir moi, Matagi, comme une menace. 

Il y a deux jours de ça, alors que je me dirigeais vers Ma'atua pour récolter des pierres de Dao, j'ai vu la plus petite avec un poisson entre les mains. Elle devait être à quoi 800 mètres environ ? Elle était assise sur une falaise et mangeait comme un glouton. Et elle a tourné la tête dans ma direction. Cette chose m'a remarqué à près de 800 mètres sans utiliser les merveilles de la tour, puis elle est partie dans l'autre direction. Du moins c'est ce que je pensais. 

A plusieurs reprises je l'ai vu apparaître à nouveau, et quand je me retournai elle s'enfuyait. Et cela s'est répété à plusieurs reprises et elle restait de moins en moins dans mon champ de détection. Prenez-moi pour un fou si vous voulez, mais j'ai l'impression qu'elle vérifiait jusqu'à quel point elle pouvait m'approcher sans que je le remarque, et mon comportement l'y a aidé. Si seulement je l'avais ignoré, que je n'avais pas donné des indications... Mais j'y ai pensé trop tard. Prenez-moi pour un fou si vous voulez, mais je pense que ces choses veulent me tendre un piège. Mais moi, Matagi, ne suit ni fou, ni stupide. On verra bien, qui pêchera qui !! Trois contre un, moi Matagi, relève ce défi !!

Entrée du 26/11/2557

La date pour les épreuves a été finalement fixée, ce sera le 17/03/2558, après la fête de La'eso. Comme ça les jeunes auront l'occasion de devenir des adultes et de se faire de bons souvenirs. Je pense que ce serait du temps perdu, mais je peux comprendre. Avoir de bons souvenirs c’est important.

J’ai aussi été surpris par le fait que tout le monde m’a écouté. Les jeunes étaient présents aussi. Je leur ai expliqué ce que j’attendais d’eux et ils ont compris, je crois. Ça a été difficile de leur dire que certains d’entre eux allaient être blessés, ou pire. Beaucoup d’entre eux d’ailleurs allaient être pires que blessés. Il y a eu beaucoup de peur et de colère, mais je m’attendais à plus que ça. Au final ils m’ont demandé d’attendre deux jours après la fête de La’eso. C’est une bonne surprise, j’imagine.

Et puis ça me laisse le temps de m'occuper de quelque chose de mon côté. D'ici cette date, je dois me débarrasser des nouvelles créatures. La plus petite commence à être particulièrement dérangeante. Je l'ai appelée Kellu.

 Ce truc me cherche, il me traque...  ET ça ne peut pas continuer comme ça. Soit, je m’habitue à sa présence et je l'ignore pour pouvoir atteindre mes quotas, et je prends le risque d'être dévoré par surprise. Soit, je m'en débarrasse. Et je pense que Ma'atua est le parfait endroit pour ça. 

Je ne sais pas encore comme je vais y arriver et ce que je vais faire. Quel piège construire, comment utiliser le terrain de manière concrète. Et il faut aussi que je prenne en compte les deux autres : Ulagi et Taüla. Ulagi, de mes observations ne sera pas un problème, il est plutôt du genre distrait. Mais Taüla, le plus grand, je ne sais pas. Je ne le vois que rarement, principalement parce que je dois me cacher de Kellu. MOI, MATAGI, ME CACHER !

Ces choses sont un problème, elles mangent beaucoup trop, m'empêchent de pêcher correctement et sont un danger pour moi comme pour le village. Je vais commencer par Kellu. Si je peux me débarrasser des trois d'ici le 3, ce serait idéal mais il est dangereux de se fixer des objectifs inatteignables.

Je prendrai le mois suivant pour me préparer et planifier ma confrontation avec Kellu. Je ne peux pas en prendre plus, parce qu'autant je les observe, elles m'observent aussi. Les Lilicons vont devoir se contenter de poissons fumés pendant un bon moment. Je ferai un stock et ils vont se débrouiller. Oui, je pense que c'est la meilleure chose à faire. J'avoue que j'ai les mains moites d'inquiétude, mais quelque part, quelque part au fond de moi je suis aussi impatient de plonger. Je n'ai pas ressenti cela depuis très longtemps. Ah, que c'est nostalgique...


Entrée du 02/12/2557

La simplicité, j'opte pour la simplicité. 

J'ai un plan. J’essayerai de coincer Kellu dans une caverne souterraine de Ma’atua et sceller le trou avec une grosse pierre. Maintenant il me reste à trouver le bon endroit et surtout, il faut que je le fasse en cachette. C'est le plus compliqué. Cette chose devient de plus en plus audacieuse. Je ne me vois pas continuer comme ça plus de deux mois. Je suis déjà en retard sur mon quota et les questions commencent à venir et je me dis que garder tout ça pour moi n'est peut-être pas une si bonne idée que ça. Mais bon, le maire est au courant aussi, alors s'il juge que c'est utile que les Lilicons sachent la vérité, il parlera. 

Moi, Matagi, je dois me concentrer sur ce qui compte et ce n'est pas le fait de sauter un repas sur trois dans la journée qui va poser problème. À moins que je les aie trop gâtés ? Ha ! J'attends de voir le premier qui va m'accuser de me tourner les pouces, lui il va prendre mon pied dans la bouche et je compte bien lui casser les dents. Ha ! Et puis quoi encore ! Qu'ils essayent de se plaindre ils vont voir, parasites !

Hmm, bon je ne me chauffe pour rien là. Ils m'ont déjà agréablement surpris au cours de la réunion. Donc je vais me calmer et puis je vais me concentrer sur le problème. Je pense que je vais arrêter d'utiliser la plage comme zone de plongée. Je vais passer du côté opposé, par la colline de Mapouga. Trainer les poissons dans la pente raide ne va pas être une partie de plaisir ça c'est sûr. Mais au moins j’ai moins de risque de croiser Kellu et il y a moins de risque qu'il commence à se poser les questions "d'où est-ce que je viens" et "est-ce qu'il y a des choses à croquer là-bas". 

Vu que ces choses ont un aspect proche du nôtre, je crains fort qu'ils aient peut-être la capacité de respirer à la surface comme et dans l'eau, comme nous. Si c'est le cas, ouhhh, je ne veux même pas imaginer ce que ça peut donner comme catastrophe. Hmm, j'éviterai la plage jusqu'à ce que je me débarrasse des trois. Meh, traîner tous les poissons va vraiment être pénible. Peut-être que je demanderai aux bâtisseurs de construire quelque chose, mais je doute que ce soit possible. 

Je me donne une semaine pour trouver le trou dans lequel je vais enfermer Kellu. Là-bas, il n'aura qu'à mourir de faim et je pourrai enfin avoir la paix. Enfin, il y aura les deux autres aussi, et j'espère qu'il n'y aura pas plus de ses choses dans mes eaux. 

Entrée du 12/12/2557

Moi, Matagi, je n'ai jamais autant réfléchi de toute ma vie. J'étais tellement perdu dans mes pensées que des enfants ont eu le temps de me mettre des cailloux sur la tête sans que je ne m'en rende compte. Petits impolis ! Si je les retrouve, ils vont recevoir une fessée qu’ils ne vont pas oublier de sitôt. À mon âge, je ne faisais pas de trucs comme ça, c’est quelle jeunesse ça encore.

Bon, passons. Je suis confronté à un problème... Enfin, à plus d'un problème même. Sigh, par quoi commencer ? 

Je vais commencer par Ma'atua, c'est ce qui me préoccupe le plus. J'ai visité plusieurs de ces cavernes, toutes scellées sans échappatoires. J’espérai trouver un tunnel avec une sortie, mais rien. Je n'ai pas le temps d'en repérer plus si je veux être dans les temps. Je peux prendre ce risque, mais c'est un risque. Rien ne me garantit que je trouverai ce que je cherche et j'aurai juste jeté du temps par les fenêtres. 

Ce à quoi j'ai dû longuement penser c'est si je dois continuer mon plan ou risquer un affrontement direct avec Kellu et les deux autres. Cette perspective ne m’enchante pas du tout je dois l'admettre, il y a tellement de choses qui peuvent mal tourner que j'en ai le tournis. 

Si je continue le plan, je vais devoir creuser un tunnel pour me faire une sortie. Là aussi beaucoup de temps et d'efforts que je peux minimiser en creusant près de l'entrée. Je leurre Kellu à l'intérieur et je file par le tunnel. Maintenant il reste à trouver un moyen de l'y enfermer...

Une seconde, une seconde, une seconde... Non, j'ai une autre idée. Oui, peut-être que ça peut marcher... Hahaha, ah, Matagi, si je pouvais je m’embrasserais. Allez juste le biceps !

Bon, voilà qui est intéressant, très intéressant. Je vais me mettre au travail de ce pas et ce fichu monstre peut dès à présent être considéré comme une chose du passé.  Que faire pour les deux autres alors ? Qui est-ce que je ciblerai ensuite ? Hmm, j’y penserai une fois que Kellu sera dans mon assiette. Hahaha, ah c'est bon quand il y a de la lumière dans la tête. Des fois moi, Matagi, je m'impressionne moi-même.  

Entrée du 24/12/2557

Les Lilicons sont complètement paniqués. Pendant que je m'aventurai du côté de Mapouga, les observateurs que j'ai placés sur la plage ont aperçu quelque chose d'étrange. Une grosse tête similaire à celle d'un cadavre qui sortait de l'eau. Apparemment cela fait plusieurs jours maintenant qu'ils observent le phénomène et d'autres villageois ont pu l'apercevoir aussi. J'ai pourtant dit à tout le monde de ne pas s'approcher du récif de corail et que c'était dangereux. Maintenant, tout le monde me harcèle jour et nuit alors il y aura une grosse réunion pour expliquer à tout le monde quel est le problème. Je le sens déjà venir le " il faut que tu nous en débarrasses !". Meh, qu'est-ce que je fais mi hein ? Ce sera une perte de temps, je laisserai probablement le maire s'en charger. 

Mais c'est quand même inquiétant. Très inquiétant. J'ai peut-être une idée de ce qui se passe, mais j'aurai besoin d'observer moi-même cette vilaine tête. Cependant, je pense, mais je ne suis pas certain... Je pense que c'est Kellu qui me cherche, et je crains qu'il ne s'intéresse un peu trop à Lilico. Mon piège est presque prêt, il ne me faut que quelques jours, six, si jours et c'est bon. Moi, Matagi, je me débarrasserai de cette horreur !

Hmm... pourquoi est-ce que j'ai cette impression bizarre, pourquoi est-ce que je pense à un enfant quand je pense à Kellu ? Est-ce de la malice ou de la curiosité ? Ou est-ce que c'est moi qui réfléchis trop dans le vent ? J'ai comme cette petite boule dans ma poitrine qui me dit que peut être ma décision de le tuer n'est pas la bonne. Est-ce que c'est la peur qui s'est déguisée ainsi pour me faire reculer sans briser mon orgueil ? 

Mais je ne peux pas... Moi, Matagi, je ne peux pas prendre le risque d'avoir tort. Entre leur appétit et le fait que les poissons commencent à fuir la zone, et leur intérêt bizarre pour moi...  Qu’est-ce qui va arriver quand ils vont découvrir Lilico ?  Non, non, dans six jours, je serai prêt, et ce sera le dernier jour de Kellu. Quant à sa famille... Tssk, il va falloir que j'y réfléchisse aussi. Les deux autres sont tranquilles pour l'instant, mais je ne sais pas si ça va durer. 

Entrée du 27/12/2557

........................ Horrible. Tout simplement horrible... 
J'avais besoin de quelques jours en plus, juste quelques jours en plus. Mais ça ne s'est pas passé comme je voulais. 

Ce matin, à l'aurore, après avoir capturé quelques Ma'asia je voulais prendre de l'avance sur mon piège. Tailler la roche prend plus de temps que je ne l'avais imaginé, alors prendre de l'avance n'est pas un luxe. Et je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas pourquoi j'ai eu ce pincement au cœur. J'ai tout laissé tomber pour revenir au village et j'ai vu mon cauchemar se réaliser. 

Kellu était là, respirant l'air frais, et avalant des villageois comme des amuse-gueules. C'était... Ça m'a rappelé Alaïti et cette nuit qui me hante encore. J'ai eu l'impression d'étouffer. L'air, j'avais du mal à avaler de l'air, ma vue est devenue trouble, le ventre... J'avais eu envie de vomir. Mes jambes me tenaient à peine debout. Ma peau, j'avais l'impression de brûler. Moi, Matagi, ne me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. 

Mais, Matagi est mon nom. Et comme tel, je ne pouvais pas rester sans rien faire, à trembler comme une femmelette. Matagi n'a peur de rien ni personne ! Pas même d'un monstre craché par l'océan !

J'avais encore mon équipement sur le dos alors j'ai pris ma lance dans mes mains et je me suis jeté sur Kellu. Cette saloperie est bien plus rapide sur la terre ferme que je ne le pensais. Sans l'habit des anciens, je serai mort écrasé, mais les pierres de Dao fondues sont solides. Mais quand même j'ai cru que mon intérieur allait sortir vers l'extérieur. Mon bras ne s'en est pas encore remis, et mes cotes, je crois qu'elles sont transformées en poudre. Ce coup de queue, je vais m'en rappeler toute ma vie, et si Kellu à failli me tuer juste avec ça, qu'est-ce qui va se passer quand viendra le tour du plus grand ? Cette rencontre inattendue m'a fait relativiser mes forces à moi, Matagi, et j'espère sincèrement que l'océan ne concoctera rien de pire que ces choses à la tête de morts. 

J'ai quand même pu faire fuir Kellu. Je lui ai lancé ma lance dans son œil droit globuleux et aussi noir que l'océan. Il a crié ou pleuré… je ne sais pas trop comment appeler ce que j'ai entendu, c’était peut-être même les deux. Le phénomène était trop étrange, je n'avais jamais vu ou entendu un poisson agir de la sorte. Même s'il a un peu de nous dans sans apparence, Kellu n'est quand même qu'un poisson. Autrement ce serait... je ne sais pas. Est-ce que c’est seulement possible qu’ils soient… qu’ils soient quoi ? Des habitants des profondeurs ? Ridicule. N’est-ce pas ?!... Hmm.

Quoi qu’il en soit, Kellu n'avait pas apprécié mon cadeau. J'espérais que la lance traverse son oeil pour se loger directement dans son cerveau. J'ai l'habitude de jeter ma lance dans les profondeurs de l'océan alors moi, Matagi, peut vous assurer que j'ai un très bon lancé. Alors, imaginez ma surprise lorsque la lance était à peine rentrée dans sa muqueuse. Peut-être qu'elle avait percuté un os ?  

Le fait est que j'avais en face de moi un gros poisson très énervé et moi je n'avais plus d'armes et mon bras... Meh, il est encore rattaché au reste de mon corps même si en mille morceaux, alors ça peut aller.

Et c'est là que Kellu a décidé de s'enfuir, avec ma lance... Si j'avoue que c'est le truc qui m'énerve le plus dans cette histoire est ce que je passe pour un monstre ? Parce que là, je ne sais pas comment pêcher. À mains nues ? Ridicule ! Même moi, Matagi, je n'en suis pas capable. Mes os se casseraient contre les écailles et ce n’est pas le vêtement des anciens qui va me protéger.

Ce qui ne me laisse qu'un seul choix. Je vais devoir plonger, sans arme et chercher Kellu et essayer de le leurrer dans mon piège. Meh, je dois être complètement fou pour songer à une chose pareille, mais ce n'est pas comme si j'ai le choix. Je vais devoir naviguer complètement dans le noir en ne me fiant qu’aux images fournies par le son et réagir en un instant.

Pour l'instant je vais aider à porter les blessés et nourrir ma colère pour tuer cette saloperie ! Demain, il y aura une cérémonie pour les victimes que je ne connais pas et j'espère de tout cœur ne pas connaître. Si Talanaia... s'il est arrivé quelque chose à Talanaia, je ne sais pas ce que je ferai. Cette idée tourne et tourne et ne me laisse pas tranquille. Je pensais... Pourquoi est-ce que j'ai le cœur serré comme ça ? Et si ces choses reviennent demain et cette fois toutes les trois ?... Qu'est-ce que je peux faire ? Qu'est-ce que moi, Matagi, peut faire pour protéger mon village ? Je ne sais pas. Je suis fatigué... Je dois y aller.

Entrée du 29/12/2557

Comme je le pensais, la cérémonie a été difficile. Les Lilicons ne voulaient pas de moi là-bas, mais ils ne pouvaient pas trop le dire non plus. Après tout je suis leur protecteur et leur nourrisseur, même si j'ai failli... Je n'ai jamais sympathisé avec personne alors je me disais que ce n'était pas grave, même si on m'en veut, personne ne pourra me faire mal comme j'ai mal. Lilico c'est mon village ; j’ai risqué ma vie pour nourrir ses gens, c'est comme... Non, ce sont mes parents, très éloignés, mais quand même. 

Après la cérémonie, je n'ai attendu personne. Je crois que le maire voulait me dire quelque chose, mais moi, Matagi, je n'avais pas le temps pour ces foutaises. J'ai directement plongé depuis la plage, par-delà le récif de corail. Je me disais que Kellu était là, à m'attendre sous l'eau, mais ce ne fut pas le cas. A ma grande surprise, l'océan était calme, trop calme. Même l'eau semblait plus résistante que d'habitude, mais maintenant je sais que ce n'était que dans ma tête. 

Si je vous dis que j'étais serein, je mentirai, mais je n'avais pas peur non plus. Matagi n'a peur de rien ! Mais il peut être intimidé, un petit peu. Oui c'est ça, j'étais un petit peu intimidé. Sans ma lance, c'était bizarre. J'avais l'impression, j'ai l'impression, qu'une partie de moi manque. J'ai dormi avec, elle, saigné avec elle, mangé avec elle, pêché avec elle, risqué ma vie avec elle... Après toutes ses années, elle fait comme partie de moi. 

Je ne sais pas combien de temps j'ai nagé, je crois que j'ai cherché Kellu pendant des heures, mais je ne le trouvais ni lui, ni ses semblables. Mais le plus étrange était aussi l'absence des poissons. C'est comme s'ils avaient tous fui, effrayés, mais par quoi ? Par ces choses ? Possible...

Plus le temps passait à chercher et plus mon stress montait. Il était naturel d'être frustré, il était naturel d'être fatigué, il était humain de vouloir baisser la garde et par les dieux, je suis heureux de ne pas avoir écouté mon corps. Car si je l'avais fait, je n'aurais pas pu vous parler aujourd'hui.

Je ne sais pas encore comment il a réussi ça. Normalement j'aurais dû le voir dans le casque que Kellu était juste en dessous de moi. Mais je l'ai vu dans ma tête. Moi, Matagi, j'ai été sauvé de justesse par mon instinct. Mais comment Kellu a trompé mon appareil ? Je ne dois pas juste oublier ce détail, je dois le trouver par moi-même, car si lui a pu, alors ça peut encore se répéter. C'est une réponse que je dois trouver pour moi, mais aussi pour celui qui va me succéder, si jamais il reste quelqu'un à me succéder...

J'ai nagé de toutes mes forces pour me sortir de là, et je dois admettre que si j'avais ma lance en cet instant, je ne sais pas si j'aurai pu m'en sortir. Sans mes deux mains libres, je doute que j'aurai pu me sortir de là sans finir entre les dents de Kellu. 

Cette saloperie était rapide. Elle a surgi d'en bas, mais où ? Le sable ? Elle m'attendait sous le sable ? Non, ça n'a aucun sens. Elle aurait pu m'attendre là des jours comme ça... Hmm. Quoi qu'il en soit, Kellu est venu par le bas. J'ai senti le courant changer trop brusquement, trop violemment et je n'ai pas cherché à comprendre le pourquoi du comment. J'ai nagé le plus vite et le plus fort possible sur le côté et Kellu m'a ratée de peu. 

La créature a essayé de m'attraper, mais le courant qu'elle a créé m'a été utile pour me sortir là. Ensuite, ensuite je n'ai jamais autant battu des bras et des jambes de toute ma vie. J'ai encore mal partout, mais au moins cette douleur est la preuve que je suis en vie. 

Je devais attirer Kellu à Ma'atua, dans mon piège. Il n'était pas près comme je le voulais, mais je n'avais pas d'autres choix non plus. Je ne pris jamais les dieux de Lilico ou d'ailleurs, je les trouve puérils et stupides, mais là. Moi, Matagi, ait pensé à bien plus d'une prière pendant que je sauvais ma peau. 

Ma'atua est un gigantesque terrain caverneux et montagneux. Je ne sais plus si je l'ai déjà dit, je pense que oui, mais je ne suis plus sûr. J'y ai trouvé plusieurs objets et équipements bizarres. Je crois que c'est une ancienne mine, après tout, la plupart des pierres de Dao que j'amène au village, c’est là-bas que je les prends.  

Il y a des trous partout à des kilomètres à la ronde et dans la panique du moment, poursuivi par un monstre en colère qui n'arrêtait pas d'essayer de me dévorer, je n'étais pas vraiment certain de pouvoir trouver le bon. J'avoue, oui je veux bien avouer que pendant un instant, l'idée de me retrouver enfermé dans la mauvaise grotte avec kellu m'a angoissé. Et le pire c’est que j’ai failli me tromper. Le plan c’est le plan, mais transformer la théorie en pratique est particulièrement difficile sans préparations.

Je ne sais pas qui a veillé sur moi, je ne sais pas si quelqu’un a guidé mon choix, je ne sais pas si c’est ma mémoire ou mon instinct. Mais sur les milliers de trous qu’il y avait à Ma’atua je me suis précipité dans le bon et dans le petit tunnel que j’avais creusé. Kellu qui m’a suivi s’est empalé le visage sur les piques de pierre que j’avais taillée et placé là. Et maintenant que c’est fini et que j’y réfléchis, ce plan avait tellement de trous… Si Kellu avait ralenti, s’il était moins énervé et qu’il avait pris son temps, mon piège n’aurait servi à rien. Il me reste désormais deux monstres à pêcher et physiquement, je ne pense pas être en état de le faire. Fuuuu…. Vivement mes vacances.

Entrée du 31/12/2557

Je suis retourné à l'endroit de la mort de Kellu. Je ne vais pas vous mentir, après ma victoire je ne me suis pas hasardé à rester plus longtemps que nécessaire. Je ne savais pas où étaient les deux autres, alors j'ai nagé vite fait hors de mon tunnel et direction Lilico. La seule chose que moi, Matagi, est embarqué était ma lance. Les villageois m'attendaient là et je leur ai annoncé ma victoire. Au vu de leurs réactions, ils étaient ravis, en majorité. Du moins, ils l'étaient avant que je leur annonce qu'il y en avait deux autres qui rodaient dans les eaux, plus grands encore. 

La fête a failli se transformer en hystérie collective, mais le maire a fait son boulot avec son discours et au final j'ai été obligé de prêter serment de me débarrasser de ces choses dans les plus brefs délais. Ce que j'essayais déjà de faire soit dit en passant. Mais les lilicons avaient besoin d'être rassurés plus que tout et moi, Matagi, ne leur ait rappelé que je suis le plus grand pêcheur que Lilico ait jamais connu et la fête a repris avec des chants en mon honneur. Meh, je n'avais pas la tête à ça. Ce que j'ai vu avec Kellu ne me laissait pas tranquille. 

L'œil de cette chose... Hmm, comment expliquer. C'est comme si plusieurs couches étaient mises les unes sur les autres. C'était comme plusieurs membranes placées les unes sur les autres, mais avec un espace entre eux, une sorte de couche d'air. Très bizarre, je n'ai jamais rien vu de tel, je ne sais même comment cet œil peut fonctionner normalement. 

C'était principalement tous ces mystères qui m'ont poussé à retourner voir la dépouille, découper quelques parties et l'étudier correctement. Peut-être que je pouvais apprendre quelque chose, mais ce n'était pas l'unique raison, ni la plus importante. Je voulais me rassurer, je voulais revoir la dépouille et me dire : un de moins, et assimiler cette information pour que mon esprit arrête de me jouer des tours. Et effectivement, je l'ai vu, mais j'ai vu aussi autre chose à quoi je ne m'attendais pas. 

Kellu était sorti de la caverne où je l'ai laissé, sorti par les deux autres, immobiles, mais pas inactifs. Les bruits, les bruits qu'ils émettaient étaient pratiquement déconcertants, comme des pleurs, comme des plaintes. Ces choses... Je ne sais pas ce que l'océan a fabriqué, mais ces choses... Elles sont comme nous. L'impression que j'avais sur le comportement de Kellu, cet aspect enfantin dans son comportement, peut être que ce n'était qu'une impression. Il se peut que j’aie tué le petit de ces choses et qu'elles étaient en train de le pleurer. Cette idée est la raison pour laquelle je ne peux pas fermer les yeux. J'attends, j'attends qu'elles viennent demander vengeance.

Entrée du 01/01/2557

Je m'étais assis sur la plage avec ma lance. J'attendais notre fin inévitable à tous, mais j'étais prêt à vendre fièrement ma peau et celle des lilicons. J'ai attendu et attendu, et réfléchis et réfléchis... J'ai beaucoup réfléchi cette nuit, parce que je pensais que c'était la dernière fois que moi, Matagi, pouvait bouger mes méninges. 

J'ai repensé à mes choix de vie. J'ai pensé à ma vie si Alaïti avait survécu, si je n'étais pas pêcheur. J'ai pensé aux étoiles là-haut. Et prenez-moi pour un fou si vous voulez, mais je me suis dit... Je me suis dit que peut-être, sur l'une d'entre elles, il y avait peut-être un endroit sans océan. 

Vous pouvez imaginer ça ? Un endroit avec des arbres partout, pas comme sur Lilico. Un endroit avec de la terre à perte de vue, pas comme sur Lilico. Un endroit sans poissons et monstres qui ne cherchent qu'à vous dévorer, pas comme sur Lilico. Un endroit avec de la nourriture à profusion, il n'y a qu'à se baisser. Pas comme sur Lilico. Vous pouvez imaginer quelque chose comme ça ? Quel paradis ce serait. 

J'ai attendu là jusqu'au lever du jour, mais j'ai attendu tout seul. Les villageois sont terrés chez eux, même le marché semble vide. Personne ne converse, personne ne prend le temps de manger les repas du dehors, et il n'y a rien de plus naturel. 

J'avoue que désormais, moi, Matagi, ait peur. Peur de partir pêcher et revenir voir mon monde détruit par ces choses. Je n'ai pas peur pour moi, mais... Je suis le papa de ce village. Je le nourris, je le protège, je râle de temps en temps... beaucoup, souvent, mais ils sont cons les lilicons. Mais c'est le seul endroit que j'ai. J'y ai vu grandir tellement de jeunes, jeunes que je sacrifierai pour le bien de ce village. Suis-je fou, ou cette vie n'a aucun sens ? J'ai beaucoup réfléchi sur cette plage et rien de ce que mon esprit a trouvé ne m’a plu. Comment je fais pour pêcher maintenant ? Comme je laisse le village ? Comment je me débarrasse des deux autres ? 

J'ai beaucoup réfléchi, beaucoup pensé à des mondes qui ne sont pas, à des paradis que je ne connaitrai jamais, mais je n'ai rien trouvé pour régler mes problèmes ici-bas. À croire que ma tête n'ait rempli que de vent. Oh, dieux, qu'est-ce que je dois faire maintenant ? 

Entrée du 07/01/2558


La vie a repris son cours à Lilico. Le maire et les villageois m'ont surpris, ils ont décidé de procéder à des constructions pour protéger l'île. Ils vont essayer de construire un mur en utilisant les pierres de Dao et de la pierre. Moi, Matagi, ne suis pas bâtisseur, mais ça peut marcher. On aurait peut-être dû le faire plus tôt, mais personne ne pouvait imaginer qu'un jour les poissons puissent sortir de l'eau. 

Je préfère croire encore que ces choses sont des poissons, c'est plus simple comme ça. Je ne sais pas si c'est nié les faits, mais ils vivent dans l'eau alors... 

Personne ne panique. Je dois avouer que ça m'a surpris. Enfin si, les débuts de la réunion du village ont été très compliqués. Presque tous les adultes de Lilico étaient présents, la salle municipale était trop petite. Il faisait chaud, ça sentait mauvais la transpiration et la peur.

Le maire à bien réagit. Il a changé l'endroit, on l'a fait sur Taulega. Je n'y ai pas mis les pieds depuis des années, les nyssas étaient encore présents. Je pensais qu'elles avaient pourri depuis longtemps. Ça m'a étonné. 

Les débuts ont été difficiles, tout le monde criait, beaucoup de monde accusait, m'accusait moi, Matagi. Je pense qu'il leur fallait juste trouver un coupable, car je ne pense pas avoir pris mes décisions à la légère. Malheureusement, je ne pouvais pas faire taire les imbéciles à coup de poing, meh !...

Au final la situation est rentrée dans l'ordre, étonnamment. Qu'est ce qu'il avait dit déjà ? 
- Tout le monde sait ici que Matagi est un connard. On le sait tous... - en ce moment l'envie de le cogner avait pratiquement pris le pas sur ma raison. Moi, Matagi, je ne prends pas les insultes sans riposter. Une habitude, un instinct acquis. Mais heureusement que je me suis arrêté parce qu’il a continué - mais il n'y a jamais eu aucun pêcheur de toute l'histoire de Lilico qui en a fait autant que lui. Et ça aussi on le sait tous. Matagi a passé sa vie à notre service, mais on ne peut pas l'accuser de ne pas pouvoir nous protéger de la fureur de l'océan ! Où avons-nous fait de Matagi le responsable de tout ? En bien comme en mal ? Et nous dans cette histoire, qu'avons-nous fait pour nous protéger ?... 

Son discours avait fait son effet, les gens avaient commencé à réfléchir et la décision de construire un mur a été prise. Cela prendra beaucoup de temps, et cela demandera que je m'occupe des deux autres créatures le plus tôt possible. Pourquoi elles ne viennent pas ? Qu'est ce qu'elles attendent ? Cette question est en train de tous nous bouffer, mais la vie doit continuer. Je dois replonger, je dois pêcher. Les stocks sont presque finis.... Je dois replonger. 

Entrée du 15/01/2558

Moi, Matagi, n'ait jamais été autant confus de ma vie qu'aujourd'hui. 

Les bâtisseurs travaillaient sur la plage pour créer un support solide au mur. Le sable n'est apparemment pas très bon pour servir de soubassement. Ha, qui l'eut cru... Du coup, ils étaient en train de se creuser la tête pour trouver une solution quand ils ont vu un poisson tomber du ciel. Et pas n'importe lequel, c'était un Fetu'ia. 

Cette saloperie a une tête d'étoile à trois branches et trois bouches pourvues de becs capables de découper un os comme une feuille de nyssa. Elle a un corps très long, trop long, environ 20 mètres. Et elle peut s'en servir pour frapper et assommer ses proies en un claquement de doigts. En général le fetu'ia est un poisson des profondeurs, il ne s'approche pratiquement jamais des côtes et à ce que je sache, il ne vole pas non plus. 

Les bâtisseurs ont couru m'appeler et moi, Matagi, suit venu, j'ai vu, et dieux, j'ai vu. Ce fatu'ia avait le ventre ouvert et vidé, comme on le ferait. Mais il est clair que ce n'est pas nous qu'il l'avons fait alors qui ? En plus, le poisson n'avait aucune trace de blessure autre que le ventre. Alors soit il a été éventré avant de mourir, soit il a été assommé, soit... Je n'en sais absolument rien. 

Mais le plus gros mystère c'est : comment ce fichu poisson est arrivé là ? J'ai eu beau regarder le ciel, je n'ai rien vu. Quoi, il y a des oiseaux géants maintenant ? Parce qu’à part ça je ne vois pas d'autres explications. Bien sûr les lilicons n'ont rien vu, les préposés à la surveillance non plus n'ont rien vu, rien d'étonnant ici. Il y a deux kilomètres entre la plage de Lilico et la barrière de corail qui délimite l'océan. Alors si quelqu'un me dit que ce fatu'ia a fait un bond de deux kilomètres je crois que je vais le taper parce que clairement, il y a quelque chose qui ne va pas avec sa tête. Et une bonne claque peut tout remettre en place. 

Mais pourquoi a-t-il été vidé ? Qui dans cet océan carnivore peut penser à faire une chose pareille ? La première chose qui m'est venue en tête était l'image de kellu qui mangeait un poisson à la broche. C'est la seule espèce que j'ai vue avec des goûts similaires aux nôtres. Alors ce poisson serait quoi ? Une offrande ? Mais une offrande pourquoi et à qui ? À moi, Matagi ? Ou c'est une forme de déclaration ? Et comment il est arrivé sur cette plage ?? Parce que si je suis mon idée, cela voudrait dire qu'un de ces machins s'est rapproché des côtes sans que personne ne l’ait vu ? J'ai la tête qui chauffe et ce n'est pas à cause du soleil... J'aurais peut-être dû interroger les témoins plus correctement. Meh, je demanderai au maire de le faire. J'ai un très mauvais pressentiment.
Entrée du 22/01/2558

J'ai discuté avec les bâtisseurs un peu plus en détail en allant les voir chez eux, le soir. Et certains se sont rappelé un splash avant que le poisson ne tombe. Je leur ai demandé s’ils n'ont pas vu quelque chose, mais personne n'a rien vu. 

Moi, Matagi, je peux comprendre que les bâtisseurs n'aient rien vu. Mais les observateurs aussi ? Parce que je suis allé les voir aussi, ils sont censés surveiller la plage quand même. Et ces abrutis ont essayé de me faire croire qu'il n'y avait rien eu de particulier. Ils étaient endormis oui ! Après ce qui est arrivé avec Kellu, et malgré le risque d'arrivée des autres ???? Ah, mais vous pouvez me croire je leur ai expliqué ma façon de penser de manière impactante. 

Des rats, des incapables ! Le maire avait pris les poivrots et les sans boulots du coin. On leur donne l'opportunité d'être utiles aux villages et eux profitent de l'occasion pour continuer leur oisiveté ? Non, mais oh ! Ce n'est pas la première fois que j'ai un problème avec eux, mais ce sera la dernière. Ils vont tous dégager, ce n'est pas possible. Comment ? Comment est-ce qu'on peut être si irresponsable ? !

Msss, j'ai rarement été si énervé de toute ma vie... 

J'ai eu une réponse d'Uluvay, un autre pêcheur avec lequel je communique de temps en temps. Il est sur une autre île, celle de Popouli, et ils sont trois là-bas. Leur tour est plus généreuse apparemment... je veux la même. 

Pourquoi tu es radine comme ça hein ?!   

Fichue tour... Mais bon, Uluvay m'a dit que les créatures de leur côté sont agressives et protègent violemment leur nouveau territoire. Ce qui n'est pas le cas ici. Ça fait des jours que je n'ai rien vu, mais je sais qu'ils sont encore là et que notre conflit n'est qu'une question de temps. Ils m'ont aussi demandé si j'avais changé d'avis pour l'expédition au cœur de l'océan : là où dort l'Ulwazi. Comme quoi il y aurait un moyen de tout changer, de tout faire revenir à la normale. J'ai pu étudier un peu leur dossier et je ne suis pas sûr que ça peut marcher. Cependant l'océan change, et s'il y a une chance d'arrêter cette folie ça vaut le coup d'essayer. Mais avant je dois préparer un successeur et bien sûr survivre. Moi, Matagi, je suis un homme de parole. 

Entrée du 05/02/2018

C'est revenu. Je l'ai vu à l'aube : Ulagi, assit sur la barrière de corail. Je crois qu'il m’attendait.

Il m'observait de ses yeux sombres et globuleux, profondément logés dans ses orbites. C'était comme regarder le crâne d'un squelette, mais vraiment. Cette créature avait des écailles qui prenaient la teinte orangée du ciel.

J'ai serré ma lance plus fort que jamais et je me suis préparé à ma fin. Surtout lorsque le deuxième s'est hissé de notre côté. Je ne sais pas pourquoi ils avaient attendu aussi longtemps avant de nous attaquer, je ne sais pas pourquoi ils ne l'ont pas fait sous le couvert de la nuit, ou lorsque j'étais absent pêcher. Ils étaient là, devant moi, et comptaient n'attaquer que moi.

Et mon sang n'a fait qu'un tour lorsque j'ai vu Taüla, le plus grand, devenir eau. Je ne sais pas comment l'expliquer, mais ce machin géant c'est comme dissous, il était complètement devenu invisible dans l'eau. 

J'ai souvent affaire au camouflage. Plusieurs poissons utilisent cette tactique : les Palapa'ia, les maa'ia, les lepa'ia, et j'en passe. Je sais reconnaître un camouflage quand j'en vois là. Ce truc-là, ce que Taüla avait fait, ce n'était pas un simple camouflage. Les poissons ne disparaissent pas, ils restent visibles, même si difficilement, ils sont quand même là. Je peux quand même voir certains détails de leur aspect, je peux voir leur cachette, mais là, ce gigantesque truc était devenu eau. 

Je ne sais pas comment l'expliquer. Sur le coup je n'étais pas intéressé par comprendre comment, j'étais occupé à trouver quoi faire. La lance dans ma main devait avoir une cible. Mais de cible elle n'eut aucune. Je fus pris et projeté en l'air comme un jouet de boue, serré entre des mains que je ne pouvais voir. Moi, Matagi, saisit aussi facilement qu'une pierre sur la route. 

Il n'y avait que le mouvement de l'eau s'écoulant de quelque chose de massif et dévoilant progressivement un crâne gigantesque... J'étais entre les mains de Taüla, et je ne pouvais rien faire. J'ai vu ses yeux noirs brûler de colère et j'ai entendu son cri victorieux qui me glaça le sang. Mais il y avait aussi autre chose que mon esprit pu capter, autre chose que moi, Matagi, connait intimement : la peine. Et j'ai compris, je crois que j'ai compris...

Si je n'avais pas commencé ce journal. Si je ne m’étais pas rappelé d'Alaïti, je serais passé à côté de cette vérité. Cela n'aurait peut-être rien changé... Non, c'est faux, je me mens à moi-même.

J'ai vu dans les yeux de cette chose quelque chose que j'avais sous les yeux, mais que je refusais de voir. De l'émotion, de l'intelligence, de la personnalité, la douleur d'une perte... Kellu faisait partie de sa famille. Cette réalité m'a frappé comme une évidence : Kellu était son petit.

Cela pouvait également expliquer son comportement. Le fait qu'il me collait sans arrêt n'était pas forcément de la malice, mais simplement de la curiosité. Comme un enfant observant une fourmi ou un papillon et qui voulait l'attraper.

Son attaque sur le visage n'était pas forcément un signe de malice également. Les enfants mettent souvent dans la bouche tout et n'importe quoi, ça arrive. Mais cette vérité ne pardonne en rien le comportement de kellu et je pense que c'est ce fait qui m'a sauvé la vie.

J'étais entre les mains de Taüla, impuissant comme un nouveau-né, moi, Matagi ! Mais il était en doute, non il était en lutte contre son instinct. Son instinct de parent et sa perception de la justice étaient en conflit, après tout je n'avais fait que rendre justice. C'est la seule explication que je puisse trouver.

Et la preuve fut le comportement d'Ulagi, qui vint enlacer Taüla comme une amante. Elle aussi était en peine, mais demandait de pardonner. Elle essayait de calmer le cœur de l'autre, de lui demander de laisser tomber... Non, elle lui demandait d'être meilleur que moi, d'être plus noble que moi, Matagi. Et cette requête, malgré l'hésitation apparente, fut approuvée. 

Taüla me jeta dans l'eau comme une pierre et la violence du choc me fit perdre connaissance. Je me suis réveillé sur la plage, entouré de lilicons qui essayaient de m'aider. Mais je n'étais pas d'humeur... Je suis parti pêcher, certain de ne tomber que sur des poissons. 

Oh, dieux... Qu'avez-vous créé ? Comptez-vous vraiment nous remplacer ? ... Pourquoi est-ce que je suis encore vivant ? Pourquoi est-ce qu'il ne m'a pas mangé ? Si j'avais été à sa place, je n’aurais pas hésité une seule seconde. Ma vie, toute ma vie en est la preuve... Je devrais être heureux, mais je ne sais pas pourquoi, je suis plutôt énervé et je ne sais pas contre qui. C’est juste de la colère qui tourne à vide et qui me fatigue pour rien, ou est-ce que c'est contre moi et que je ne veuille pas l'admettre ? ... Oh dieux, qu'avez-vous fait ? 

Entrée du 22/02/2558

Cela fait plusieurs jours que moi, Matagi, ait repris ma vie de pêcheur sans rencontrer Taüla et l'autre. Enfin si, je les vois, mais restent loin de moi et du village. J'ai conversé avec d'autres pêcheurs, mais ils m'ont assuré que de leur côté ils étaient en conflit avec ces choses. Comment cela se fait ?  Pourquoi est-ce qu'ils sont si différents ? 

Plus je me pose la question, plus j'ai envie de connaître leur histoire. Mais moi, Matagi, ne suit pas fou. Taüla m'a épargné une fois, je ne peux pas compter sur une seconde chance. Et démarrer un conflit pour assouvir ma curiosité serait juste stupide, même pour moi, Matagi. 

Pourquoi est-ce qu'ils sont si différents ? D'où est-ce qu'ils viennent ? Pourquoi sont-ils autour de nos îles ? Savent-ils pourquoi l'océan change ? Savent-ils comment l'océan change ?... Tellement de questions tournent dans ma tête que j'ai l'impression que mon cerveau va bouillir. La réponse est peut-être importante, mais je ne vois pas comment moi, Matagi, pourrait la prendre. J'ai fermé les portes de cette possibilité par moi-même, par devoir, par vengeance aussi, mais je n'avais pas d'autres choix...

Je ne dois pas baisser ma garde non plus. Si c'est un plan de leur part, il serait bizarre, mais on ne sait jamais. De plus la sélection arrive, je n'aime pas l'idée de savoir les jeunes à la merci de ces choses... Ha ! Quel hypocrite. Il y a quelque temps l'idée d'en perdre une centaine juste pour trouver mon successeur ne m'aurait pas dérangé. Alors que maintenant, je me dis que ce n'est peut-être pas une si bonne idée. Est-ce que c'est l'âge qui me raisonne ? Ou est-ce que je suis devenu plus malin après une nuit de sommeil ? Ou est-ce que je me suis cogné la tête trop fort ? ... Si une créature comme Taüla peut montrer de la peine, peut ressentir de la peine, alors je n'ose imaginer ce qu'un humain pourrait ressentir en perdant son enfant. Je refuse de perdre là-dessus aussi... 

Il me reste encore du temps pour changer quelques détails. Mais un plongeon sera inévitable... Hmm peut être étalé les épreuves sur plusieurs jours pour que je puisse les accompagner et m'assurer que tout va bien ? Meh, je vais bien trouver quoi faire, j'espère.

J'ai presque oublié ce que cela faisait de pêcher sans stress, sans kellu qui me courait après. Et c'est dangereux. Tous les poissons de ce fichu océan sont dangereux, cette sensation que j'ai, comme si j'avais un gros point en moins, il faut que j'en débarrasse. J'ai besoin d'être concentré, j'ai besoin d'être sur mes gardes. L'océan continue à changer et je pense que le pire est à venir, comme ce truc à 45 km de l’île. D’ailleurs, comment ils ont fait pour traverser cette chose ? … Fiou, j’ai la tête qui chauffe. Je vais pêcher ça va me détendre.
Entrée du 01/03/2558

Lilico a retrouvé un semblant de calme. Tout le monde regarde encore l'océan avec beaucoup de craintes et de mépris. Les souvenirs sont encore frais, et le seront toujours sauf pour les enfants qui ne sont pas encore nés. On me demande encore de ramener les cadavres des deux autres, qu’ils sont un danger, qu’ils sont des monstres. C’est vrai, c’est tout à fait vrai, je ne peux rien répondre à ces faits.

Par contre, ce que moi, Matagi, peut leur répondre c’est d'aller le faire eux-mêmes. Moi, Matagi, je suis pêcheur, et tant que je peux pêcher en paix je compte rester à l'écart de ces créatures. Mais je me pose aussi la question : est-ce que je peux vraiment pêcher en paix ? kellu, dans ses enfantillages, a laissé une plaie qui ne guérira probablement jamais. C'est quand même étrange la vie, on est confronté à des situations qui nous poussent vers des directions qu'on aurait dit impossibles avant. Je me voyais juste pêcher des poissons pour le reste de ma vie et pas réfléchir au sens de la vie comme dans mon enfance.

Meh, ce n'est pas le moment de penser à des choses qui me dépassent. La sélection arrive à grands pas et les bâtisseurs refusent de laisser tomber la construction du mur. Comme quoi je devrais préparer les épreuves moi-même vu que je refuse de m’occuper des monstres. Moi, Matagi, pêcheur de profession, je dois encore construire des trucs ? Hahahaha... J'en ai pris deux par les oreilles pour qu'ils se mettent au boulot et si je les vois dormir je vais leur pêcher le cul. 

Tssk, ils m'énervent ceux-là. Pour qui ils pensent que je fais tout ça ? Et si je me fais bouffer ils vont faire quoi hein ? ... Meh.

J'ai décidé d'y aller doucement avec les épreuves. L'océan change, c'est vrai. J'aurais voulu avoir un successeur qui est prêt, qui n'a pas peur, qui sait déjà se débrouiller de lui-même, naturellement doué comme moi, Matagi. Tu lui mets juste la lance dans la main, tu lui donnes deux trois conseils et c'est bon, il est prêt. Haaa, je peux déjà imaginer ça. J’ai quand même été une vraie chance pour le vieux fou Valati. Mais c'est impossible d’avoir un deuxième mois en deux trois générations d’écart, ce n'est pas comme ça que ça marche. Je n'ai même aucune garantie que ça marche. 

J'étais prêt à tout miser sur une possibilité en rejetant la possibilité de préparer, moi, Matagi, le successeur dont nous avons besoin. J'étais prêt à laisser la chance et non l'effort faire le travail à ma place. Les dieux ont leurs plans, cela n'empêche pas les hommes à faire les leurs. C'est pourquoi celui qui réussira les épreuves, moi, Matagi, je vouerai le reste de ma vie à faire de lui une légende dont le nom n'aurait d'égal que le mien : Vay Matagi.








Blabla de l'auteur

Hello à vous chers lecteurs ! J'espère que vous allez bien :)

Texte time !

Excusez mon manque de conversation, j'ai la tête un petit peu vide en fin de journée :)

Si vous avez des questions, des suggestions, etc... n'hésitez pas à laisser un commentaire ou à m'écrire ici : unepageparjour@hotmail.com

Merci de me lire ! Vous êtes formidables !! Tchuss et à demain !!! Portez-vous bien !!!!


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