dimanche 2 septembre 2018

Journal de Vay Matagi, pages 1 à 20


JOURNAL DE VAY MATAGI 


Entrée vidéo du 06/02/2557


Essai 18, j'espère que ça va marcher ce machin. Ah ça filme on dirait, mais du coup par quoi est-ce que je voulais commencer déjà ? Meh, ça n'a aucune importance.

J’ai toujours détesté l’eau, depuis tout petit déjà et pourtant, déjà, j’avais la conviction d’y finir mes jours.
Je ne me rappelle plus exactement quand j'en ai vraiment été certain. Probablement à cause de ce vieil imbécile de Valati. Toujours à parler de la mer et de poissons. Maudit soit-il, si seulement je pouvais lui arracher ses dernières dents pourries par le shembre (drogue douce obtenue d’un minerai sous-marin, utilisée en médecine et pour des besoins relaxants) ...

Je me rappelle avoir fait un rêve horrible une fois. J’ai depuis essayé de m’en souvenir, mais voilà trente ans qu’il m’échappe encore et pourtant... Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que c’est important ? J’ai beau frotter mes mains sur ma tête, mais toujours aucune trace de ce rêve. Et pourtant, j’ai vraiment l’impression qu’il est important...

Je n’ai pas l’habitude de tous ces mots, je ne vois même pas pourquoi je fais ça, je ne sais même pas à qui je les laisse. Voisin ? Étranger ? Ennemi ? Moi, Matagi, je n’ai jamais usé de beaucoup de mots. Ce n’est que de l’air qui ne peut même pas se propager dans l’eau et j’y ai pensé, souvent, à quoi dire, à qui dire. Sous les vagues, sous l'eau, j'ai souvent pensé à dire des choses, mais je ne sais pas. Dès le moment où je retrouve l'air de la surface, les gens m'énervent tous avec leurs bêtises. Au lieu de parler, j'ai envie de les taper ces imbéciles. 

Trente, non, trente-six ans ! Par Savoa, voilà maintenant trente-six ans que je survis. Trente-six ans à nager au milieu des poissons. Même pour moi, Matagi, cela fait beaucoup. Mais qui peut me remplacer si ce n'est moi même, Matagi ? Qui d’autre peut marcher dans les traces de mes pas, de ceux de Matagi ? Qui peut prendre la responsabilité de nourrir Lilico à ma place, celle de Matagi ?

Mais ce n'est pas de cela que je voulais parler. À m'écouter, moi Matagi, parler, j'ai l'impression d'être une bonne femme qui se plein de tout. Ha ! Non, je voulais parler d'un autre rêve, d'un autre cauchemar qui recommence à ma hanter. J'aimerais laisser dans cet écran la mémoire de mon ami Alaiti, des moments qu'on a partagés et de ce qui nous a séparés. 

Avant, avec Alaiti, on jouait au bord de l'eau. Au bord de la mer du grand récif. Il n'avait jamais peur de se baigner, même si des fois de petits poissons arrivaient à sauter la barrière. Je dis petits, mais n'importe quelle espèce dans l'océan est capable d'avaler un enfant en une seule bouchée. Quelques fois il y avait comme ça de mauvaises surprises. C’était rare, et c'est pratiquement inexistant avec moi Matagi. J’ai demandé au maire de placer des tours de surveillances et donner la tâche d'observation aux villageois dont le travail n’était pas important. Et figurez-vous que certains de ces imbéciles dorment sur leur poste, mais c’est quelle qualité de personne ça ? Hein ? Il y a aussi le problème de la nuit, là c’est très compliqué, mais bon ce n’est pas le but de ma conversation avec cette boîte.

Avec Alaiti, on se défiait souvent comme des garçons, à celui qui pouvait aller le plus loin dans le récif sans avoir peur, mais sans jamais aller trop loin non plus. C'était une manière de gagner notre respect mutuel et de renforcer notre lien à travers le jeu. J'imagine... Moi c'était mon cas. Je ne voulais pas perdre, et parce que je ne voulais pas perdre j'étais obligé de me surpasser, d'aller plus loin, de puiser plus dans mes réserves, de travailler sur moi. C'était une saine compétition qui manque cruellement aux jeunes de nos jours. Ils veulent toujours parler, plus parler qu'agir et je suis obligé de continuer à pêcher parce qu'aucun de ces fruits pourris ne tiendrait un mois sous l'eau ! Pourtant même moi Matagi, je ne suis pas éternel, bientôt je mourrai sous l'eau, trop vieux pour me battre, ou un autre pêcheur prendra ma relève. J'espère juste pour tous qu'il saura plus bouger les bras et les jambes que la bouche. 

Haaa .... J’ai toujours détesté l’eau, mais moi Matagi, je n’ai jamais eu peur de rien. Même quand, même quand... même quand Alaiti a été dévoré sous mes yeux, je n’ai pas eu peur. Même quand les larmes ont coulé de mes yeux comme des traîtresses, moi Matagi je n’avais pas peur. Le petit garçon que j’étais était terrorisé, mais Matagi n’a peur de rien.

On aurait dû savoir que c’était l’heure de pêche de Valati, et qu’il commençait à se faire vieux. Alors pour attraper le poisson, ce n’était plus aussi facile même avec son équipement de pêcheur. Mais qu’est-ce que des enfants peuvent bien penser ? Qu’ils sont le centre du monde ? Que rien ne peut leur arriver parce qu’ils sont des enfants et qu’ils ne savent pas grand-chose du monde. Leurs petites têtes sottes sont remplies de jeux, de défis, d’amusement, de copines, de manger, chier et dormir !
A quoi je pouvais bien penser à l’époque pour avoir accepté ce défi stupide ?! Moi qui déteste l’eau ! Qu’est-ce qui m’avait pris d'avoir voulu aller si loin de la plage ?! Était-ce à cause de Talanaia ??

Ahhh ! Oui, je crois que ça me revient, ça me revient. Oui, cette fois ce n'était pas qu’un simple défi. Oui... Alaiti, Talanaia et moi avons grandi dans les Fatainés. Les maisons côtes à côtes des pauvres. Si collées qu’on dirait qu’elles ont été construites toutes ensemble. Vu que tout le monde habitait presque ensemble, il était commun de se considérer de la même famille. Frères, sœurs, oncles, tantes, il n’y avait pas forcément de relations de sang. Il suffisait d’avoir grandi ou de grandir ensemble. Tout le monde était au courant de tout, des problèmes de couples, des engueulades... Heh, tout le monde pouvait plus ou moins deviner ce que l’autre avait mangé la veille en raison des odeurs des cabinets. Surtout le vieux Aiyaui. Celui-là et ces fichues herbes médicinales empestaient tout le quartier.

C’était une sacrée époque de ma vie. Des fois, l’envie me prend à la gorge d’y retourner, mais ce n’est pas possible. Tout à changer, même si les Fatainés sont restées ce ne sont plus les mêmes personnes. Mes parents, Talanaia, Alaiti, Valati, ... Il ne reste plus que moi.

Et tout a commencé par un cadeau. J’étais un garçon stupide qui ne connaissait rien à rien. Qui ne comprenait rien à rien, qui ne voyait même pas le temps passer et les sentiments fleurir. Pour moi, les choses étaient bien comme ça parce que je n’avais réfléchi à rien...

Nous étions tous les trois au sommet de la colline de Taulega... Hmm est ce que je dois expliquer pour un étranger ? Mais quel étranger mettrait les pieds sur Lilico ? Ou dans la tour ? Ou même ailleurs ? Personne ne peut voyager sur l'océan sans se faire manger. Mais la boîte peut transmettre aux autres...

Hmm, je ne vais pas me fatiguer la tête pour rien. Taulega est l’une des trois pointes de Lilico : Mapouga, Ulaga qui ressemble à une tête bizarre et Taulega. Ouest, Nord et Est et c'est la plus proche du village. Voilà, vous mourrez moins bêtes, qui que vous soyez. Bien, je reprends.

Il y avait beaucoup de cailloux et peu de verdure et quelques arbres dont je n’ai jamais retenu le nom. Ce n’était pas des cocotiers, mais des euh, pfff... Des Nyssas, oui c’est ça. Les nyssas aux fleurs orange... Il n’y avait, il n'y a que quatre nyssas sur Taulega. Qu’est ce qu’ils faisaient là, je ne le sais toujours pas et j’avoue que ce détail ne m’a jamais intéressé. J’aimais juste y grimper pour être un peu plus près des nuages. C’est le ciel qui m’a toujours fasciné, hélas c’est l’océan qui m’a appelé en premier, maudit soit-il.

Comme à notre habitude, nous avions grimpé sur les plus hautes branches. Moi, regardant les nuages, Talanaia qui me fixait, et Alaiti qui dévorait Talanaia des yeux en se demandant probablement qu’est-ce qu’elle pouvait bien me trouver. L’amitié peut facilement devenir colère pour le cœur d’une femme, surtout dans les jeunes années. À l’époque, je n’en avais absolument aucune idée. La seule chose qui me préoccupait était d’essayer d‘apercevoir une étoile malgré le jour.

Il est vrai que moi Matagi, je suis le plus fort et le plus courageux des hommes. Mais quelques fois Matagi a des soucis avec la tête et il n’y connaît rien en amour. Il ne connait pas grand-chose aux gens non plus, trop occupé à ne pas essayer de les taper.

En haut de ce Nyssa, j’ai reçu mon premier et dernier cadeau de la part de Talanaia. Qu’est-ce que c’était déjà ? Des coquillages arrangés en longue-vue. Mais je trouvais que les coquillages c'était pour les filles. AH Matagi, Matagi !! ...


Je me rappelle maintenant le regard d’Alaiti, je me rappelle la colère. Non c’était bien plus que ça, c’était de la haine. Et moi je regardai bête comment Talanaia descendait l’arbre en pleur et qu’Alaiti essayait de la rattraper. « Je ne sais pas ce que j’ai fait, mais je m’excuserai plus tard » j’avais pensé. Je n’avais pas idée des complications que ce refus allait entraîner dans ma vie. Je voulais juste regarder mon ciel en paix, pour une fois sans penser à l’océan qui nous entourait et les horreurs dans ses entrailles. Je voulais rêver à une vie différente, là-haut, quelque part, ailleurs qu’ici.

Je n’étais redescendu que bien plus tard et toute la Fatainé était au courant de ce que j’ignorai avoir fait. Qu’y avait-il de mal à refuser le cadeau de sa petite sœur, surtout s’il ne me plaisait pas ? Je ne comprenais pas ce que j’avais fait de mal. Je me sentais... je me sens encore stupide, mais le passé ne peut être changé. 
Je ne comprenais pas que j’avais blessé celle qui était considérée comme mon épouse. J'ai été surpris de savoir que tout le monde le savait autour de moi à part moi bien évidemment. Ce genre d’idée passe par-dessus la tête de Matagi, malheureusement.  Ce qui explique peut-être pourquoi Matagi est encore célibataire ?! Bah... Toutes ces histoires de sentiment et je ne sais quoi, qui a le temps pour ces enfantillages ? Et qui voudrait du mariage ? Je suis marié à la mère depuis bien des années maintenant. Je la visite trois fois par jour, quelques fois j'y reste tout le jour et toute la nuit lorsqu'il y a des célébrations. Et je déteste chaque seconde de cette corvée. Il ne manquerait plus que je rentre à la maison pour faire de même, c'est de la folie ! Je ne comprends vraiment pas, et puis les enfants... je préfère risquer ma vie dans l'eau, au moins je sais pourquoi je subis cette torture parce qu’avec les enfants on a beau serrer les dents on ne sait pas comment ils vont finir ces monstres. Et puis, certains sont choisis pour tenter de devenir pêcheurs et on ne les revoit plus jamais. Tssk, il ne manquerait plus que je sois papa... Je me demande si mes parents étaient inquiets ?... 

C'est en cette soirée au coquillage que j’ai eu ma première dispute avec Alaiti, mon frère, mon ami qui était aussi, à l’insu de mon savoir, mon rival en un amour que j’ignorai. Il appairait donc que moi, Matagi, ignorait beaucoup de choses sur les personnes que j’appelai mes amis. J’ignorai beaucoup de choses sur mes parents, mes oncles, mes tantes, mes cousins, je n’avais de temps pour personne parce que la seule chose qui m’intéressait était moi et mes aspirations. Moi et ma souffrance dans ce monde recouvert d’eau que je déteste encore. Matagi était le souci de Matagi, non ce n’est pas ça. Matagi n’existait pas encore à l’époque. Quel est mon nom déjà... L'aurais-je oublié à force de m'appeler Matagi ? 


Entrée du 09/02/2557

Vay Lavasi. Vay Lavasi, comment est-ce que j’ai pu l’oublier ? Il est vrai que Matagi était le nom de mon baptême que j’utilise voilà des années maintenant. C'est le nom qui est chanté partout
"Oi matagi, o le tagata sili ona lafaifaiva
Na te tatalaina lona ala e aunoa ma le salamo
Oh Matagi, le fagota iʻa
Na te fafaga le nuu i vaitau uma..." 
(Oh matagi, le plus grand des pêcheurs
Il lance sa lance sans jamais râter
oh Matagi, le bourreau des poissons
Il nourrit le village chaque saison... )

Héhé, je l'aime bien celle-là. 

Matagi est le seul nom que j'utilise depuis mon baptême, car il est le charme offert par ce vieux fou de Valati. Matagi n’a peur de rien alors que Lavasi lui était un enfant perdu...

Mais où est-ce que j’en étais ? Ah oui, sur ma dispute avec Alaiti, mon frère, mon ami, mon meilleur ami, et aussi mon rival.
Il m’en voulait d’avoir blessé Talanaia
- Comment as-tu pu faire une chose pareille ? - avait-il crié, autant dire que toute la fatainé était au courant Et je lui avais répondu.
- Fait quoi ? Je n’aime pas les coquillages, tu le sais bien pourtant.
- Il ne s’agit pas de coquillages !! - s’était-il énervé alors en me prenant par le col. Je n’aimais peut-être pas l’océan, mais cela ne voulait pas dire que je n’aimais pas la bagarre. J’ai dû depuis tout jeune, imposer mon manque d’intérêt de la mer par la volonté de mes poings tout en ignorant les quelques raclées des nombreux parents. Mais les enfants de mon âge ou plus âgés, eux, avaient le droit d’encaisser mon opinion. Alaiti était d’ailleurs l’un d’entre eux. Même si on avait grandi ensemble, avant d’être amis nous nous sommes cognés quelques fois avant de nous respecter mutuellement. On n’avait pas vraiment le choix, je pense, alors on a commencé à se tolérer, puis à discuter et puis on a fini par sympathiser. C'est peut-être aussi pour ça que j'ai envie de cogner tout le monde... Me sentirais je si seule que ça ? Pfaa fafafafa, n'importe quoi ! Matagi se suffit à lui-même... je me suffis à moi-même...

Vivre dans la même Fataïné ne signifiait pas toujours des relations amicales, surtout chez les enfants. On pouvait se bagarrer pour un jouet qui avait été emprunté sans notre permission, ou pour être passé au mauvais ou bon moment. Cela dépend, mais certains calculaient bien les heures de visites pour les repas et on était obligé de partager, c'était particulièrement énervant... Les bagarres étaient, sont encore, vues comme une forme d’amusement par les adultes, il n’y avait rien d’étrange à voir deux gamins ou plus rouler dans la boue en lançant leurs petits poings. Disons que les adultes manquent cruellement de divertissement, surtout aujourd'hui. Et puis, en général les enfants sont arrêtés avant que ça ne tourne mal et le perdant est moqué de tous pendant des jours, ou jusqu'à la prochaine bagarre. Quelques fois elles étaient même incitées par l'ex-perdant pour qu'un autre soit la source de moqueries.

Les parents aussi n’étaient pas étrangers à cet exercice, même si en général c’était plus comique qu’autre chose. Pour moi du moins, ou peut-être que c’était mon père qui était mauvais ? Est-ce que je suis un mauvais fils pour m’être moqué de lui avec tous les autres les fois où ils mangeaient la boue ? Meh, il faisait de même de toute façon. On se bagarrait, on se réconciliait, on riait, on souffrait tous ensemble. J’avais une vie bien simple sur un caillou perdu au milieu de l’océan.  

Oui c’est comme ça que j’ai connu Alaïti, le brave Alaïti qui voulait devenir pêcheur. Qui voulait conquérir cet océan complètement fou, cet océan qui ne tolérait plus la présence de l’homme. Enfin si, mais comme nourriture. Il m'avait dit un jour que s'il devait fonder une famille, il ne voulait pas être inutile. Il voulait être acteur de changements, il voulait donner l'espoir comme dote de mariage... Comment tu as pu voir en moi un ennemi Alaïti ? Si tu m’avais parlé comme à un ami au lieu d’être consumé par la jalousie. Pourquoi tu n’as pas vu que je n’avais rien à jalouser ? Je ‘n’avais rien du tout si ce n’est une personne avec qui parler…

Cette fois, où on s'est disputé. Ses mots avaient dépassé sa pensée, ou peut être pensait-il vraiment ce que sa bouche disait ? À vrai dire je n’en avais rien à faire, parce que c’était mon orgueil qui était touché. Je détestais peut-être la mer, mais je n’étais pas un lâche. Et je ne voulais pas paraître un lâche devant mon meilleur ami non plus, même si je ne comprenais pas ce qui se passait. Les mots qu’il avait dits m’avaient vraiment blessé parce qu’ils avaient heurté la vérité, une vérité à laquelle je refusais de penser. Et comme je ne savais pas quoi répondre en retour, quels arguments sortir pour me défendre... Comme j’avais peur de m’avouer cette vérité, comme j’avais mal, comme je me sentais attaqué sans raison, j’ai riposté par les poings. Avec la volonté de faire aussi mal que j’ai eu mal, ami ou pas j’avais envie que le garçon en face de moi pisse le sang. Non, à vrai dire je voulais pire.

Pour avoir essayé de détruire mon rêve de toucher un jour les étoiles et de quitter cette eau à jamais, pour avoir traîné mon ambition que j'ai partagée avec lui dans la boue, je voulais détruire Alaïti à mon tour. Une mentalité d’enfant, non une mentalité de faible de cœur et d’esprit. L’âge n’avait aucune importance, mon rêve était un poids pour ce monde, il n’allait nourrir personne et à vrai dire je n’avais aucun désir de le réaliser.

Cette fois, les adultes ont dû nous séparer. Je n’avais jamais vu mes parents si énervés. À leurs yeux j’avais essayé de tuer mon frère, et c’était pareil pour Alaïti.

La bagarre avait dépassé le stade de chamailleries d’enfants lorsque j’ai essayé, ou lui a essayé, à vrai dire je ne me rappelle plus. Mais clairement quelqu’un avait essayé de percer l’œil de l'autre. Connaissant mon caractère, j’aurai plus tendance à parier que c'était moi. Mais bon, je ne voyais pas clair non plus et puis c’était une époque différente... Je me demande quand même ce qui s’est passé en vrai...


Entrée du 11/02/2557

J’ai refait un tour dans ma fataïné de naissance, et les choses n’ont vraiment pas changé y compris la relation avec mes géniteurs. Étant un pêcheur, je vis dans la tour, enfin une partie de la tour habitable. Et mes journées sont dictées par les heures de pêches, nourrir toute une île ne me laisse aucun moment de paresser. Ha ! Écoutez-moi geindre, moi Matagi serai-je si faible que le travail me fasse me plaindre ? 

Mais durant mon séjour dans mon lieu de naissance, j’ai pu revoir plus clairement mes souvenirs. J’ai pu me rappeler des détails qui m’avaient échappé quand j’étais plus jeune. Surtout le regard, celui d'Alaïti, quand je l’ai agressé. J’aurais dû y voir le signe de notre future mésaventure, j’aurais dû voir que nos liens avaient été coupés par mon impulsivité.

J’ai pu me rappeler ses différentes expressions, ses yeux mouillés de tristesse et de douleur qui demandaient une explication. Ils demandaient pourquoi ! Pourquoi tu injuriais ainsi mon rêve ?

Ce n’était pas Alaïti qui avait voulu détruire mon rêve, c’est moi qui avais marché sur le sien. Il était amoureux de Talanaïa et moi je n’y prêtais aucune attention. La façon dont j’avais rejeté son cadeau était comme si j’avais piétiné son ambition d’être avec elle. En tant que frère il me demandait de respecter la femme qu’il avait choisie, de respecter sa valeur, de respecter la relation qu’il voulait établir avec elle. Qu’elle m’ait aimé et que j’ai refusé cet amour n’était pas le problème, c’était le comment. C’était l’indifférence qui disait que Talanaïa, que le rêve d’Alaïti, n’avait aucune aucune importance. En tant que frère, j’avais failli, mais je n’avais rien vu de tout ça. Je n’avais réfléchi à rien, comme toujours je n’étais préoccupé que par ma propre personne et par la difficulté d’être entouré de personnes qui ne comprenaient rien à rien. Hahahahaha... Matagi, tu n’es qu’un fou. Ou peut-être que j’essaye trop fort de justifier son action ? Je ne sais plus...

Entrée du 16/02/2557

Aujourd'hui je n'ai pas beaucoup de temps, alors je ne parlerai pas du passé. J'ai trouvé les traces d'une petite rareté pas très loin d'ici et je ne vais pas tarder à retourner dans l'eau. Cette petite merveille est plus simple à pêcher à la nuit tombée. Je voulais juste dire qu’en commençant ce journal j’avais l’impression d’être complètement idiot. Je veux dire être assis là et dire ce qu'on a à l'esprit... Quelques fois j'ai l'impression d'être un idiot à parler tout seul comme ça. Et puis, à quoi bon laisser mes états d’âme et mes pensées sur cette machine ? Mais j’avoue que je commence à me sentir. Hmm, comment dire... Pas mieux, parce que Matagi se sent toujours bien. 

Non, pas moins seul non plus, parce que Matagi a tout un village avec lui. Même si les habitants ne sont pas très brillants. Mais comment dire, je n’ai pas envie de planter ma lance dans le premier venu, je suis un peu moins énervé aussi. Par contre là je ne sais pas si c’est une bonne chose parceque j’ai besoin de la colère pour me donner les forces de pêcher. Alors j’aimerais continuer à mettre mes pensées sur la machine, mais sans que ça me rende trop bien. Il faudrait que je pense à quelque chose d’énervant. Hmmm... 


Entrée du 03/03/2557

Hmm par quoi commencer aujourd’hui ?
Il y a beaucoup de choses qui se sont passées, mais je n’ai pas vraiment envie d’en parler. Cela pourrait me donner de l’espoir. En fonction des informations que je vais recevoir, je verrai si j’accepte de faire partie du plan. 

Quoi d’autre ? J’ai failli me faire dévorer aujourd’hui. Cette saloperie a failli me surprendre avec son bec, pendant que je récupérai des pierres de Dao. Ce sont des pierres qu'on utilise pour échanger contre certains services comme la cuisine, ou certains objets aussi. Des babioles comme des statues, ou des meubles en terre séchée et plus rarement en céramique. Des jolies choses artistiques qui servent à décorer. Bah ! Quelles foutaises. De voir comment on utilise ces pierres que je passe des heures à récolter me retourne l’estomac. Je comprends, mais ça m’énerve, je le dis ça m’énerve et je le dis à n’importe qui, n’importe quand. C’est stupide et ça m’énerve, voilà.  

Moi, je les utilise principalement pour la tour qui peut réparer mon équipement, c'est très pratique. Sans cette option, je ne sais pas comment on aurait fait. Les anciens savaient vraiment comment réfléchir même s’ils auraient pu faire en sorte qu'il y ait plus d'un set complet pour pêcheur. Là, j'ignore si c'est un problème de conception, ou un problème qui est venu avec le temps. Je n'ai pas trop touché à tous les boutons, de peur de casser quelque chose, ce serait vraiment dramatique. Ah oui, en plus de pêcher je mine aussi, c’est limite si je ne fais pas tout dans ce foutu village.

Mais revenons à ma rencontre avec le poisson. Je lui ai appris à celui-là qui était Matagi ! Ce n’est pas Matagi qu’on dévore, c’est Matagi qui dévore ! Non, une seconde. Ce n’est pas Matagi qui finit dans le ventre du poisson, mais Matagi qui... ah et puis zut, je l’ai bien embroché l’animal hahaha. Mais quelque chose ne tourne pas rond, cet animal n'avait rien à faire là. 

Les Falituas sont en générale une espèce assez pacifique, mais attention ! ça ne va dire qu’ils ne sont pas dangereux. Ces saloperies ont des moyens de défense capables de réduire un humain en charpie, notamment leur longue gueule dure qui peut servir de pince. Mais ce que je trouve le plus délicat ce sont leurs appendices à trois doigts qui sortent de leurs nageoires pectorales, dorsales et pelviennes. Si on se fait attraper par ces machins mains à l'apparence molle, c'est pratiquement impossible de s'en sortir à moins de s'appeler Matagi. 

En général, les falituas servent de casse-croûtes aux autres gros poissons et nagent en bandes. Mais celui-là était non seulement seul, mais en plus il s’est approché des côtes. Il n’a prêté aucune attention aux répulseurs acoustiques, et le pire c’est qu’il m’a pris pour un encas. De toute l’histoire de Lilico je ne pense pas qu’un tel cas ne s’est jamais produit. Quoi que, vous me direz que l’histoire des pêcheurs n’est pas vraiment documentée. À part les dires et la transmission orale, je crois être le premier à utiliser la machine pour y laisser mes pensées. Peut-être que ce que je fais est important alors ? Ha ! J’aime bien cette idée.

Malgré la surprise de l’attaque, j’ai pu éviter de me faire prendre et j’ai réussi à lui planter la lance tout de suite après dans l’abdomen, et bien enfoncer en trifouillant son intérieur jusqu’à ce qu’il ne puisse plus bouger. Quelques fois Matagi impressionne Matagi. Mais je vais devoir observer les courants, j’ai comme un mauvais pressentiment.


Entrée du 13/03/2557

J’ai pensé laisser des observations sur mon travail en plus de mes pensées. Comme ça je peux être encore plus utile. Je veux dire, je pêche et je mine toute la journée, des fois je participe au marché. Moi Matagi, je suis le centre de toutes les activités de Lilico. Mais là je peux parler de ce que je sais plus en détail. Après tout, rien ne garantit que je puisse transmettre mon savoir de vive voix au prochain pêcheur. J’ai l’impression que l’océan change, c'est quelque chose que le vieux fou de Valati m'avait dit un jour : le courant va amener le pire. Je dois redoubler de prudence et préparer la relève au cas où quelque chose puisse m'arriver. 
Donc j’ai créé un nouveau dossier que j’ai appelé : évolution de la faune et de la flore sou-marine de Lilico: observations de Vay Matagi. Je pense que le nom est un petit peu long, mais chaque mot choisi par mes soins est important. Je devrais peut-être aussi en parler au maire pour précipiter la nouvelle relève ? Hmm, je ne sais pas, les enfants potentiels sont encore trop jeunes... Je verrai ça plus tard. 

Par contre ici, je préfère le garder comme temple des pensées de Matagi. Parler me fait du bien, même si au final je parle avec moi-même. Vous vous dites pourquoi je ne passe pas du temps avec les villageois ?   

Je les vois tous les jours et ils ne font que se plaindre et vouloir plus, et que je fasse si ou que je fasse ça... Je préfère souffler loin d’eux, ici, dans la tour. Je me demande comment Valati, ce vieux fou, faisait pour vivre au milieu d’eux et de les écouter parler sans arrêt de leurs problèmes sans se soucier de ceux des autres. Ou peut-être que c’est moi qui ne donne pas envie de s’intéresser à mes problèmes ? Bah ! Ils ne savent pas quelles aventures ils ratent. 

Je me suis habitué à vivre ici, le bruit incessant des mécanismes est devenu comme une berceuse, pour les fois où je peux me permettre de dormir. Je me demande ce qu’elles font ces machines ? C’est peut-être stupide à dire, mais je n’y avais jamais vraiment pensé et puis ce n’est pas comme si j’allais comprendre comment tout fonctionne et pourquoi ?

Pêcher, ça je peux. Supporter les bêtises de Lilicons, je peux aussi. Mais tout ce qui touche aux machines, ça ce n’est pas mon fort. Même Matagi à des limites à ce qu’il peut accomplir. Mais, peut être que quelqu’un peut comprendre... haha, pas parmi les Lilicons.

Hmm c’est déjà l’heure de la pêche du soir...



Entrée du 30/03/2557

Ah ! C’est agréable de pouvoir souffler un peu, de sortir de l’action et de poser ses vieux os. Je constate de jour en jour que l’océan change, il commence à être particulièrement dangereux même pour moi. Les espèces bougent, et la répartition des territoires change aussi. Est-ce que c’est un phénomène naturel ou provoqué ? Je ne sais pas comment mon successeur va me surpasser moi Matagi, mais je pense que la sélection va être dure. Je dois m’assurer que celui qui plonge aura la force de replonger et ce peu importe le nombre de fois nécessaires. C’est le seul espoir du village... J’aurai la mort de beaucoup de jeunes sur la conscience... Mais que faire d’autre ? Je ne sais pas. Si seulement ce vieux fou de Valati était encore là. J’aurais aimé avoir tes conseils grand-père... Qu'est-ce que je peux faire pour que la situation ne tourne pas en bain de sang ? 

Je vais essayer de fermer l’œil, peut être que le grand-père me soufflera la réponse dans le sommeil...





Entrée du 18/04/2557

La nuit dernière j’ai essayé de pêcher quelques Iafulauvés. Un gros poisson avec des dents comme des plumes. Il n’est pas méchant et à une viande coriace, riche. Il se trouve en moyenne à 15 km des côtes, dans la crevasse d’Alilua. Ils aiment bien les algues là-bas qui cachent de bons planctons. Je m’étais faufilé en essayant de faire le moins de bruit possible et sans les lumières pour ne pas attirer l’attention des autres saloperies. Alilua est un vrai cauchemar à naviguer et Matagi est le seul à pouvoir le faire, parce que je connais chaque millimètre de la géographie de l’île à 45 km à la ronde. J’apprends d’ailleurs comment faire une carte dans la machine que je peux laisser pour mon successeur. Il ne sera jamais à la hauteur de Matagi, mais avec un coup de main de ma part, peut-être qu’il permettra au village de ne pas mourir de faim. Mais ce n'est pas facile, il y a des machins que je ne sais pas ça sert à quoi. Je veux juste dessiner des lignes, ce n'est pas la mer à boire...

Au-delà de 45 km je n’ai pas pu explorer correctement. D'ailleurs personne ne devrait s'aventurer à explorer ces lieux... La première fois que j'ai essayé, il y a bien des années de cela : 4, ou 5 peut-être, j’avais été stoppé par des courants très étranges. Il y avait des tonneaux d’eau et des tourbillons, j’avais l’impression d’être une brindille dans le vent, ou dans l’eau ? Je ne sais pas si ça se dit, mais Matagi peut inventer les mots qu’il veut.

J’avais trouvé cela étrange, nulle part ailleurs autour de Lilico il n’y avait de tels phénomènes. Une barrière tourbillonique, enfin une barrière de tourbillons quoi. On les voit de temps en temps à la surface, au loin, mais autant sous l'eau c'était du jamais vu pour moi. Qu’est ce qu’il pouvait bien y avoir là-bas qui rendait l’océan fou ? La question m’intriguait, je n'en dormais pas la nuit. Mon cœur battait, séduit par ce mystère et cette nouvelle découverte comme celui d'une jeune fille. Je me disais même que j'avais fini par être séduit par ce maudit océan.

J’ai pu y retourner à plusieurs reprises pour essayer de comprendre le phénomène. Est-ce que c'était dû à une particularité géographique qui forçait les courants marins à devenir fous, ou est-ce que c'était un phénomène temporaire causé par un facteur inconnu ? Mais à chaque fois c’était pareil : irrégularité, imprévisibilité et chaos.

Au bout de la 10e visite, j’ai eu la brillante idée de brancher mes lampes pour voir, mais pas pendant longtemps. Je n'avais pas non plus envie d'attirer toute la faune aquatique à moi. Déjà que les mouvements dans l'eau peuvent les attirer alors avec les lumières s’était dû 100 %. Eh bien, j'ai effectivement découvert quelque chose : QUI QUE VOUS SOYEZ, NE FAITES JAMAIS, JAMAIS CETTE ERREUR !

En réponse à mon jeu de lampe, l’océan s’est illuminé de mille couleurs qui dessinaient un chemin à perte de vue. Quelqu’un d’autre aurait pu trouver cela magnifique, mais moi, Matagi, je me suis enfui aussi vite que j’ai pu avant qu’on ne me remarque.

Ce qui m’avait frappé en premier était que, pendant l’instant où l’océan était illuminé par ce soleil, je n’avais vu aucun poisson aux alentours hormis la ligne de couleurs qui serpentait au loin. Ce n’était pas normal, non ce n’était pas normal... Mon instinct et mon expérience me disaient que ce n’était pas normal.

J’ai alors compris que le phénomène des tornades sous-marines n’était pas la volonté de l’océan lui-même, mais de quelque chose qui nageait dans ses entrailles. Quelque chose que je ne peux même pas imaginer et qui ne m’a heureusement pas remarqué parce que je n’ai pas hésité une seconde à m’enfuir... Vous pouvez peut-être penser que ma conclusion été hâtive ou que j’ai eu peur de rien. J’admets volontiers que j’ai eu peur, de la cime de mes cheveux à la pointe de mes doigts oui j’ai eu peur, mais pas de rien. Oubliez tout ce qui va au-delà des 45 km, n’attirez pas cette chose vers Lilico, elle pourrait bien avaler l’île entière. Moi, Matagi, ne suis pas fou, pas encore.

Entrée du 08/05/2557

Mes horaires commencent à être infernaux et tellement de choses se sont passées que j'ai oublié de reparler de mon histoire avec Alaïti. J'avoue que les soucis quotidiens et la fatigue m'ont fait oublier que j'avais commencé à en parler. Je devrais avoir honte de l'avoir mis de côté comme ça, mais... Mais bon, c'est la vie, les souvenirs vont et viennent au gré du temps.

J'y ai repensé d'ailleurs uniquement parce que j'ai remonté les souvenirs de ma rencontre avec cet "arc-en-ciel" que j'ai appelée Moso tiiti: l'enfant de Moso. Ce souvenir m'a pourchassé même dans mes rêves et il n’a pas été facile d’en triompher. Est-ce que les changements de l’océan sont liés d’une quelconque manière à cette chose ? Et si c’est le cas, que puis-je faire à part ignorer ?

J’ai besoin d’en parler aux autres pêcheurs, des autres îles. Maintenant qu'on sait que la machine peut nous permettre de communiquer entre les tours... Bah, je ne sais pas vraiment en quoi cela va nous aider, mais j'ai besoin de confirmer si je suis le seul à avoir fait une telle rencontre. Est-ce que l'océan a ravi mon esprit ou est-ce que j'ai bien vu ce que j'ai vu ? Il va s’en dire qu’aucun villageois n’est au courant. Par peur, ils pourraient même me demander de les en débarrasser et me pourrir la vie jusqu’à ce que j’accepte. Sans parler de la panique... je prends sur moi de ne rien lui dire, et celui qui découvrira mes mots sera libre de choisir pour lui sa propre voie.

Pour l’instant je vais continuer mon voyage dans le passé. Mettre mon histoire et celle d’Alaïti dans la machine, pour que quelqu’un se souvienne de lui après mon départ.

Mais je ne me rappelle plus où je m’étais arrêté...



Entrée du 25/05/2557

Le mois arrive à sa fin, je serai occupé avec la préparation du festival de Moso: l'incarnation de toutes les eaux de ce monde. Je vais devoir faire tout le boulot pendant encore 7 jours et les Lilicons vont s’empiffrer pour célébrer la mi-lune et la naissance de Moso. Ils m’énervent ! Lorsque je sortirai, le prochain que je vois de bonne humeur recevra une gifle de Matagi, comme ça, pour le principe !

Mais ce n'est pas ce dont je voulais parler. Je me rappelle où je m’étais arrêté : à la nuit où j’avais essayé de tuer mon frère, de tuer Alaïti parce que j’étais fou de colère. Parce que je me sentais insulté de manière injuste alors que j’avais fait de même.

Depuis cette nuit, nos relations n’ont jamais été les mêmes. Notre fraternité s’était terminée là et nous étions devenus ennemis. Ce n’était pas comme au début de notre relation où nous étions seulement deux inconnus qui se tapaient de temps en temps. Là nous savions exactement comment faire mal à l’autre, et tel était le but. Faire mal, briser l’autre.

J’aurais aimé que quelqu’un puisse nous arrêter, mais même les mots de Talanaia n’avaient plus d’importance. La pauvre ne pouvait que regarder comment nous nous détruisions méthodiquement, creusant de jour un jour un fossé que rien ne pourrait jamais combler.

J’aurais vraiment aimé que quelqu’un puisse stopper notre folie... Mais en toute honnêteté je ne vois ni qui, ni comment. Les adultes avaient beau essayer de nous réconcilier, on se tapait déçu dès qu’ils avaient le dos tourné. Les punitions n'arrangeaient rien non plus, ça ne fait que nous énerver plus parce qu’on se disait que c'était la faute de l'autre. J’ai failli perdre un œil comme ça, et les dents cassées je ne les compte même plus…

L'autre, toujours l'autre, c'est tellement facile de blâmer l'autre. Ah c'est déjà l’heure ? 

Entrée 08/06/2557

Le maire m’a expliqué que mettre des gifles ce n'était pas correct. Je lui en ai mis une en expliquant ma pensée. Je lui ai dit... Hmm, une seconde que je m’en rappelle. Ah oui, je lui ai dit : Fou moi le camp, connard ! Et si tu me parles encore de ces foutaises, c’est mon pied que tu vas recevoir dans la bouche !
Je pense que le sujet ne sera plus abordé à l’avenir. Fichus Lilicons...

Je n’ai toujours aucune réponse des autres pêcheurs. Communiquer à distance c’est bien, mais ça ne sert à rien si je n’arrive à joindre personne. Ah et puis, peu importe, il est vrai que d’apprendre que Lilico n’était pas la seule île habitée était une bonne nouvelle. Mais au final, chacun reste de son côté parcequ’il est impossible de voyager sur l’eau ou même sous l’eau à part si on est un pêcheur. L’équipement fourni par la tour est le seul moyen de locomotion à disposition. Et à Lilico, il ne peut y avoir qu’un seul pêcheur.

Peut-être que si les agriculteurs arrivaient finalement à planter quelque chose, on pourrait essayer de planter du bois... Non, l’idée est stupide... Rien n'a jamais poussé et rien ne pousserait jamais, à part ces fichus nyssas. Je me demande pourquoi d'ailleurs. 

Je dois y aller. Les préparations du festival m'obligent à ne pas dormir, ça fait quatre jours que je suis debout à faire des allers-retours permanents entre l'océan et le marché. L'odeur de poisson fumé est partout dans le village, ça me donne envie de vomir. 

Entrée du 19/06/2557

Le festival est finalement terminé et j’ai été occupé à planter ma semence pour garantir un futur pêcheur qui pourrait arriver à la cheville de Matagi. Rien de plus normal pour Mata... Non,non... qu'est-ce que je raconte. 

Sygana, j'ai rencontré une femme que je n'avais jamais vue auparavant et pourtant, vu mon âge et mon occupation j'ai été amené à côtoyer tout le village. Mais je n'avais encore jamais remarqué Sygana... Quel nom étrange, fleur de Lys. Je ne crois pas en avoir jamais vu de ma vie.  

Déjà, je me suis assuré que pour le festival il y a suffisamment de poisson pour tout le monde. Comme ça, sur un malentendu, je pouvais également profiter de l’ambiance si l’envie m’en prenait. Je ne suis pas un si mauvais danseur, c'est juste que je n'ai pas eu l'occasion de beaucoup pratiquer, et puis je déteste danser. Je secoue assez le corps comme ça dans l'eau, quel intérêt de le faire ailleurs. 

Et puis, je ne sais pas. Il y a trop de monde pour danser et puis tout le monde vous regarde et vous juge... Il y a trop de bruit, il y a trop de tout ! Voilà. Personnellement ce n'est pas mon truc, je ne me sens pas bien entouré d'humain. Je peux supporter le stress de la rencontre permanente avec la mort, mais les enfants qui cours partout, et les jeunes que se courent après et toutes ces bêtises. Les lumières, les alcools... Je ne sais pas. Valati me disait qu’il n’y avait pas de moment plus gratifiant que d’offrir cette joie. Et sincèrement, je peux comprendre son point de vue. Seulement je préfère rester à l'écart et regarder les feux de l'humanité au loin. 

J’ai passé la plupart des festivités dans l’eau. Quel cruel destin pour moi qui déteste l’océan d’être devenu son amant inséparable. Je m’étais dit qu’il valait mieux surveiller le récif au cas où un poisson ait réussi à se faufiler, surtout avec cet océan qui change et les abrutis dans les tours de guet qui se sont joints aux autres. Je n’avais que ma lance ce soir-là, mais pour moi, Matagi, c’était plus que suffisant pour protéger les côtes.

J’ai regardé, et regardé, mais tout était tranquille. J’ai attendu et attendu, jusqu’à ce que les derniers rires ne soient plus. J’ai attendu que tout le monde se soit endormi sous le poids de l’ivresse ou de la fatigue. Il y a déjà le petit soleil qui sortait sa tête.

C'est seulement là que j'avais décidé de rentrer chez moi. Il restait encore du poisson, alors je pouvais prendre un moment... Oh, il est l’heure de miner.


Entrée du 30/06/2557

Ce n’est pas bon. J’ai repensé à Sygana, à sa peau douce, et à ses lèvres... J’ai repensé à notre rencontre alors que je rentrai chez moi. Elle se baladait sur la plage, elle me cherchait moi, Matagi, toute la nuit. Je veux dire, ce n'est pas très étonnant. Après tout je suis le centre de tout ici sur Lilico. Sans moi... sans moi, je ne sais pas ce qu'ils feraient, et des fois ça me fait peur. Avoir une telle responsabilité sur les épaules c'est vraiment fatigant quelques fois.

J’avoue que lorsqu'elle m’a abordé avec son sourire et son assiette je n’avais qu’une envie, c’était de continuer mon chemin. Je n’ai pas besoin de merci pour ce que je fais, je n'ai pas besoin qu'on vienne me parler non plus en faisant sembler de s'intéresser à mes problèmes. Ça m'énerve e ça me donne envie de donner des claques, je ne sais pas, ça me rend juste nerveux et tremblant et énervé pour rien. C'est bizarre, je ne sais pas d'où ça vient, mais voilà c'est comme ça. Je fais ce travail parce qu’il n'y a personne d'autre pour le faire. Et je fais ce travail parce que je ne sais plus rien faire d'autre. C'est ma vie jusqu’à ce que ça ne le soit plus, mais si je m’écoutais j’aurais tout laissé tomber depuis longtemps. Je hais vraiment cet océan qui ne finit pas de se moquer de nous.  

Mon premier réflexe avait été de l'ignorer. Juste regarder droit devant moi et la dépasser en injuriant son insouciance. Mais là, elle se jeta sur moi pour se coller contre ma poitrine musculeuse. Je ne m’attendais pas du tout à ça et mon cœur tressaillit. Je...J’avais oublié cette chaleur. J’avais oublié la douceur d’une femme, car je n’avais plus que la mer comme amante depuis...depuis toujours.

Matagi, pêché si facilement par une femme. Ha ! Je comprends maintenant ce qu’Alaïti recherchait si désespérément, je comprends l’envie de caresses qui le tenaient éveillé la nuit, qui le poussaient à devenir meilleur que moi, meilleur que tout le monde. Surpasser pour plaire, plaire pour posséder. Beaucoup de choses que je ne comprenais pas jusque-là explosèrent en moi avec tellement de sens que je ne savais plus. Je ne comprenais plus rien, figé comme un poteau stupide, surpris à l'en faire rigoler. SI cette rencontre était à refaire, je le referais. En fait je donnerai tout pour la refaire et lui dire. Pff qu'est que je pourrais lui dire : 
- belle soirée n'est-ce pas ? Ça vous dit de... 

De quoi ? Ah et puis je ne sais plus... Tout ce que je sais c'est que je ne peux plus la revoir. J’aurai trop peur de plonger, trop peur de ne plus revenir...  Et là-bas, dans les étreintes étouffantes et égoïstes de l’océan, je ne peux pas me permettre d’avoir peur. Je ne peux pas douter, je ne peux pas hésiter, je ne peux penser à rien d’autre si ce n'est au danger permanent qui m'entoure. Mais je sais maintenant pourquoi je dois continuer à nourrir ce village. Un dieu moqueur a dû m'entendre râler et c'est décidé à me donner une raison à tous mes efforts, tssk, sauf que je ne sais pas si c'est une bonne chose. Mon cœur n'est plus en place, et ma tête est toute bizarre. À chaque fois que je croise une femme dehors j'ai peur que ce soit elle. Mais c'est quoi ça ! Qu'est-ce qui m'arrive enfin ? Je ne me reconnais plus. Je pense à des bêtises comme : est-ce qu’elle me comprendra ? 

Sygana, est-ce que tu peux me comprendre alors que moi-même, Matagi, suis dans le brouillard ? Pourras-tu pardonner mon choix sans que je ne te dise quoi que ce soit ? Est-ce quoi Matagi suit si faible dans le cœur ? Alors que je crache au visage de la mort, je ne peux avoir de la place pour l’amour ? 

Entrée du 20/07/2557

J’ai...Il apparait que je m’étais emballé. Je me suis dit que je devais rassembler le courage de parler à Sygana. De lui expliquer les choses d’homme à femmes. Mais ce n’était pas nécessaire, elle était déjà avec quelqu’un. J’ai d’abord pensé que c’était un membre de sa famille, un frère ou un cousin. Cependant leurs interactions laissaient penser autre chose. Je les ai observés à distance comme une fillette troublée, moi Matagi...

C’est mieux comme ça, c’est mieux pour tout le monde. Je peux continuer à braver la mort... BORDEL DE MERDE !!!!

Entrée du 25/07/2557

J’ai rêvé d’Alaïti pour la première fois depuis. Ça fait combien de mois maintenant ? Je ne sais plus.  Il me revient souvent ces derniers jours. Je pense qu’il vient se moquer de mes peines, et tu parles d’un ami !

Non, je plaisante. Je sais qu’il essaye de me rassurer. Malgré tout ce qui s’est passé entre nous, malgré cette nuit de malheur.

Notre relation s’était complètement détruite. Non, ce n’est pas ça. En réalité, elle ne tenait qu’à un fil. Un fil que je voulais préserver, car mon ami commençait à me manquer. Les bons moments passés ensemble, nos rêves, nos bravades, nos jeux... Ma poitrine se serrait en pensant que tout cela était sur le point d’être détruit sans que je ne sache pourquoi. Mais j’étais fier, j’ai dû être fier pour ignorer les moqueries. J’ai dû devenir dur, pour leur rabattre la bouche à coups de poings à défaut de mots qui ne venaient pas. J’ai essayé, mais les mots ce n’est pas pour moi. Il n’y a qu’à une machine que je m’offre la liberté de parler comme ça. La seule autre personne était Alaïti. Même Talanaïa ne connaissait rien de moi, c’est peut-être pour ça qu’elle m’avait aimé ? Elle était sous le charme d’une illusion ?

Ah ! Talanaïa, quelle femme tu es devenue. Une mère et la femme du maire, rien que ça. Je ne sais pas si je dois être fier, mais au moins je suis rassuré qu'elle ait continué à vivre...

J’espère que tu es heureuse ma petite sœur, même si j’ai entendu dire que ton enfant était compliqué. J’espère que le destin lui épargnera le chemin que j’ai dû traverser. J’espère qu’il n’aura pas à connaître intimement l’océan et qu’il n‘aura à voir les horreurs qu’il abrite que dans son assiette.

Mais je m’égare. Je voulais reconquérir l’amitié d’Alaïti, et la seule solution qui m’était venue à l’esprit était à travers le respect. Je devais regagner son respect avant de pouvoir à nouveau fraterniser.

Cependant il m’avait précédé en ce soir fatidique. Il m’avait défié à nager le plus loin possible dans la mer des coraux, et je ne pouvais pas dire non. J’aurai préféré une bonne vieille bagarre à l’ancienne. Ou une course de vitesse sur l’île entière. Mais l’océan... J’étais à deux doigts de renoncer à toutes ces foutaises et rentrer chez moi, mais je ne pouvais pas.

Alors nous sommes allés, à la nuit tombée, faire face à nos peurs pour dépasser notre désaccord. Les bonnes intentions ne finissent pas toujours bien, surtout si ce sont des idiots qui en sont à l'origine. 

J’aimerai dire que cet instant est à jamais gravé dans mon esprit. Mais c'est faux, c'est très faux. Pendant longtemps je l'avais enfoui quelque part au loin et il n'y a que mes rêves qui me le montre, dès fois. Elle me montre cette lune verdâtre qui s’était dévoilée derrière les nuages, les vagues déferlant calmement sur le sable vert : des comptes à rebours de notre folie.

À la quinzième vague, nous avons couru de toutes nos forces dans l’eau sans nous rendre compte qu’à quelques kilomètres de là, au-delà de la protection du corail, le vieux Valati avait du mal avec sa pêche...

Entrée du 03/08/2557

Les autres m’ont finalement répondu et m’ont expliqué leur fameux plan. Je dois admettre qu’ils sont complètement fous. Ils prétendent pouvoir non seulement calmer le changement de l’océan, mais également tout retourner comme aux temps anciens avec l’Ulwazi. J’ignore ce que c’est, mais aucun objet ne peut changer l’état de notre monde. Je vais quand même étudier les éléments qu’ils m’ont fournis, moi Matagi, je suis un homme de parole.

En attendant, je veux continuer mon histoire.

Alaïti avait attaqué fort depuis le départ, il ne pensait même pas à préserver ses forces un peu comme s’il ne pensait même pas au retour qu’il fallait devoir faire. Et je n’avais d’autres choix que de tenir la cadence et attendre qu’il s’épuise parce qu’en toute honnêteté je ne pouvais pas faire mieux. Il était un rival à ma mesure. Non, il était plus fort, mais moi j’étais plus tenace. Je ne lâchais rien et ça l’énervait, je pouvais le deviner facilement dans chacune de ses brasses.

Il y mettait de plus en plus d’efforts, ce qui signifiait qu’il allait s’épuiser de plus en plus en vite. En théorie, c’est ce que je pensais, mais en pratique Alaïti continuait à mettre de la distance alors que c’est moi qui me fatiguais de suivre.

Je détestais l’océan et je ne pratiquais la nage qu’à l’occasion, il était évident que cette épreuve n’était pas à mon avantage, mais je voulais quand même gagner. Je voulais lui montrer que j’étais le meilleur. 

C’est à ce moment que tout avait basculé.

J’avais entendu un grand SPLASH ! et les vagues me submergèrent cassant mon rythme, m’entrainant au fond. Je n’avais pas vu ce qui en était la cause, mais il ne fallait pas être un intelligent pour comprendre qu’un poisson avait sauté par-dessus la barrière de corail. Cela arrivait de temps en temps, un poisson pouvait se sentir téméraire ou perdu, ou pris de folie passagère. J’ignore ce qui leur passe par la tête quand ils font ça, tout ce que je sais c’est que ça me facilite la tâche.

Cette nuit-là était simplement un manque de chance, un cauchemar qui me hante encore à ce jour. Quand j’ai le temps de dormir, et quand je ne suis pas trop fatigué pour rêver.  

Le poisson en question était un Foï’ani, une espèce banale qui n’avait pas d’appendices, pas de formes étranges. Il était juste un très gros poisson ovale tout moche, avec des dents comme des piques. En toute sincérité et malgré le respect que je lui dois, Valati n’aurait dû avoir aucun mal à terrasser cette chose. Mais il commençait à devenir vieux et il ne pouvait pas se douter que deux abrutis faisaient la course à cette heure de la nuit...


Entrée du 12/08/2557

J’ai rêvé de l’accident avant de me réveiller en sueur. Je n’ai pas transpiré autant depuis... of, je ne me rappelle plus. Je ne pensais pas que revivre le passé aurait un tel impact sur moi. Pour me calmer les nerfs j’ai dû pêcher au moins vingt Foï’anis, mais je suis encore colère. Et je ne sais pas si le temps pourra fermer cette blessure.

Tout s’était passé si vite pour Alaïti. Pourquoi le poisson l’a choisi lui ? Est-ce que c’était parce qu’il était devant moi ? Je crois pourtant que j’étais le plus proche, ou est-ce que la peur m’avait fait voir des foutaises ? 

J’avais juste vu une fontaine de sang mélangée à l’eau. Et dans mon rêve j’ai vu le bras d’Alaïti porté par le jet d’eau et puis c’est tout. La scène était pourtant surréaliste, ce que cela représentait était juste absurde. Mon ami, mon rival, venait juste de... En un instant, ses ambitions, ses rêves, ses envies avaient été détruits. Notre futur avait été dénié par les dieux eux-mêmes. En un instant Alaïti n’était plus, et cela s’était passé juste sous mes yeux, sans que je ne puisse rien faire.

Alaïti n'avait même pas eu le temps de crier, il y eut juste une gueule qui surgit de nulle part et puis c'était fini. Le vieux pêcheur était complètement horrifié et s’était jeté sur le poisson en essayant désespérément de me sauver la vie. Le grand-père venait de perdre un "petit fils", il était hors de question qu’il en perdre un second. Même si on n'avait pas de liens de sang, nous qui avons grandi ensemble étions la même famille... 


Je me rappelle avoir pleuré, je me rappelle avoir paniqué en sentant le monstre me frôler la jambe, en l’imaginant sous l’eau, juste sous mes pieds, caché par l’obscurité de la nuit. Je ne savais pas quoi faire, je ne savais pas où aller, je ne savais plus rien du tout même comment nager... Je ne voulais spas faire de bruit, je ne voulais pas faire de gestes, je voulais juste me fondre dans la nature. Malheureusement, cet exploit était impossible dans l'eau et entre me laisser couler et flotter, je ne savais plus.

Je n'ai rien vu de la lutte entre Valati et le Foï, là-bas sous l’eau sombre... Le vieux pêcheur contre le monstre avec moi comme enjeu. Même avec l’équipement des pêcheurs, même avec les habits des anciens, le vieux Valati avait du mal. Maintenant que je l'ai endossé moi-même durant des années, je peux comprendre mieux que quiconque ce qui se passait dans le corps du pêcheur.

Le sang était le prix à payer pour hériter des dons du vêtement de Dao. Une bonne santé et une force vitale hors du commun sont nécessaires pour pouvoir pêcher dans les abysses.

Dans sa jeunesse, Valati était une force de la nature. Pas très grand, mais il parait qu’il faisait tout le monde baisser les yeux. Alors je peux aussi imaginer ce qui lui passait par la tête, le sentiment de déchéance... Que lui, Valati ait permis une telle horreur. Que lui, Valati, perde une seconde vie sous ses yeux... d’habitude les pêcheurs sont prêts à mourir, ce n'était pas habituel pour eux, pour nous d'essayer de sauver une vie. 

Le pêcheur et la proie... Dès fois on se demande bien qui est qui.

Maintenant que moi, Matagi, ait accumulé de l'expérience. Je peux fermer les yeux et reconstruire la scène. Je peux voir Valati agrippé au poisson, essayant de le tirer de toutes ses forces, de l'empêcher de venir vers moi qui battais des pieds comme un fou. Trop perturbé pour penser à nager vers la côte. Quel souvenir humiliant, mais je n'étais pas encore Matagi. 

Je peux l'imaginer pousser le poisson vers le fond et ce n'était pas facile, ces derniers se débattent avec une force colossale. Même un foï pouvait briser les os d'un coup de queue, si on ne fait pas attention. Garder le contact, tout en essayant de trouver une opportunité d'enfoncer la lance, pour le vieux Valati, ce devait être un véritable cauchemar et devait lui demander d'y mettre toutes ses forces. 

Et même lorsqu'il réussit à enfoncer sa lance à travers les écailles, il devait encore s'assurer que le poisson reste au fond jusqu'à son dernier souffle, loin de moi, loin des côtes. Et là aussi, le vieux fou avait dû y mettre toutes ses forces. 

Mais à l'époque j'ignorai tout ça, j'avais juste l'eau, l'obscurité et mon imagination apeurée. L’océan ne m’avait jamais paru autant dégouttant, rien que d’être touché par l’eau me donnait envie de vomir.

Entrée du 22/09/2257

Hmmmm… Cette semaine j'ai pêché exclusivement que du foï. Je ne sais pas si ça fait de moi, Matagi, quelqu'un de mauvais ou d'immature ou je ne sais quoi. Mais ça m'a fait du bien, au début. Après, les villageois ont commencé à râle parce que manger que du foï n'est pas bon. Les nutriments sont mal assimilés par l'organisme, c'est un poisson gros en chaire, mais faible en élément nutritif. On a faim même après avoir déboutonné son pantalon pour ne pas serrer le ventre. Les poissons les plus intéressants sont plus loin et malheureusement plus compliqués à attraper, allez savoir pourquoi. Et puis après, je me suis senti juste stupide.

Haaa… Ce n’était pas la faute du foï. Les poissons mangent, chient, se reproduisent et finissant dans les assiettes. Ils n’ont pas de conscience ni de volonté propre, ce sont juste des organismes qui ne font que ça : manger, chier, se reproduire et nous servir de nourriture pour qu’on puisse faire pareil. Le cycle de la vie. En vouloir au foï c’est comme en vouloir à cette machine à qui je parle à chaque fois qu’elle n’a pas voulu m’enregistrer. Quoique là, je peux me dire qu’elle est fatiguée de m’entendre parler. Pas vrai stupide ?

Ha, l’écran à flanché. Je commence vraiment à croire qu’elle m’écoute. Meh, c’est impossible.

J’en ai voulu à Valati aussi. Même s’il m’avait sauvé, la vie, même si nous n‘avions rien à faire là la nuit. Dans la journée c’est plus facile de voir s’il y a un poisson dans l’eau, à l’intérieur de la barrière.  La nuit, tout était monstre et démons. Il était déjà difficile de voir le bout de son nez loin de l’éclairage des plages. Je lui en ai voulu pour ne pas avoir empêché le poisson de tuer Alaïti. Je lui en voulus d’être si faible et incompétent. Et là, le destin a décidé de me jouer un tour et de me forcer à entrer dans ses chaussures pour le reste de ma vie.

C’est comme si les dieux de ce monde pointaient les doigts dans ma direction en me disant : c’est toi qui es coupable et tu vas voir ce que ça ait d’être pêcheur. Et effectivement j’ai vu, j’ai appris, et je regrette tous les jours de ma vie. Mais c’est comme ça… c’est comme ça. C’était la décision de toute la fataïné, jugement pour le meurtre de mon ami, de mon frère, de la seule personne au monde qui pouvait me comprendre.


Entrée du 27/09/2557

C’est fait, c’est décidé. Une nouvelle sélection va avoir lieu pour préparer le futur. Il y a suffisamment de jeunes compatibles. Je vais devoir préparer des épreuves pour tester leur physique et leur mental. Que les dieux aient pitié de leurs âmes, parce que moi Matagi je n’en aurai aucune. Je vais devoir m’assurer que celui qui triomphera soit à même de me surpasser. L’océan change pour le pire, il change pour le pire... Haaa… Je peux dire adieu à mon petit sommeil après ce qui va arriver.

Entrée du 10/10/2557

J'ai discuté avec le maire pour la future sélection et je ne sais pas du tout quoi penser. 

Au début, il a essayé de me faire passer pour un fou. Je lui ai expliqué que l'océan change et que nous n'avons d'autre choix que de suivre si on veut survivre. Je l'ai vu, et je l'ai vécu. J'ai vu les changements dans les poissons, les déséquailleurs et les videurs l'ont vu aussi. Le maire est au courant aussi, alors je ne comprenais pas à quoi est ce qu'il voulait jouer. 

Il m'a dit que je n'étais pas humain, que je devais changer les épreuves. 
- Changer quelles épreuves ?? Ferme ta sale bouche avant que je m'énerve - que je lui ai dit - l’océan deviendrait glace avant que je change quoi que ce soit ! 

On s'est laissé sur cet accord mutuel que moi, Matagi, trouvait raisonnable. Je devais aller pêcher de toute façon alors, perde du temps en discussions inutiles ne m'intéressait pas du tout. Et puis c'est insultant, c'est comme si j'éprouvai du plaisir à tout ça. Comme si je le faisais exprès alors que je pense au bien de tout le village, hein ? Il a de la chance que je ne l'ai pas tapé. 

Et puis... j'étais sur la plage pour plonger et commencer le deuxième quart de ma journée quand j'ai été rejoint par Talanaïa. C'était la première fois qu'on a parlé depuis... depuis qu'elle m'a souhaité de mourir dans l'océan. Il faut croire que j'essaye encore de réaliser son souhait...


Entrée du 14/10/2557

Où est-ce que j'en étais ? Ah oui. Je n'avais pas parlé à Talanaïa depuis que ma fataïné avait décidé de me punir. Elle a bien grandi la petite, mais sa colère ne s'est pas envolée depuis le temps, et je peux comprendre. Je peux très bien comprendre.

On a un petit peu parlé et elle m'a fait comprendre que son fils était dans la sélection. Je ne sais pas pourquoi elle pensait que je le savais, je ne sais pas pourquoi, mais elle pensait que c'était la raison pour laquelle j'avais fait les épreuves si... difficiles. Comment elle a pu penser ça ? J’avoue que ça m’a blessé. Ça m’a beaucoup blessé qu’elle pense une horreur pareille. Mais moi, Matagi, ne suit pas petit de la sorte. Je ne savais pas. Je ne m'occupe pas de ces bêtises, c'est le travail du maire, enfin, je crois.  

Mais je ne sais pas quoi penser... C'est comme si les dieux se moquent à nouveau de moi. Quelle leçon voulez-vous m’enseigner cette fois ? D'abord Alaïti et maintenant le petit ? Est-ce que je dois changer mes épreuves ? Je ne sais pas, je ne sais plus, mais je dois avant tout penser au village, ou bien je me trompe ? Je ne sais plus...






Blabla de l’auteur

Hello à vous chers lecteurs ! Je vous souhaite un bon dimanche, et une bonne reprise de semaine J

Texte time !

Si vous avez des questions, des suggestions, etc… N’hésitez pas à laisser un commentaire ou à m’écrire ici : unepageparjour@hotmail.com

Merci de me lire ! Vous êtes formidables !! Tchuss et à demain !!! Portez-vous bien !!!! Enfin, liberté XD !!!!!


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