Il s'agissait d'un homme dans la trentaine, le crâne rasé et à la peau
pâle et fine, collant aux os. Il avait quelques tatouages qui remontaient sur
le cou, mais ils étaient difficilement identifiables au vu de sa position,
affalée sur la porte de la camionnette.
- Arrête de m'appeler Lopé, et arrête avec tes couz. C'est ridicule -
répondit Fred en faisant le tour du véhicule
- Pourquoi tu dis ça Lopé ? C'est vexant - demanda l'homme
- Démarre, on a beaucoup de boulot - commanda Fred
- Ayé Couz
- Tonio !
- Ayé Lopé
- Sigh... on y va ?
- Une seconde - répondit Tonio en sélectionnant les coordonnées de route
pré-enregistrées, sur l'écran de bord de la camionnette. Quelques instants plus
tard, le moteur à hydrogène carboné poussa le véhicule avec un minimum de
bruit. Un compromis parfait pour ceux qui aimaient le son des moteurs mais qui
voulaient conduire sans émissions polluantes.
Il fut une époque où les véhicules décarbonés fonctionnaient avec des
réservoirs d'hydrogène cumulées à des piles à combustible, séparant
ainsi l’hydrogène et l'oxygène via flux électrique. Le résultat était
plutôt propre mais le problème venait de la performance de ces moteurs, ainsi
que leur efficience en termes de consommation au km. Les cités devenaient de
plus en plus grandes, les exigences de consommation verte devenaient de plus en
plus strictes, alors le besoin s'était orienté vers des véhicules rapides et
autonomes. Il était devenu interdit, sous peine d'amende, de conduire en manuel
sur les routes à fort trafic comme la blue road, et en centre-ville. Les
réglementations à venir allaient même obliger les constructeurs à inclure dans
leurs programmes la fonction de retirer automatiquement la main au conducteur.
Inutile de dire que le sujet fait grincer des dents.
La technologie de d'hydrogène carboné a été développée pour répondre aux
problèmes techniques des mégacités. Non seulement les performances des
véhicules étaient accrues mais de plus elles participaient à la terraformation.
C'était une bonne chose de réduire au minimum les consommations de dioxyde de
carbone dans l'atmosphère, ais c'était encore mieux d’absorber du dioxyde de
carbone de l'atmosphère. Les véhicules à hydrogène décarboné absorbaient une
infime partie de Co2, juste assez pour ne pas priver les plantes de leur
photosynthèse... Fin de parenthèse.
Le véhicule de Tonio commença à rouler de manière fluide avec un léger
ronronnement agréable
- Tu ne devrais pas t'en faire comme ça couz - dit-il ensuite en
abandonnant le volant pour se tourner complètement vers Fred qui regardait par
la fenêtre - ce n'est pas bon pour la santé.
- Sigh, tu ne doutes de rien toi - répondit Fred.
- Oh je vois. Tu as besoin d'un remontant. Attends une seconde - dit Tonio
en dépliant son téléphone, puis après quelques manipulations il trouva la vidéo
recherchée - regarde-moi ça, ça va te faire du bien - promis Tonio en appuyant
sur play et devant les yeux de Fred une paire de fesse commença à se trémoussée
comme possédée.
- Bordel de merde, enlève-moi ça ! - réagit Lopez en écartant la main de
Tonio.
- Hey couz, qu'est ce te prend de réagir comme ça ? La pauvrette essaye
juste de mettre de la bonne humeur dans la vie des gens - dit Tonio en rongeant
son téléphone dans la poche - Qu'est ce qu'il y a ? T'as des problèmes au pieu
?
- Ce ne sont pas tes oignons, "occupe-toi de conduire" -
voulut il rajouter ensuite mais se reprit sur le fait que la camionnette
arrivait très bien à se passer d'une aide humaine. Elle s'arrêta devant un feu
holographique qui passa au rouge, montrant sur le parebrise l'animation d'un
officier de police en uniforme faire stop de la main. Une petite geste citoyen
destiné principalement aux enfants
- Tu sais couz - commença Tonio et Fred se frotta péniblement les yeux - je
devrais te remercier de la part de tous les hommes normalement constitués.
- Si tu veux - répondit Fred sans chercher à comprendre
- Tu n’imagines même pas la folie ! Alors j'étais chez moi tranquille et je
zonais sur le veeb (virtual web) et tu ne vas pas le croire - le feu passa au
vert et l'officier holographique fit signe de passer et le véhicule continua sa
route en prenant le pont rond-point Gaston Dorrego, au-dessus du fleuve
Lescartes. Il permettait de profiter plus longuement de la belle vue : en
dessous l'étendue d'eau bleutée, autrefois remplie d'aquamarine qui la faisait
briller d'une lueur pâle à la nuit tombée; désormais on n'y trouvait que des
bateaux de pêche ou touristiques. A droite il y avait le complexe industriel de
Bell'air, gigantesque et à gauche lune partie de la ville et plus loin encore,
l'océan - je suis tombé sur un documentaire parlant de relations et j'étais sur
le cul. Allez, devine le nombre de mecs entre 18 et 35 ans qui n'ont pas connu
de relation. Je ne parle de ceux qui ont des sexbots dans leur placard, mais
avec des vraies femmes. Allez, devine.
- Sigh - soupira Fred en secouant la tête, mais cette fois son visage
trahissait une pointe d'amusement.
Tonio fixa son cousin qui le regarda en retour, puis
lui fit un clin d’œil amusé avant de redemander
- Allez, devine quoi ! Donne une fourchette et je te promets que tu seras
scié.
- 20 ? 25 % ? - se hasarda Lopez qui avait besoin d'un peu de temps pour
reprendre son sérieux et ne pas saboter sa performance, mais Tonio rendait la
tâche difficile. Il savait qu'il était bon, mais là c'était
impressionnant.
- 25 ? 25 ?! - réagit ce dernier comme s'il venait d'entendre la chose la
plus absurde de son existence.
- Bah je n’en sais rien moi ! Qu'est-ce que tu me fais chier avec tes
conneries ! - joua Fred
- C'est scientifique, ce ne sont pas des conneries. C'est une étude,
professionnelle, faites par des mecs qui aiment tripoter les chiffres alors un
peu de respect
- Ok, dit mois qu'on en finisse
- Alors accroche toi. 40 %, t'imagine ? 40 % ! C'est combien de milliards
de filles qui sont célibataires ?
- Je ne vois pas le rapport avec moi - répondit Fred
- Comment ça ? - fit Tonio étonné.
- Tu as lancé la discussion en disant : "je devrai te remercier de la
part de tous les mecs normalement constitués" non ?
- Je crois ouais ?
- En quoi cette statistique me concerne ?
- Bah... Non, ce que je voulais dire, c'est que... Mec, y a des milliards
de filles dans cette galaxie qui n'attendent que d'être cueillies. C'est chasse
ouverte tous les soirs et toi, vu que tu es marié... Ouais c'est ça, c'est
parce que t'es marié du coup, bah, t'es hors circuit.
- Je ne vois pas le rapport
- Bah les vœux et tout ça, c'est sacré mec !
- Hahaha - explosa de rire Fred
- Qu'est ce qui te prends ? Je ne pensais pas dire un truc marrant -
s'étonna Tonio
- Haha, je ne savais pas que tu prenais le mariage aussi sérieusement -
rigola Fred
- Hey mec, les vœux c'est du sérieux. il faut être pur de corps et d'esprit
pour se retrouver devant le prêtre...
- Hahaha, arrête tes conneries tu vas me donner un point de côté.
- Tu te moque de ma foi ?
- Non, non je ne me moque pas. C'est juste que je ne m'attendais pas à
ça.
- Bah si, je tire peut-être sur tout ce qui bouge mais c'est justement
parce que je ne suis pas marié
- Ok, ok si tu veux. Dans ce cas je te dis de rien. Je suis satisfait de ma
vie, sexuellement, avec mes gosses...
- Avec tes gosses ? Couz, c'est dégueulasse
- Quoi ? Putain que t'es con. Je veux dire que je suis satisfait de la vie
que j'ai, alors si ça te permet de perdre du temps tous les soirs et à tourner
en rond, bah tant mieux, j'imagine - dit Fred, même si en réalité il avait déjà
quelques jours de sèches. Le stress au travail et la présence des enfants
n'aidaient pas à développer un terrain favorable aux câlins. Il pensait à
prendre une nourrice androïde, mais il fallait de la place pour l'installer.
Peut-être louer plutôt qu'acheter ? A moins d'upgrader l'intelligence
virtuelle de la maison, mais il allait falloir acheter plein de matériels qui
allaient quand même encombrer la maison.
- AH tu refais encore ta tête des mauvais jours. C'est si grave que ça
cette enquête ? La commission n'a rien contre toi, n'est-ce pas ?
- Pas encore - répondit Fred
- Mais ils ne vont rien trouvé. C'est la faute au client, pas la
tienne.
- Je veux bien, sauf qu'en cas de litige c'est ma compagnie qui en assumera
les conséquences. Mais c'est ma faute, j'aurai dû faire gaffe avant d'accepter
le contrat. J'ai juste vu un gros chiffre et j'ai été gourmand.
- Hmm,
- Quoiqu'il en soit, je suis un professionnel et je vais trouver une
solution.
- Ça tu l'as dit couz, et je suis là pour ça
- Ça tu l'as dit, tu es là pour ça - confirma Fred.
Il se tourna vers la vitre alors que le silence s'installait dans le
véhicule. Ils avaient suffisamment tenu la conversation en la maintenant la
plus superficielle possible.
- "Je leur souhaite du plaisir à décoder tout ça" - pensa Fred
moqueur. Ils l'insultaient en pensant qu'il ignorait la présence de mouchard
dans les camionnettes de son entreprise (Fredex).
Il regarda, le regard souriant, le tram magnétique planer entre les
immeubles, suspendu au monorail au-dessus mais sans le toucher. Il contempla
ville bleue, bâtie dans la pierre de l'aguamarine, possédant une architecture
mixte entre passé et futur. Bell'ayr était l'une des premières villes bâties
par les colons venus du bras d'orion. Rêveurs et poètes, ils voulurent un
rappel du chemin parcouru, du passé qui leur avait permis d'arriver à Koléa.
C'est pourquoi on trouve à Bell'ayr les reliques architecturales d'une
civilisation disparue depuis des millénaires mais qui avait laissé des traces
indélébiles dans l'histoire de l'humanité. Et le mélange de ces deux
époques donnait à Bell'ayr un visage unique sur la surface de la planète.
Elle est magnifique, la ville bleue ;
Dans sa pierre à mer crue
Elle est radieuse, la ville bleue ;
Depuis ses ponts d'a mer muse
Elle sert le cœur, la ville bleue ;
Depuis ses trams, aux hauteurs acrophobiques
Elle étonne, la ville bleue ;
Marginale, démodée et pourtant originale
Elle séduit, la ville bleue ;
De ses douces lueurs calmantes et de sa chaleur radiante
Elle enlace, la ville bleue ;
De nuit comme de jour, à corps perdu
Elle rend amoureux, la ville bleue ;
De ses brises, bises, caresses, maîtresses
Elle rend fou, la ville bleue ;
Invitant dans ses ruelles claustrophobiques
Elle rend triste, la ville bleue ;
Allongées dans ses amères turnes
Elle brise le cœur, ma ville bleue ;
Elle coupe mon Bell'ayr, ma ville bleue …
Ferniti
Delasera
- Tu sais quoi ? Moi je le sens bien cette histoire. Je pense que tout va
s'arranger et se mettre en place bien comme il faut - dit Tonio
- Tssk, tu sais très bien comment ça se passe. Si jamais l'affaire tombe
dans le pénal il faudra trouver un coupable. Il ne s'agira plus d'amendes ou de
retrait de License. Et un fréteur de mon calibre se fera prendre sans
modération, même si je suis innocent.
- haha
- T'es vraiment con toi.
- Je me disais juste que c'était dans les films ça. Tu devrais faire un peu
plus confiance à la justice - dit Tonio sur un ton sérieux, malgré son visage
rieur.
- J'espère
- Bah quoi ? S’il n’y a rien à trouver, il n'y a rien à trouver. Ils vont
pas non plus inventer des trucs à te mettre sur le dos.
- "Pas mal" - pensa Fred avant de continuer dans la lancée de la
conversation - J'aimerai le croire. Tu sais, les cours d'éducations civiques ne
garantissent pas de comportements exemplaires. Surtout quand il est biaisé et
contrebalancé par un autre système exploitant plus efficacement la nature
humaine - répondit Fred. Ce n'était pas du vent ou du jeu, il y croyait
vraiment.
- Aye couz. Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris mais amen à ça
- Je parle de corruption, Tonio. Une triste réalité inscrite dans nos
gènes.
- ...
- De toute façon tu n'as pas en t'en faire. Tu n'es qu'un coursier de toute
façon, alors aucun risque que le scandale ne t'éclabousse.
- Je m'inquiète pour toi couz. Moi j'ai connu la merde, je peux me
démerder. Par contre toi et ton caractère...
- Qu'est ce qu'il a mon caractère ?
- Heh, les serpents finissent par se faire couper la tête - sourit Tonio ce
qui lui valut un regard interrogateur de Fred. Il ne voyait pas l'utilité d'un
tel commentaire dans leur pièce jouée pour le plaisir des enquêteurs. Etait-ce
une forme de mise en garde ? Avait-il loupé quelque chose ?
- Je ne savais pas que j'avais cette image - répondit-il ensuite en
tournant la tête vers la vitre. Il valait mieux arrêter là, à force de trop
s'amuser ils risquaient de laisser échapper des détails qui risqueraient de
leur revenir en pleine gueule plus tard.
La camionnette avait traversé le pont et se tenait derrière une petite
voiture, monoplace, à une distance de sécurité précalculée pour réagir au quart
de seconde en cas de nécessité. Tout en tenant en compte les défauts de
logiciel, mécaniques, et la stupidité humaine. Malgré toutes les sécurités
mises en place, les accidents n'avaient pas disparu. Il suffisait qu'un petit
génie contourne le pilotage automatique avec un des logiciels qui pilule sur le
Veeb, qu'il prenne un désinhibiteur ou un hallucinogène pour se faire pousser
des ailes et boom. Selon les statistiques de la sécurité routière, le nombre de
victimes s'élèverait à 1567 alors que l'année n'était qu'à moitié entamée.
Malheureusement la technologie ne pouvait soigner la stupidité humaine.
Au bout d'une vingtaine de minutes, la camionnette arriva devant l'entrée
du port de Bell'Ayr, celle réservée aux ouvriers, journaliers et contractants.
Elle était placée à proximité d'un portail ouvert dès quatre heures du matin,
destiné aux va et vient incessant de camionnettes et camions de livraison dont
certains étaient complètement automatisés.
Pour passer le portail sans alerter les autorités portuaires, il fallait
non seulement disposer d'un badge d'accès impossible à dupliquer. Ce badge
comportait des informations cryptées dont des données biométriques
comparée par l'IV à celles stockées dans les bases de données du personnel
privé ou publique. Si ces informations n'étaient pas identiques alors une équipe
des forces maritimes de Kolea (les scoobadoos) débarque pour
interception et interrogation.
Pour les véhicules automatisés réalisant les livraisons elles doivent avoir
un print crypté détaillant le maximum de détails comme : le contenu, le trajet,
l'entreprise possédant le véhicule, etc... Les informations sont comparées et
étudiées en temps réel, et bien évidemment doivent correspondre au planning
transmis par les transporteurs.
A cet effet, des pylônes étaient placés tout le long du port dont la seule
fonction était de scanner en permanence les véhicules circulant sans arrêt.
Néanmoins la technologie n'était pas l'unique outil de contrôle. Il y avait
également des patrouilles réalisées au hasard par Scoobadoos, et leurs
chiens à l'odorat renforcé.
Une fois que la borne de sécurité reconnu le badge de Frédéric Lopez,
patron de FREDEX-Panaméra transport. Les "dents" s'abaissèrent pour
laisser entrer la camionnette dans la ville à l'intérieur de la ville. Le port
de Bell'Ayr était gigantesque et comportait onze zones de débarquement divisées
par types de marchandises: Les terminaux de Lohmu et Patankin étaient réservées
à la nourriture; les terminaux de Makina, Samoa, Sasem, et Urugua étaient
spécialement réservés aux containers; les terminaux de Tanpytapi et
Oppalii sont réservés au vrac liquide (gaz liquéfié, huiles, hydrogène
carboné, etc...) ; les terminaux d'Espino et Bardu sont réservés au vrac
sec/solide (matériaux ferreux et non ferreux, aguamarine, farine, etc...); le
terminal de Tétélé et la zone de Botlek sont réservés à ce qui est communément
appelé: le divers.
Ce port était si grand qu'il a dû être complètement transformé au fil du
temps, avalant toute la côte. Plus de 6 milliards de mettre cubes de sable et
de terre ont dû être pompés pour agrandir le port, à l'époque où il avait
encore le rôle de pierre angulaire du commerce intra-planétaire de Koléa. Et
c'est sans doute à cause de cette taille que le contraste est plus facile à
voir. Il y a quelques années de celà, à cette heure de la journée, les
mégatonners occupaient déjà tous les espaces débarqués de leurs marchandises.
La camionnette roula le long de la voie principale, en direction du
sud-est. Une série de bâtiments rectangulaires, se tenaient là et appartenaient
aux différentes entreprises de fret autorisées à exercer. Le plus grand
bâtiment appartenait à Billy Ray, un véritable géant de l'industrie qui avait
même l'autorisation d'avoir des héliporteurs. En général le ciel au-dessus du
port était une zone protégée et pour le transport soit on utilisait les trains
ou les camions. La raison était simplement qu'un trafic aérien intense rendait
la sécurité plus difficile.
Au bout de quelques minutes, Fred et Tonio arrivèrent sur place. La
camionnette se gara sur le parking partagé, éloigné des cinq bâtiments
prestigieux de la concurrence, et près d'un immeuble de... moindre fougue
décorative. Il était vieux et également partagé par six autres petites
compagnies.
- Ce n'est pas trop tôt - fit Tonio en sortant de la camionnette. Il commença
par s'étirer montrant les innombrables tatouages marqués sur son corps. Il en
portait partout sauf sur le visage et tous avaient un thème religieux. Ensuite
il sorti un paquet de cigarettes de sa poche, claqua des doigts puis alluma la
clope du pouce chauffé à blanc, sous le regard désapprouvant de Fred - Ne
t'inquiète pas, je surveille - rassura Tonio
- Si tu le dis - répondit Lopez - Tu viens ?
- Une seconde - fit Tonio en prenant une bouffée qui consuma toute la
cigarette - Fiou, je ne comprends toujours pas ce que les gens trouvent à cette
drogue - dit-il en écrasant ensuite le mégo par terre, transformant ce dernier
en pâte.
- Chacun son addiction - répondit Fred.
Les deux hommes se dirigèrent vers le bâtiment vieillot, comparé aux autres
situés no loin. Ces derniers étaient plus des échelles de mesure, comparant qui
avait la plus grosse, plutôt que des immeubles fonctionnels.
- "C'est qui les couillons maintenant ?" - pensa Fred ravi par
l'idée de pertes financières que ces pièces architecturales devaient désormais
coûter à ces m'a tu vus.
Les clients préféraient désormais passer par le spatioport. Le zvezda de
Louisville raflait presque tous les contrats après sa rénovation pour des
raisons qui échappaient à Fred. Il avait l'impression que c'était plus un effet
de mode qu'un réel élan économique. Après tout, le transport par navette était
plus coûteux par unité de tonne, et pouvait contenir moins de marchandises...
Bien sûr, il existe des vaisseaux spatiaux concurrençant les mégatonneurs.
Cependant, ces gargantuesques machines cosmiques préféraient ne pas rentrer
dans l'atmosphère. Cela coûtait trop chers en carburant de se défaire de
l'emprise gravitationnelle des planètes.
Le transport intra-planétaire était réalisé par des engins bien plus
petits, en générales les vaisseaux étaient de type corvette et sur le papier
ils ne faisaient pas le poids. Une capacité de cargo de 250 tonnes en moyenne,
contre près d'un million de tonnes par mégatonneur.
En termes d'économie d'échelle, il n'y avait même pas de comparaison
possible. Et pourtant, le port de Bell'ayr n'arrêtait pas de perdre des parts
des marchés. L'impossible était en train de se produire, et pourquoi ? Une
incompétence managériale ? Un manque de publicité ? Un effet de mode ? Une
superposition astrale provoquant le malheur ? Peut-être tout ça à la fois...
Fred et Tonio commencèrent à monter les marches de l'immeuble. Le bureau de
Fredex était au sixième étage et l’ascenseur était en panne. Malgré les
relances quotidiennes au syndic, ils n'obtenaient en retour que des excuses et
des promesses de régler la situation au plus vites. Et pourtant, rien n'était
mis en place pour améliorer la situation. Autrement dit, c'était un doigt
d'honneur mais dans un gant de velours. Sans doute, une preuve d'humeur des
connards dans leurs tours. Il restait l'option de payer les travaux en
cotisant, mais c'était une question de principe.
- Sigh ! - soupira Fred. Rien que l'idée de devoir faire cet effort le
faisait suer. Réaliser cette gymnastique de temps en temps était même un
plaisir. Par contre, le faire tous les jours depuis deux ans et en
moyenne quinze fois par jour en fonction du trafic, il y avait de quoi grincer
les dents. Et le fait que Tonio montait les marches deux par deux sans aucun
signe de fatigue et d'efforts n'arrangeait rien à son humeur.
Chaque étage, ou presque, du bâtiment de huit étages était réservé à une
agence.
Le rez-de-chaussée était le bureau de Ryan Masterson de la Masterson Light
Speed Delivery, beaucoup plus connu sous le nom de MLSD. Et le problème de La
MLSD que Fred avait fait remarquer à Ryan, c'était que l’acronyme prêtait à
confusion. Il laissait plus penser à une drogue qu'à un service de fret, et ce
n'était pas étonnant qu'il reçoive des appels de clients demandant sur quelle
échelle de Shulgin (Alexander Shulgin) se trouvait le produit (l'échelle
de Shulgin est une échelle de mesure de 1 à 12 des produits hallucinogènes. 1
étant pour les produits qualifiés de drogue douce comme la bière légère, et 12
était pour des produits de grade militaire se retrouvant "parfois"
sur le marché noir comme la "Schoulz". Cette dernière est une drogue
utilisée par les commandos en situation de mort inévitable. Elle permet au
corps de tout donner, permettant au guerrier de rentrer dans un état
psychotique et combattre pendant plusieurs minutes).
Le premier étage était le bureau de Han Seung Seung, de Jetison&co. Là,
le nom n'était pas le problème... Quoique, il annonçait quand même mal la
couleur. Comment faire confiance à une compagnie qui avait Jetison/abandonner
dans le nom. C'était une remarque faire à han à plusieurs reprises, mais tout
ce qu'il entendait dans Jetison c'est Jet, ça va vite. Comment lutter contre
une telle logique... Cependant ce n'était pas le principal problème de Han. Le
problème venait de son standard moral un petit peu trop élevé. Il se détournait
immédiatement de tout contrat louche, néanmoins, une petite boîte n'avait
principalement que deux types de clients : les pauvres et les louches. Han se
détournait déjà de la moitié de sa clientèle hypothétique. Et là aussi il ne
voulait rien entendre, ce qui était tout à son honneur.
Le deuxième étage appartenait à Franck Martino de T&T (Tout transport).
Un gars sympathique qui adorait son boulot, un petit peu trop peut-être et
surtout, pas le bon aspect du boulot. Déjà, il était rare de le trouver dans
son agence pour la simple raison qu'il était dans un de ses camions, quelque
part en livraison. Pourtant quelqu'un devait prendre les appels, gérer la
logistique, mettre en place les parcours de livraisons, gérer le parcours de
dédouanement, etc... Ce n'est pas le travail qui manquait et ses tâches indispensables
ne pouvaient pas être faites, ou pas toutes, sur la route. Son IV ne pouvait
gérer que le travail de secrétaire et passer des coups de fils, mais
malheureusement pas plus. Et pourtant tout ce que Frank avait en tête s'était
de conduire ses camions et le stress issu de la situation du port n'arrangeait
rien à l'histoire.
Le troisième étage était celui de Serena De La Cruz, et cette dernière
était un mystère. Elle avait une carrure marketable, très marketable : jolie
visage, beaux yeux sulfureux, jolie sourire, jolies courbes, regard
chaleureux... Elle était "toute option" comme on dit, de plus elle
avait une bonne personnalité et avait la capacité de briser la glace en un
battement de cils. Pourtant elle se refusait à toute forme de publicité comme
si elle désirait rester dans l'ombre. Très peu de professionnels et tout aussi
peu de particuliers connaissaient l'agence Sonartad, et ces abrutis n'étaient
pas prêt à partager les mérites de cette dernière dans l'espoir de partager De
La Cruz le moins possible. Pensaient ils avoir une chance de la séduire,
possible. Il était difficile de dire ce qui pouvait passer dans l'esprit de ce
type d’individus pour la simple raison qu'ils ne le savaient pas eux
même.
Comme d'habitude, Ted l'aperçu dans le couloir-balcon, devant la porte de
son agence, une tasse de thé chaud à la main. Elle était accoudée sur le
garde-fou et fixait l'océan comme hypnotisée... ou du moins, elle devait se
l'imaginer car plusieurs bâtiments bloquaient la vue vers l'immensité azurée.
La jeune femme de trente ans et poussières se sentit observée. Elle tourna
la tête en direction des escaliers, cependant Fred et Tonio n'étaient plus là.
Ils avaient continué à monter les marches sans s'arrêter pour dire bonjour. Le
planning chargé de la journée ne leur donnait pas le luxe de perdre du temps en
courtoisies.
Le quatrième étage était la zone commune, l'espace de repos. Il était
surtout apprécié des salariés qu'il s'agisse des techniciens, ou
manutentionnaires, ou encore secrétaires... L'ensemble des agences employait
près de cinquante personnes. Une goutte d'eau dans l'océan, mais une goutte
quand même.
L'étage comportait trois appartements : le premier avait été adapté en
home-cinema avec un écran géant, des fauteuils agréables, un distributeur de
snack et de boissons.
Le deuxième appartement était une salle de sport, limitée en matériel mais
disposant de l'essentiel. Les techniciens n'avaient pas l'opportunité de
beaucoup bouger, ils passaient leur temps principalement assis aux bureaux. il
était bien qu'il puisse se dégourdir les jambes, non pas pour perdre du poids.
Avec la nanotechnologie alimentaire, ces problèmes n'existaient presque plus, à
moins d'avoir des prédispositions génétiques. Non le but était de générer de la
sérotonine et de se libérer du stress accumulé.
Le troisième appartement était la cantine. Pour ceux qui n'avaient pas trop
les moyens d'aller manger dans les restos du port, c'était un bon compromis.
Bien sur la nourriture n'était pas à s'en lécher les lèvres, mais elle offrait
l'apport suffisant en vitamines.
Le cinquième étage était celui de David Sidibé Morley de la SNC (Soho
Network Company). Un nom prétentieux pour une petite compagnie, mais un nom qui
aurait pu être prophétique, si ce n'était à cause de la personnalité de Sidibé.
Il était très travailleur, il connaissait son boulot, disposait de solides
relations, avait une bonne réputation...Le problème était que Sidibé aimait les
belles et bonnes choses, qu'il s'agisse de chaussures ou de femmes. Il avait
comme une compulsion à dépenser, quoique, dans sa situation sa compulsion est
issue de sa polygamie. Rien que la semaine dernière il avait épousé s troisième
épouse. Pour Fred, il fallait être fou, ou folle pour accepter. Comment une
telle pratique avait traversé les époques lui échappait complètement. Il était
difficile de comprendre que tout le monde ne voyait pas le progrès de la même
manière. Il était difficile de comprendre que des personnes pouvaient trouver
une logique là où il n'y en avait pas forcément. Polyamour, polygamie,
polyandrie, polysexualité et tous les autres polys qui existaient à son époque
était l'une des raisons pour lesquelles il se sentait déconnecté de ce
monde.
Le sixième étage était celui de Fred, et il n'y avait qu'un autre occupé.
Ou du moins en cours d'occupation. Le septième avait enfin un occupant, quitte
à savoir s'il allait demeurer ici était une énigme. Le propriétaire était un
zoohumain dont Fred ne connaissait que le nom : Vakity. Cet individu ne
l'intéressait aucunement, c'était un fou, un rêveur, un idéaliste qui allait
crouler sous le poids des factures. Les opportunités étaient dictées par
l'époque et en la leur, un z'hum n'avait d'autres choix que de faillir. La
colère sourde de cette génération ayant survécu à l'extinction n'avait pas fini
de se transférer, n'avait pas fini de s'exprimer... Pour Fred c'était aussi
simple que ça : la terreur, le mal être, la tristesse, toutes ces émotions
bouffant les humains devaient être transmises ailleurs, loin des yeux, loin du
cœur. Et une espèce différente était le dépotoir émotionnel parfait.
L'émotion était une forme d'énergie "grasse". Une énergie que
l'humain avait du mal à digérer et assimiler, c'est pourquoi, dans un réflexe
primaire il cherchait à la libérer, à la transférer soit à travers un poing
dans la tronche et idéalement pas dans le sien. Soit à travers des mots dans la
tronche, de préférence blessants et aiguisés comme des rasoirs.
Il fallait faire des efforts pour contenir cette énergie, et l'être humain
était bien trop fainéant pour le faire. C'était la triste réalité du monde
selon Fred, et la technologie qu'il voyait tous les jours ne faisait que
renforcer son opinion.
Arrivés au sixième, le groupe tourna à gauche en direction de la porte sous
l'enseigne bleue FREDeX, dessinée en lettres jaunes. La porte était non
seulement renforcée mais également isolées par une grille. Un souci de sécurité
qui pouvait peut-être paraître paranoïaque en présence de toutes les mesures de
protection déployées par le port. Cependant, ces dernières étaient orientées
vers le contenu des véhicules de transport et non vers le contenu des bureaux. De
plus, un simple défaut rendait toute cette technologie similaire à de la poudre
aux yeux : le défaut humain. Les militaires étaient corruptibles, les douaniers
étaient corruptibles, les autorités étaient corruptibles. Si ce n'était pas le
cas, Fred n'aurait d'autres choix que de mener un commerce honnête.
Bien sûr, ce nombre de mauvaises graines ne dépassait pas les 15% de
l'ensemble du personnel. Cependant cette statistique était bien plus que
suffisante pour le business. Ce n'était pas le nombre qui primait mais le poste
ciblé. Et cerise sur le gâteau, l'appauvrissement du port faisait grimper la
statistique un petit peu plus chaque jour. L’honnêteté avait cela d'humain,
qu'elle ne pouvait survivre le ventre vide.
La présence de barreaux et moyens de protection privés n'avait rien de
superflu. Bien au contraire... Mais que voler ici ? Il n'y avait ni caisse, ni
monnaie, ni bien précieux... Il était plus rentable de piquer dans les
conteneurs, ou dans les entrepôts de distribution, que de se fatiguer à forcer
l'entrée d'une petite agence.
Eh bien, ces dernières n'étaient pas démunies de valeur. L'historique des
contrats, les données et notes clients, les bilans... autant de trésors
numériques qui s’échangeaient très bien sur le marché. Les professionnels du
vol n'étaient plus des voleurs de biens physiques, mais des maîtres de
l'espionnage numérique. La plupart des serveurs conservant ces informations
étant déconnectés du Veeb, il était nécessaire de piquer à la source, d'où la
nécessité de grillages et autres mesures.
Une fois que Fred fut à quelques pas de la porte, L'IV procéda au scan de
quelques données biométriques comme les battements de cœur, la physionomie et
la taille. Une fois les données approuvées, la grille se déverrouilla. Il
suffit ensuite à Fred de poser la main sur la poignée de la porte, et celle-ci
procéda à la reconnaissance des empreintes digitales avant de s'ouvrir (est-ce
que c'est stupide de ne pas conserver le système biométrique pour la porte ?
Après tout qui a besoin de poignées dans le futur. Eh bien, c'est une question
de moyens je pense. L'IV, n'est pas une IA, elle n'est pas capable de
s'autogérer, du coup il faut payer quelqu'un pour qu'il fasse les réglages
nécessaires et qu'il fasse le suivi, etc... La porte à poignée de
reconnaissance est dans le bas de gamme, facile à remplacer et avec un minimum
de protection).
Les lumières s'allumèrent dévoilant un petit couloir de quelques pas,
décoré d'un pot de plante plastique mais qui maintenait l’illusion même au
touché. Ensuite, venait la pièce d'attente équipée de deux divans de trois
places et six fauteuils, moyennement confortables. Mais le plus important était
la borne intelligente, avatar de l'IV (elle possède une apparence visible
uniquement en réalité augmentée ou dans l'application FREDeX), jouant à la
secrétaire en distribuant les coupons de rendez-vous et en répondant aux
questions des clients. Fred ne voyait pas l'utilité d'embaucher un humain pour
le job, moins il y avait de monde et moins il y avait de potentiel de fuites.
S'il fallait il était prêt à jouer le rôle, le plus important était de
maintenir la bulle d'ignorance à l'intérieur de son agence.
Au plafond, il y avait trois plages de verre noir, servant à projeter des images
holographiques informationnelles comme le numéro de la file, ou le bureau
libre...
En face, de cette pièce il y avait les toilettes et à droite se situaient
les bureaux actuellement vides, équipés d'Holo tables de travail à la surface
de granit. De vieux modèles, mais ils étaient plus que suffisants pour le
travail demandé. Ainsi qu'une borne à eau.
Et en continuant droit devant, il y avait le bureau de Fred vers lequel les
deux hommes se dirigeaient actuellement.
Une fois à l'intérieur Tonio s'assit sur le fauteuil d'en face et attendit
que Fred prenne place derrière son poste de travail. Là, l'impression qu'il
dégageait changea en celle d'un entrepreneur qui n'était pas d'humeur à
plaisanter et qui était prêt à parler business. Il sorti son téléphone qu'il
déplia sur la table, puis sélectionna une fonction particulière avant de dire
- Nous avons quelques minutes devant nous, on peut parler en toute
tranquillité.
- On peut mettre fin à la comédie ? - demanda l'individu portant le nom de
Tonio
- Oui, c'est bon. On peut parler tranquillement pendant quinze minutes,
alors ne perdons pas de temps - répondit Fred. La raison de ce répit
n'était pas une technologie de brouillage, ou du moins pas une technologie
pirate. Elle était tout à fait légale et pouvait être utilisée partout dans la
CEDEP, sous certaines conditions détaillées dans l'article B 245-2 du code de
commerce et la raison était la suivante. Avec le développement des technologies
de surveillance et de l'espionnage commercio-industriel, de nouvelles mesures
de protection de la vie privée et économiques ont dû être mises en place. Après
tout qui est ce qui pouvait avoir envie de monter une entreprise si ses idées
et informations pouvaient être volées par n'importe qui. C'est pourquoi la CEDEP,
a facilité le cryptage de données.
Les IV professionnelles et dans une moindre mesure les IV privées, avaient
la capacité de stopper la réception de différents types de données (les
possibilités augmentent avec la performance de l'IV et donc de son prix. Les
plus perfectionnées bloquaient 99% des signaux existants : radio, laser, etc.…).
Cependant pour contrôler cette fonction, la CEDEP a mis au point
l'application Vigi-pirate qui donnait une fourchette de temps variable
d’anonymat. Selon les critères de Fred, il bénéficiait de quinze minutes où il
pouvait être en réunion sans craindre que le contenu de celle-ci puisse
atteindre le monde extérieur (des négociations sont en cours pour étendre la
durée, mais la CEDEP ne veut rien entendre. Elle ne voulait pas compliquer
davantage le travail des organismes de justice).
- Déjà, on ne fera pas le coup en interne. Je n'ai pas suffisamment de
viande dans l'entrepôt et on veut éviter des problèmes avec Pasteuria. Du coup,
je vais t'organiser un entretien avec un Lapin d'Alice.
- Je n'aime pas trop ça - avoua Diss - Pasteuria n'est qu'un hôpital,
pourquoi autant de prudence.
- Hmpf - souri Fred en coin - Pasteuria est un sanctuaire et non un
hôpital. Il y a une subtile différence. De toute façon c'est une consigne de
Monsieur, alors il n'y a pas à discuter.
- Ok, où et à quelle heure ?
- Je ne sais pas encore. Je n'ai eu le temps que de faire une demande. Je
recevrai les informations concernant le rendez-vous sous peu, alors ne
t'éloigne pas trop loin.
- Laisse l'humour à Tonio, moi je ne suis pas d'humeur.
- Ecoute, je sais qu'on te demande beaucoup et les conditions sont loin
d'être idéales. Mais il nous faut la fille, alors soit certain qu'on te
soutiendra du mieux qu'on peut et Alice a un excellent réseau, le meilleur de
l'univers connu.
- En combien de temps j'aurai ma viande ?
- En général ils peuvent en trouver et faire une requête dans l'heure...
Compte vingt-quatre heures après la rencontre avant d'avoir ton équipe sur
place.
- C'est long. Il n'y a pas un endroit où je puisse me rendre pour les
rencontrer plus rapidement ?
- Alice ou les mercenaires ?
- Au point où nous sommes, les deux - dit Diss
- Alice est une présence virtuelle avec quelques agents dispersés. Ils
n’ont pas de marché ou de boutique ou d’hôtel, ou je ne sais quoi d'autre.
C'est une entité du Veeb, du moins de ce que j'en sais. Quant aux mercenaires
réguliers, vaut mieux oublier. Ils sont traçables...
- Je sais, je parlais en l'air.
- Oh, excuse-moi. Evidemment que tu parlais en l'air.
- Du coup on attend ?
- On attend - confirma Fred.
- Fred, cette fille c'est bien le client qui la veut n'est-ce pas ?
- Bien sûr - répondit ce dernier mais Diss eut un mauvais pressentiment. Il
avait déjà entendu ce ton de mensonge caché derrière l'innocence. Il l'avait
entendu de la bouche d'Anubis lui-même avant que tout ne s'écroule...
- "J'espère pour vous que je me trompe" - pensa Diss en hochant
de la tête pour approuver les paroles de son interlocuteur.
- Je vais zoner un peu dans les environs en redevenant Tonio.
- C'est parfait. Je n'ai pas beaucoup de boulot à te proposer, mais si tu
peux filer un coup de main à la logistique ce serait pas mal.
- Combien ?
- Quoi, le salaire ?
- Non, le temps. Combien de temps je dois attendre ?
- Oh, pendant une seconde j'ai cru que j'allais devoir te payer - rigola
Fred, rassuré.
- Je peux encore le demander - répondit Diss
- D'ici midi au plus tard - annonça Fred en changeant de sujet.
- Par An... - "Par Anubis !" - voulut dire Diss mais il serra les
lèvres, avalant sa frustration.
- Quoi ça ?
- Non, rien. Fred, je dois être à Louisville avec une équipe prête et
compétente dans les 48 h à tout casser. Si ces critères ne sont pas remplis je
me désengage de toute responsabilité pour cette mission, que ce soit
clair.
- C'est très clair, tout le monde comprendra la raison de ton échec.
- De mon échec ? - demanda Diss en levant un sourcil.
- Ecoute, c'est simple. Si tu n'obtiens pas le paquet alors ce sera ton
échec, et si tu arrives à la livrer dans les temps alors toute la réussite sera
la tienne. Nous sommes tous conscients de la difficulté de la tâche, c'est
pourquoi en retour tu obtiendras ce que tu veux.
- Hmpf - fit Diss en pesant dans sa tête le pour comme le contre, et le
pour était extrêmement tentant. Mais il se reprit sur l'idée qu'il n'y avait
rien à peser, de toute façon il n'avait pas le choix - Quand est ce que la
récompense a été discutée ?
- Quoi, tu doutes de ma parole ?
- Fred, ne me donne pas envie de te planter un trombone dans le crâne. Je
ne suis peut-être pas aussi émotif qu'Ilya, mais il y a des choses sur
lesquelles je ne pourrai pas passer - prévint Diss en s'avançant sur son siège
- Alors, est ce que tu peux me le redire à nouveau ?
- Diss, tu as ma parole - promit Fred en posant une main sur la
poitrine.
- "Tssk, il y a intérêt" - pensa Diss avant d'hocher la tête et
tendre la main. Séforah était donc devenue une des clés nécessaire à
l'avancement de ses recherches - ça marche pour moi.
- Ça marche - répondit Fred avec un sourire commercial aux lèvres. Il
accepta l'accord d'une bonne poigne en la couvrant de la paume de sa deuxième
main. Une salutation que l'ancien zélote n'avait encore jamais vu, néanmoins il
préféra rester détacher. Dans cette profession la naïveté était une maladie
léthale.
- Donc la logistique ?
- La logistique. Il n'y aura pas beaucoup de boulot, alors tu pourras
réfléchir en toute tranquillité.
- Très bien - dit Diss en se levant du fauteuil
- Je t'appelle dès que je reçois l'invitation - dit Fred en éteignant
l'appli de son téléphone. Il ne lui restait qu'une minute et dix secondes au
chrono.
- "Une invitation" - nota mentalement Diss avant de répondre - A
toute - en prenant la porte.
On ne peut pas dire que l'entretien s'était passé comme il le souhaitait.
Il comptait sortir de là avec sa « viande » : une équipe de
professionnelle prête à se dépasser et qu'il allait pouvoir coacher pour la
mission. Dans son esprit il avait 48 h de préparation mais là... Là, il ne
pouvait que filtrer mentalement les imperfections théoriques du plan. La
situation était très loin d'être idéale - "Un sanctuaire hein ?" -
pensa Diss en se demandant ce que cela pouvait signifier - "Un sanctuaire...
Dans quoi est ce que j'ai mis les pieds ?" - se demanda-t-il en allumant
une cigarette, tout en s'accoudant sur le garde-fou de l'allée-balcon.
Ce n'était pas la cigarette en elle-même qui lui plaisait. Ses poumons
filtraient toutes les toxines au point où ce qu'il inspirait n'était que de la
simple vapeur. Son plaisir venait de la gestuelle associée à l'action de
fumer, c'est cette dernière qui avait un quelque chose de calmant. Le geste
était lent, simple, mécanique, voire hypnotique... Les mauvaises habitudes
humaines perduraient pour une raison : elles étaient agréables surtout lorsque
privées de conséquences.
Diss prit une première bouffée et observa les alentours d'un regard
paresseux. Il remarqua presqu'immédiatement une scénette sur le parking en bas
de l'immeuble. Deux hommes en noir étaient sur le point d'avancer lorsqu’ils
s’arrêtèrent brusquement et retournèrent auprès de leur véhicule noir,
visiblement irrités. Des agents fédéraux qui devaient se frotter les doigts en
comptant les minutes, croisant les doigts pour une prise facile. Mais leur
cible n'était pas si simple à attraper, elle devait d’ailleurs être stimulée
par tous les problèmes actuels.
Diss commençait à bien connaitre Fred, il a travaillé avec lui deux fois
auparavant, trois fois en comptant Séforah. Alors il avait remarqué quelques
traits de comportements et de ceux-là, il put conclure que Lopez était un
serpent prêt à muer à n'importe quel moment. Il était prêt à abandonner son
passé et son présent en échange d'un futur que lui seul pouvait voir : Amis ?
Famille ? Collègue ? Même cette agence n'était qu'un bagage qu'il était prêt à
abandonner sur un coup de tête. La seule exception était la Brorskap et surtout
Monsieur. A moins que cela soit la meilleure performance de son existence...
Hors de ce cercle, Fred était un acteur disposant d'une incroyable
intelligence sociale. Ses seuls ennemis étaient ceux qu'il voulait comme
ennemis et les individus percevant naturellement le mensonge. Ils avaient
tendance à s'écarter de lui sans même savoir pourquoi, ils ressentaient juste
une irritation permanente en sa présence. Et vu qu'il mentait comme il
respirait, même à lui-même, cette irritation se transformait rapidement en
dégoût.
Diss prit une autre bouffée et commença à réfléchir à la Brorskap. Il se
posait de temps en temps des questions sur l'existence de ce groupe, notamment
sur leur solidarité. Ils ne donnaient pas l'impression d'être juste des tordus
cherchant à se faire du fric, non. Leur relation était plus proche d'une
famille que d'une bande d'inconnus rassemblés autour d'un leader. Ces types
avaient un véritable objectif, que Diss ignorait malgré le fait d'avoir pu
intégrer le cercle. Ils cherchaient à accomplir quelque chose, mais quoi ?
- "Bah" - pensa Diss - "Quelle importance" - il ne
comptait pas s'éterniser de ce côté-ci de l'univers pendant bien longtemps. Il
avait déjà en tête les plans pour son nouveau laboratoire. Jusque-là il
finançait tout par fonds propres et le travail avançait à pas de tortue. Mais
après la capture de Séforah, le perfectionnement de Quätal allait connaitre un
bond de géant, et tout ça en échange d'une femme... - "Tout ça en échange
d'une femme ?" - se reprit Diss en se figeant. Le mégot qu'il s’apprêtait
à catapulter, coincé entre le pouce et l'index, le visage bloqué, les paupières
immobiles, perdu dans une question qui n'avait aucune réponse.
Il était même inutile de faire un calcul complexe pour comprendre que
l'équation n'était pas équilibrée. D'un côté un contrat simple qui se chiffrait
à quelques centaines de milliers de Rolins, et de l'autre côté des ressources
illimitées sans retour sur investissement car Diss ne comptait pas partager sa
découverte. Quätal ou n'importe laquelle de sa technologie entre les mains de
ces lunatiques serait dangereux même pour eux. Il ne fallait pas être docteur
en fusée pour comprendre que la balance était grandement en sa faveur à moins
qu'il n'ait pas suffisamment bien évalué l'importance de Séforah. Diss était
prêt à parié que ce n'était pas qu'une simple question de réputation, le client
était en tort et Monsieur pouvait tourner l'argument en sa faveur s'il le
souhaitait.
- "Il a fallu qu'on tombe encore dans une histoire compliquée" -
fulmina intérieurement Diss avant de penser - " Peu importe, on ne sera
pas là assez longtemps pour s'en soucier" - Soit leur trace allait être
retrouvée et ce monde allait brûler dans la colère d'Anubis, soit Diss et Ilya
seraient prêt à amener le combat chez eux. Les manigances de ces humains
n'allaient avoir aucune incidence sur le plan, du mois telle était sa pensée,
naïve...Comme une fourmi grimpant un humain, Diss n'avait absolument aucune
idée que lui et son camarade avaient fait irruption dans un environnement
particulièrement dangereux. Ils étaient désormais les acteurs d'une comédie
cosmique.
D'une pichenette, Diss expédia le mégot loin au-dessus de l'immeuble, avant
de se mettre en route. La logistique n'était pas très loin, 700 mètres après le
parking, dans la marée d'entrepôts. Là-bas se trouvait la Z1, la zone de
distribution 1 qui voyait les biens dédouanés être stockés dans les entrepôts
publics ou privés.
Les privés appartenaient aux compagnies de fret et les publics étaient les
zones de dépôts pour particuliers qui ont choisi de venir récupérer leurs biens
en mains propres. Bien évidemment, la sécurité et les services offerts étaient
minimes et contraignants. D'abord il fallait faire la queue, présente dès
l'ouverture du port, à croire que les gens sortaient subitement du sol. Les
bornes de retrait étant en nombre limités, il n'y avait d'autres choix que
d'attendre son tour. Ensuite il fallait entrer le code du bien, entendre,
longtemps, que la machine le retrouve, qu'il le saisisse et qu'il le dépose en
zone de retrait. Ensuite il fallait à nouveau faire la queue, s'identifier, et
se démerder pour sortir le colis. Pour les biens classés comme lourd, c'était
une autre danse encore... La corvée pouvait facilement avaler la journée
entière dans le non pire des cas.
Diss passa à côté des agents fédéraux sans leur adresser le moindre regard.
Il n'avait pas envie qu'ils sachent qu'il savait qui ils étaient, mais il
fallait vraiment être stupide pour ne pas le deviner. Et puis, il n'avait pas
de temps ou d'attention particulière à leurs accordés. Tonio était sa
construction, papiers, apparences, mimiques, signature, tout pouvait changer au
besoin. Alors ils avaient beau le filmer avec leurs yeux bioniques ou à l'aide
de caméras camouflées dans la peinture de leur véhicule, cela n'avait aucune
importance. La brorskap était composée d'individus qui savaient disparaitre, et
chacun avait sa méthode de prédilection.
Diss continua ensuite son chemin en direction des entrepôts, toutefois, il
essayait de se tenir à l'écart des chiens patrouilleurs. Leur odorat magnifié
cumulé à leur instinct animal pouvait éveiller une curiosité inutile. Sa
ressente aventure à Louisville était une leçon qu'il ne comptait pas oublier de
sitôt. Toutes ces emmerdes à cause d'un foutu chat noir.
En quelques minutes, il couvrit la distance et prit une des allées, entre
deux bâtiments aussi haut que l'immeuble derrière lui. Ici, le boulot battait
déjà son plein. Les robots massifs bougeaient les caisses les plus lourdes, des
bras mécaniques se baladaient au plafond transportant des colis plus légers,
des ouvriers s'occupaient de remplir les camions et de suivre que les machines
ne fassent pas d'erreur.
500 mètres plus loin, Diss déboucha sur des constructions moins
impressionnantes parmi lesquels se trouvait la zone de stockage de Fredex,
ainsi que trois camions et cinq camionnettes vides et affamées. Malheureusement
il n'y avait pas assez de marchandises pour les rassasier. A l'intérieur de
l'entrepôt, cinq personnes étaient assises en cercle sur des caisses posées sur
des palettes et jouaient aux cartes au sol. Dans les sens de l'aiguille d'une
montre il y avait Tango, Kashe, Goldo, Albi et Homer.
Tango leva brusquement la tête en apercevant une silhouette approchée, et
les autres firent de même à l'image de mangoustes inquiètes. Puis une fois
rassuré sur le fait que ce n'était pas leur boss qui leur faisait une visite
surprise, ils recommencèrent à jouer en éclatant de rire, se moquant de la
trouille qu'ils venaient d'avoir à l'exception d'Albi qui continuait à fixer
Diss.
- Hey Tonio ! Qué sorprésa (quelle surprise) ! Ça fait un bail dit donc -
parla Tango en jetant une carte au sol
- Je suis là pour tuer le temps - répondit Diss
- Si ce n'est que le temps, alors ça va - rigola Kashe et Tonio secoua la
tête comme s'il venait d'en entendre une bien bonne.
- J'ai cru comprendre qu'il n'y avait plus de viande à l'entrepôt et voilà
que je tombe sur l brochette de bras cassés - dit Diss en riant, donnant ainsi
à son insulte un masque de plaisanterie. Là Albis fronça des sourcils mais
resta silencieux.
- Héhé ! Nos contrats ont été résiliés au dernier moment, le boss est en
train de tirer l'histoire au clair - expliqua Tango.
- Je vois...
- Je paris que t'avais prévu d’émasculer ton contrat - demanda Goldo en
réflechissant à quelle carte jouer
- Grave ! - avoua Tango - j'avais préparé tous mes outils chirurgicaux, y
la mierda ha llegado (et la merde est arrivée). Je suis dégouté tu ne peux même
pas t'imaginer
- Je crois qu'il y a un petit nouveau qui cherche les embrouilles et essaye
de rafler les contrats - dit Kashe
- Mal barrer pour lui, ce n'est pas bon d'avoir les crocs trop longs - dit
Tonio en jetant une autre carte au sol.
- Et le boulot de couverture ? - demanda Diss en constatant qu'il y avait
des caisses par ci par là.
- Hey ! Viens pas nous stresser là ! C'est quoi ton probl... - Avant
qu'Albi ait eu le temps de terminer, le poing de Tonio vint s'écraser sur son
nez, le brisant sous le choc. Albi ouvrit les yeux choqué et enflammés par la
colère, mais il reprit simplement sa place en jouant des mâchoires.
- Rien de personnel, je viens juste de t'épargner beaucoup de souffrance -
dit Tonio en s'adressant au jeune coq - Disculpe (excuse-le) Tonio, le petit ne
voulait pas te manquer de respect. Il a un bel avenir devant lui s'il apprend à
tenir sa langue - s'excusa Tonio
- Il n'y a pas de mal - répondit Diss en s'étonnant un petit peu de la
réaction. C'est vrai qu'il voulait avoir une "discussion" avec le
petit nouveau, et il est vrai que la dernière fois qu'il avait eu une
discussion avec une de ces raclures, il lui avait arraché les canines du haut
avant de les planter dans les orbites du malheureux. Le type mouru sur le coup
sous le choc nerveux. Ce n'était pas dans le but de prendre une position en
tant que mâle alpha, mais il n'avait simplement aucune patience pour cette lie
de l'humanité.
- Tu veux jouer avec nous ? - demanda Goldo
- Pourquoi pas - répondit Diss avant de faire le tour et prendre place
entre Tonio et Albi. Il regarda le jeune dans la vingtaine, et ce dernier fini
par baisser les yeux et ingurgiter sa colère.
Ainsi défilèrent les heures, puis un nouvel arrivage de marchandise arriva
obligeant tout le monde à se mettre au boulot. Ces assassins professionnels
connaissaient leur boulot ici à l’entrepôt et ils réussirent à remplir le
camion sans laisser de vide. Tonio passa ensuite un coup de fils à Fred qui devait
établir un bordereau de transport approuvé par les autorités du port et ce
n'était qu'après la signature de ce dernier que le camion pouvait démarrer avec
les coordonnées aprouvés. Il faut croire que la technologie n'avait pas allégé
le travail administratif.
Ce n'est pas très longtemps après ce coup de fil que Diss reçu un message
de la part de Fred
- C'est bon
- "Super" - pensa Diss. Selon son horloge, il était 12h02 mn, ce
qui lui laissait la moitié de la journée pour agir - hey ! Kashe, il y a un
camion qui doit passer par Louisville ?
- Mmm, pas avant 14 h - répondit Kashe - On doit recevoir des marchandises
pour New Amster.
- "14 h..." - Ok, réservez-moi une place - demanda Diss avant de
retourner dans le bureau de Fred récupérer l'invitation.
L'endroit s'appelait " Café Le Petié" Il s'agissait
d'un petit café situé au coin de Backer street, la rue menant au deuxième plus
grand centre industrielle de Louisville.
L'endroit était rempli à ras bord dans l'après-midi, mais au soir il était
plutôt vide de clients et le personnel robotique prenait le relais. En général,
après 18 h, à Le Petié, on trouvait principalement que des artistes
en quêtes d'inspiration, ou des entrepreneurs en quête d'une discipline de
travail loin des tentations présentes chez eux. La raison était simple, le prix
raisonnable de la consommation.
Ici, tout le monde était bien trop perdu dans son monde créatif ou
professionnel pour prêter attention aux autres. C'est pourquoi, lorsque Tonio
fit son entrée, personne ne lui prêta la moindre attention et il fit de même.
Il se dirigea vers le comptoir de la manière la plus naturelle possible
- Bonjour - lui dit la serveuse robotique habillé en apparence humaine.
- Hola - répondit Diss
- Que puis-je faire pour vous ? - demanda la machine avec un ton et une
gestuelle des plus convaincantes.
- Hmm, je vais prendre un café au lait "philipino" corsé avec une
tranche de gâteau au citron s'il vous plait.
- Et ce sera tout ?
- Pour l'instant oui
- Ok, ça vous fera 15 rolins s'il vous plait
- Par contact - répondit Tonio avant de poser la main sur une surface
démarquée par un contour noir, prévue à cet effet.
- Vous avez une allégeance chez nous ? - demanda la serveuse
- Non
- Vous voulez en faire une ? Vous bénéficierez d'une remise immédiate de 15
% sur une période d'un mois.
- Non, ça ira merci - répondit Diss.
- Ok - fit la serveuse en autorisant le paiement à l'aide de son logiciel
embarqué. Les empreintes digitales correspondantes à Tonio Gonzalez furent
analysées et le compte correspondant fut immédiatement débité - Merci, votre
commande sera prête dans deux minutes
- Ok, je vais attendre ici - répondit Tonio en se décalant un petit pour
laisser la place à un futur client.
Là, il profita de cet instant pour regarder innocemment autour de lui, en
prenant le temps de regarder les gens et les décorations de Le Petié.
Rien de particulier ne sautait aux yeux, et le contact ne se faisait pas
connaitre. Fred lui avait dit où trouver le "lapin" mais le comment
n'avait pas été très clair
- En principe c'est lui qui te retrouvera
- En principe... qu'est-ce que ça veut dire en principe ? - avait-il
demandé mais en réponse il n'avait eu qu'un hochement d'épaules. C'était clair
que Fred n'avait plus aucune responsabilité dans l'histoire et pouvait rester
décontracté - "Quel connard" - lâchât Diss en sentant le stress
monter. Un sentiment qui le ramenait dans son passé, sur les plaines arides où
la vie pouvait céder la place à la mort en l'espace d'une fraction d'un
instant. Là-bas, ne pas avoir l'estomac bouffé par la peur était synonyme de
stupidité, du moins de son point de vue. Ilya, lui, était dans son élément.
Après tout, il avait été élevé pour devenir le successeur et ne vivait, n'avait
vécu, que pour prouver à son père qu'il était l'unique personne digne de
reprendre le manteau d'Anubis. Là-bas, la peur était le compagnon du quotidien,
l'ami et l'ennemi le plus fidèle de Diss, mais ici, la ressentir était vraiment
bizarre...
La serveuse ramena la commande avec un sourire commercial programmé et lui
souhaita une excellente journée. Diss prit sa boisson et son gâteau
appétissant, puis prit place tout au fond de Le Petié, dos au mur,
prêt à jouer au jeu de patience. Il n'avait d'autres choix que d'attendre de
toute façon et espérer que tout se passe bien. Infiltrer Pasteuria en solo,
avec toute la sécurité et les Phanoms présent n'était pas un challenge qu'il
voulait entreprendre, surtout s'il pouvait l'éviter. Fort heureusement, il
n'eut pas à attendre très longtemps. Une dizaine de minutes après avoir pris
place, un client fit son entrée : grand, cheveu courts roux, débardeur,
treillis... Il avait tout du militaire, surtout le tatouage sur l'épaule droite
: un crâne à la bouche ouverte, enveloppé par une étrange créature mi lézard-mi
oiseau, aux ailes grandement déployées. Et sur le front du crâne était marqué
BEETHOS.
Diss les connaissait de réputation. Les BEETHOS étaient un groupe de
commando constituant l'une des troupes d'élite des forces armées de Koléannes.
Leur fonction était simple : être catapultés depuis l'espace, survivre, et
s'occuper des défenses anti aériennes. Un travail que seul des fous comme Ilya
pouvaient trouver attrayants, il y avait bien trop d'adrénaline produite pour
réfléchir correctement.
L'individu fit la même chose que Diss et se commanda un café, puis une fois
servi, il vint s'asseoir sans hésitation juste en face de Diss. Ce qui lui
valut un regard interrogateur que le militaire ignora complètement. Il était
clair qu'il savait qui chercher, mais le comment, comment il le savait était
une énigme que Diss voulait savoir. Et la réponse lui vint de manière
indirecte.
L'homme tendit la main, Diss leva un sourcil et après une légère hésitation
voulut réciproquer mais
- Invitation - demanda le militaire, le coupant dans son élan social.
- Quelle invitation ? - demanda Diss en filtrant sa frustration pour
qu'elle n'envenime pas la conversation. Quant à la raison de sa question à
l'apparence idiote, Diss se devait quand même de vérifier qu'il n'y avait pas
de malentendus et qu'il discutait bien avec la personne avec laquelle il devait
discuter. Le but n'était pas de jouer à l'imbecile qui ne comprenait pas de
quoi il était question.
- Vous êtes bien Diss Ameno ? - demanda calmement le militaire
En entendant son nom complet qui n'était connu d'une poignée d'individus,
Diss eut une réaction de surprise et de recul qu'il n'eut pas le temps de
masquer.
- "Comment il sait ça ?" - se demandait il choqué
- Il y a très peu de choses qu'Alice ignore. Mais je vous rassure, cela ne
concerne qu'Alice, nous autre n'avons que des bribes de son savoir utiles pour
le job. Après cette entrevue je ne me rappellerai de rien - expliqua le
militaire en voyant son interlocuteur faire de gros yeux. Il voulait aussi dire
par là que la quantité d'informations en sa disposition était limitée, au cas
où l'envie de le kidnapper traverserait l'esprit.
- Qui êtes-vous ? - demanda Diss en laissant échapper cette question qu'il
savait inutile
- Votre contact - répondit le soldat
- Ce n'est pas ce que je demande !
- Je ne suis pas là pour jouer aux questions réponses. Je ne le répéterai
pas trois fois, montrez-moi l'invitation
- Si vous savez qui je suis, et que vous vous dites mon contact alors à
quoi bon l'invitation ? - demanda Diss
- Elle détient les informations concernant votre requête - expliqua le
militaire en posant sa main tendue sur la table, tout en prenant une petite
gorgée de son café.
- Vous auriez dû commencer par là - répondit Diss en sortant une micro puce
mémoire de sa poche, qu'il laissa tomber dans la main de son interlocuteur.
- Je n'aime pas perdre de temps en explications inutiles, voyez-le comme
une déformation professionnelle - sourit le militaire en prenant la puce. Il
enleva ensuite le bracelet métallique qu'il avait sur son autre avant-bras et
introduisit la micro puce dans la petite fente prévue à cet effet.
- C'est quoi ton nom ? - demanda Diss en passant sur un ton plus familier
- Arnold - répondit le Beethos en posant le bracelet au milieu de la table
avant de prendre une nouvelle gorgée.
- Tu n'as pas la tête d'un Arnold - commenta Diss
- Et vous n'avez pas la tête d'un Diss - répondit le soldat
- Hmpf, ok parlons business maintenant - suggéra Diss
- Parlons business - répondit Arnold en appuyant sur le bracelet et tout de
suite après un écran holographique apparu au-dessus de l'appareil, avec une
liste de noms.
- Vous auriez pu nous envoyer directement le bracelet et la puce - commenta
Diss en pensant au temps gagné.
- On préfère éviter que ces petits engins se promènent dans la nature -
expliqua le miliaire avant de demander - de quoi avez-vous besoin ?
- Trois agents spécialisés dans l'infiltration, de préférence avec une
bonne coordination. Qu'ils aient quelques missions ensemble.
- Vous avez besoin qu'ils soient autonomes ou obéissants ?
- Autonomes - répondit Diss. S'il avait suffisamment de temps devant lui,
il aurait pu opter pour l'autre choix, mais là il faudra que les mercenaires
puissent bouger par eux même.
- Ok - fit Arnold en procédant à entrer des données sur l'écran - Vous avez
besoin de quoi comme aptitude secondaires
- Connaissances médicales poussées, expertise en combat rapproché et en
armement
- Pour tous les trois ?
- Si possible - sourit Diss
- Et disponibles dans les 24 h c'est bien ça ?
- C'est ça - confirma Diss en constatant la liste se restreindre de plus en
plus. Il s'attendait à ne voir qu'une dizaine de noms tout au plus mais il fut
agréablement surpris d'avoir un large choix de nom dont un qui attira
immédiatement son attention.
La liste était composée de noms ainsi que d'un rapide résumé du parcours
militaire. En général on ne trouvait que trois ou quatre corps militaires ou
paramilitaires différents. Mais celui qu'il avait sous les yeux en avait au
moins une bonne dizaine.
- Je veux voir ce profil - demanda Diss en pointant du doigt sur le
nom
- Hmm ? Qu'est ce qu'il fait là ? - demanda Arnold.
- Il y a un problème ?
- Je suis désolé, mais Cid n'est plus accessible. J'ignore pourquoi il est
présent sur cette liste mais il n'est plus sur le marché depuis un bon
moment.
- "Dommage" - pensa Diss avant de se dire -
"Etrange..."
Pour une organisation qui prétendait tout savoir, une telle omission
était insolite. Fred ne fait de louanges à la légère et s’il avait fait appel à
ces personnes c’est qu’il avait confiance. Et puis le coup du nom était une
preuve que leur réseau d’information était compétent, c’est pourquoi Diss ne
savait pas trop quoi penser. Il était possible que ce soit juste une omission
sans importance…
- Il
y a d’autre mercenaires sur la liste qui ne devraient pas l’être ? –
demanda Diss dégouté. Il avait eu l’impression de trouver un diamant avant de
se rendre compte que ce n’était que du verre fendu.
- Non,
pas à ce que je sache… - répondit le Beethos pensif, défilant rapidement la
liste des noms. Puis, il s’arrêta, le regard illuminé – Oh ! Vous avez
peut-être de la chance.
- Comment ça ? – demanda
Diss qui ne voyait pas en quoi il avait été chanceux jusque-là. D’ailleurs, la
chance était une notion qu’il n’appréciait guère.
- Vous avez peut-être
bénéficié d’un œuf d’Alice (easter egg).
- Qu’est-ce que
c’est ce truc ?
- Une information
offerte par Alice, et cachée dans le flot de données.
- Elle n’a que ça à
faire ?
- Eh bien, voyez-le
comme un trait d’humour.
- Han, je dois dire
merci j’imagine ?
- En général, l’œuf
d’Alice est une information capable de changer le cours de votre vie, alors à
vous de voir.
- Hmpf, c’est bien
prétentieux.
- Possible – répondit
Arnold en hochant d’une épaule avant de prendre une gorgée de son café. Diss
quant à lui commençait à se demander en quoi cette personne, Cidolphas
Marshall, allait influer sur sa vie - J’ai quelques mercenaires à vous proposer
– annonça-t-il ensuite, interrompant Diss dans ses spéculations.
- Je vous écoute – répondit
Ilya en croisant les mains, impatient de voir les énergumènes qu’il allait
devoir diriger.
A plusieurs kilomètres de là, et plus tard dans la journée, Pasteuria accueillait
un défilé de véhicules consistant et surtout quotidien. Ils circulaient, peu importe
l’heure du jour ou de la nuit, et la raison était principalement due aux
urgences. Dans une méga cité de la taille de Louisville, les incidents,
accidents, maladies, se comptaient par dizaines de milliers par jour et dans
les bons jours. C’est pourquoi les Phanoms ne connaissaient pas de repos. Les
systèmes de sécurité de l’hôpital devaient toujours être opérationnels en
préparation d’un cas où, un cas où ils ne voyaient jamais mais dont on leur
parlait tous les jours en breafing.
Les portes étaient gardées par un portail magnétiques éteint, mais prêt à
être enclenché à n’importe quel instant bloquant l’accès par la route à tout
véhicule quel qu’il soit. Derrière le portail étaient stationnés des Phanoms en
armures, lourdement armées. Au-dessus de l’hôpital, dans la mésosphère, un
croiseur était stationné avec des divisions entières de mercenaires et des
méchas prêts à intervenir dans les dix minutes en cas de problèmes. Avant
d’être un hôpital, Pasteuria était un sanctuaire de la vie et il devait être
protégé à n’importe quel prix. Telle était la politique de son président :
Radeghast Kollar, un homme considéré comme l'une des personnes les plus
fortunée et influente de la CEDEP. Une personne que Rael avait déjà eu
l’opportunité de rencontrer à plusieurs reprises, vu qu’il était son parrain.
Même s’il se comportait plus comme un grand père qu’un parrain. Mais après tout
comment doit se comporter un parrain ? Le jeune homme n’en avait aucune
idée et ce n’était pas comme s’il avait à se plaindre de la relation.
Son taxi, avait passé le portail et roulait le long de la route contournant
le premier bâtiment, gigantesque comme une petite montagne. A chaque mètre
parcouru, le cœur de Raèl se serrait davantage. Il n’avait pas envie d’être là,
d’ailleurs son frère non plus ne voulait pas qu’il soit là, il n’y avait que
leur mère qui essayait de créer une relation inexistante sous le prétexte de
famille. On lui demandait de comprendre, on lui demandait de prendre sur lui,
d’être meilleur, mais pourquoi ? Ils n’avaient pas envie de se voir alors
pourquoi ne pas simplement s’ignorer ?
- « Les relations
humaines sont tellement compliquées » - pensa le jeune homme en se préparant
psychologiquement à subir la corvée de la semaine.
Une fois le bâtiment principal contourné, les visiteurs de Pasteuria se
retrouvaient entourés de végétation. Pasteuria n'était pas uniquement le plus
grand hôpital de Koléa mais il avait en son sein l'un des plus grands parcs
végétaux de la planète. Au centre de l’hôpital, au milieu des bâtiments défiant
les cieux, se trouvait une véritable forêt d'une riche diversité d'arbres et de
fleurs organisée par les meilleurs jardiniers de l'univers connu.
Malheureusement Raèl n'avait aucune attirance pour ce type de beauté naturelle,
pour lui un arbre était un arbre. Un trait de caractère hérité de son
père.
A l'intérieur de cette forêt des robots quadrupèdes patrouillait de nuit,
pour éviter que des petits malins profitent de ce camouflage naturel pour se
faufiler où bon leur semble. Ces machines bestiales étaient équipées d'armes
destinées à neutraliser uniquement : tasers, munitions en caoutchouc, gaz
incapacitants. Mais s’ils rencontrent une opposition armée, ils pouvaient
recevoir l'autorisation de passer en mode éradication. Et vu qu'ils étaient
spécialement conçus pour opérer dans ce genre d'environnement, eh bien il était
rare de survivre à leurs assauts. Raèl savait à quel point ces monstres étaient
une plaie, son père en empruntait souvent quelques-uns au département R&D
de l'entreprise de sa mère pour les tester. Et depuis tout petit, Raèl servait
de cobaye à ces machines.
La première fois, son père lui avait parlé d'un picnique alors Raèl était
tout excité. Il s'était retrouvé, non dans un parc de Louisville mais dans un
complexe militarisé avec un environnement holographique de jungle et à la place
de petits écureuils et lapins, il avait eu le droit de jouer avec des K9-458.
Des modèles de chiens militaires artificiels dans les mâchoires comportaient un
agent tranquillisant. Alors il avait fini mordu de partout et dans les vapes
pendant deux jours.
Ce souvenir amena un sourire sur les lèvres de Raèl, lui remontant un petit
peu le moral. Mais pas assez pour que cette bonne humeur tienne.
Au bout de quelques minutes, le taxi se gara devant le troisième bâtiment,
sur la gauche de l’hôpital publique. Raèl, ayant déjà prépayé sa course, sortit
du véhicule autonome qui démarra tout de suite après. L'immeuble rectangulaire,
donnait l'impression d'avoir été essoré par une main géante. La structure en
hélice était faite de verre qui empêchait de voir l'intérieur, mais l'extérieur
était magnifié pour l’œil humain, rendant le paysage à l'intérieur de Pasteuria
plus agréable qu'il ne l'était vraiment.
Raèl s'étira ses longues jambes, il avait hérité de son père de sa taille
frôlant les deux mètres ainsi que sa corpulence imposante. Il passa ensuite la
main dans ses cheveux aussi noirs que la nuit avec une pointe de vert. Il prit
ensuite une profonde respiration et entra à l'intérieur de l'immeuble. Dans le
hall, d'un blanc immaculé et d'une propreté exemplaire, il trouva sa mère en
pleine discussion avec le docteur Zavatta qui s'occupait presqu'exclusivement
de son frère. Et à voir la tête de sa mère, Raèl savait que les nouvelles
n'étaient pas bonnes, comme à chaque fois.
- AH ! Monsieur Eiling ! - le salua Zavata avec un accent tonique prononcé,
en remarquant la présence du jeune homme - Nous vous attendions
- Tu es en retard – annonça la mère de Raèl, Dalanda Eiling.
Elle commençait à avoir
des filets de cheveux blancs dans ses cheveux noirs, une marque de la
quarantaine prononcée. Elle portait un chemisier vert à manches longues,
cachant son bras droit bionique qui, pourtant, avait l’apparence d’un bras
normal. A moins d’y prêter réellement attention, il était impossible de faire
la différence. Il s’agissait d’une pièce de technologie qui avait sa place au
musée de l’avancement humain, et pourtant, elle ne le montrait pratiquement
jamais, même à la maison, et elle n’en parlait pas.
Lorsque Raèl avait demandé à son père pourquoi elle cachait son bras, ce
dernier avait également gardé le silence en laissant échapper une certaine
gêne, un certain malaise. Quelque chose de grave avait dû arriver et ils
préféraient se taire sur le sujet …
Eiling, se tourna à peine pour accueillir Raèl. Son visage, parcouru de
petites rides, restait froid et n’exprimait que de la frustration. A chaque
fois qu’elle venait à l’hôpital, elle était comme ça : irritable,
distante… et ces derniers temps cette humeur l’accompagnait même à la maison
rendant l’atmosphère étouffante.
C’était l’une des raisons pour lesquelles Raèl passait le plus clair de son
temps dehors, soit en cours, soit parcourant les toits de la ville pour passer
le temps. Etant insomniaque, rester dans son lit était inutile. Et puis,
entendre sa mère pleurer dans son lit était un poids qu’il ne savait comment
porter. Les relations humaines étaient compliquées.... Chaque matin, elle
sortait avec le cœur rempli de chagrin et de colère. Toutes ses pensées étaient
envahies par son aîné, Davy.
Son père lui avait dit, qu’autrefois elle était différente. Mais quelque
chose s’était passé, elle avait essayé de comprendre des personnes qui ne le
méritait pas, elle avait « plongé » là où il ne fallait pas, et en
retour elle a perdu sa bonne humeur et sa chaleur. De plus, la frustration de
ne pas trouver des remèdes malgré tous ses efforts, malgré toutes ses
expéditions en quêtes de mythes, pesait lourdement sur sa conscience.
- Je suis quand même venu –
répondit Raèl en se mettant à côté de sa mère qui lui atteignait la poitrine.
La différence de taille était telle qu’il n’était pas évident de penser à un
lien de parenté.
- Hmpf ! Continuez
docteur – dit elle
- Eh bien, comme je
vous disais nous avons préparé des nouvelles molécules d’anti douleur qui ont
fonctionné comme un charme, pendant trois jours. Malheureusement son organisme
s’habitue de plus en plus vite et là encore, nous ignorons pourquoi.
- Seigneur… Pourquoi est-ce
que son corps nous combat ainsi ? C’est ridicule – dit-elle en se prenant
le visage dans la main. Il était clair que la nouvelle la perturbait et elle
luttait pour garder son stoïcisme – Pour la nouvelle formule que je vous ai
fournie, quand est ce qu’elle sera prête ?
- Euh, dès que nous
comprendrons comment la reproduire. Nous n’avons jamais rien vu de tel, et avec
la technologie que nous avons aujourd’hui c’est presque de la magie. Je ne sais
pas où vous avez trouvé ce schéma de liaisons moléculaires, mais… Mais nous
travaillons activement à la fabrication - ajouta le docteur en
sentant le regard d’Eiling lui vriller le crâne. Après tout ce qu’elle avait subi
pour mettre la main dessus, il ne manquerait que ça que la formule soit
inutilisable.
- Combien de
temps ?
- Trois… Quatre mois.
Oui, dans quatre mois, nous pourrons commencer les premiers essais sur les
animaux – répondit précipitamment Zavatta.
- Ce n’est pas ce que
je demande. Dans combien de temps il pourra en bénéficier ?
- Je suis désolé, mais
pas avant trois ans malheureusement.
- Trois ans ?!
FAITES PLUS VITE que ça ! – dit-elle en se calmant au cours de son
échappée de colère, attirant des attentions indésirables.
- Nous ne pouvons pas
accélérer davantage. Si jamais les tests ne sont pas faits correctement, madame
Eiling, c’est votre fils qui va en pâtir – expliqua le docteur en prenant des
gants. Il pouvait comprendre ce qu’elle éprouvait mais sa requête était juste
irréalisable.
- Et vous pensez qu’il va
pouvoir tenir trois ans ? – demanda Raèl ce qui lui valut un regard en
coin de sa mère.
- Eh bien, jusqu’à
preuves du contraire votre frère apparait comme immortel. Maintenant ce n’est
pas un genre d’immortalité souhaitable, mais…
- On a compris – le
coupa Eiling – On peut le voir maintenant ?
- Oui, bien sûr.
Suivez-moi – dit Zavatta en les conduisant sur la droite du hall, le long d’un
chemin qu’ils connaissaient déjà par cœur.
Sur le chemin, le docteur Zavatta n'arrêtait pas de parler sur un ton calme
et compatissant pour faire passer les détails douloureux. Cependant, Raèl
n'écoutait pas. Il avait arrêté d'écouter depuis près d'un an, principalement
parce que le contenu restait le même.
- Oh, il va mal ; Oh, son état empire ; Oh, nous ne savons pas quoi faire
mais nous avons besoin de fonds pour développer une nouvelle formule...
Peu importe comment le docteur essayait d'annoncer la chose, le fait était
que depuis les cinq ans où sa mère l'obligeait à venir, Raèl n'avait rien
entendu de positif. Et à force d'entendre des mauvaises nouvelles, il est
naturel d’ériger des barrières, voire être lassé et frustré de les entendre. Un
état d'esprit et de fatigue émotionnelle que Dalanda devait combattre tous les
jours pour ne pas se sentir monstrueuse, distante, injuste... Pour ne pas
répéter son erreur passée, et pourtant, focalisée sur le passé, elle ne se
rendait pas compte des erreurs présentes...
- "Si seulement oncle Jess était là" - pensa tristement Raèl. Il
était bien la seule personne qu'il connaisse qui pouvait alléger cette
ambiance, aussi lourde et collante que du mazout. Mais il ne venait jamais à
l’hôpital, et selon ses dires la raison était simplement liée à la qualité
de la sécurité ici. Mais ce qu'il ne disait pas au jeune Raèl, c'était que
Dalanda lui avait interdit d'être là en journées de visite. Et vu qu'elle ne
venait à Pasteuria que pour cette raison, Jess pouvait se servir de l'excuse
des Phanoms pour rassurer son "neveu".
Le docteur Zavatta les mena le long de l'aile du personnel d'hygiène
clinique. Il y avait des placards intégrés cachés derrière des portes, remplis
de produits ménagers ; des chambres de recharges pour robots nettoyeurs et
autres pièces touchant à la propreté intra et extra murale du bâtiment (par
exemple que les fils ou les connections électriques fonctionnent correctement).
Cette zone servait exclusivement à cette fonction d'entretien avant d'être
légèrement modifiée pour les besoins du patient, il y a dix ans de cela. Au
fond du couloir, un ascenseur avait été construit et une chambre souterraine
préexistante avait été aménagée pour accueillir les infrastructures lourdes,
nécessaires au confort, relatif, de Davy Eiling.
Une fois devant les portes de l'ascenseur, Zavatta appuya sur le bouton
d'appel. La console procéda immédiatement à la vérification de l'autorisation
d'accès. Ici, elle était simple dans le but de faciliter les allez retour du
personnel médical ainsi que, au besoin, des urgences. Chaque seconde comptait,
et il était inutile de compliquer l'accès au patient.
Une fois que le badge du docteur fut reconnu, les portes s'ouvrirent
laissant entre les trois passagers. Raèl du se pencher légèrement pour passer.
Il s'adossa ensuite dans un coin et poussa un soupir alors que les portes se
refermèrent et que la machine entama sa descente dans les profondeurs de
pasteuria et immédiatement Raèl senti un haut le cœur ainsi qu'une sensation de
malaise grandissante, comme s'il était happé par une obscurité dévorante.
- Est ce que vous vous sentez bien ? - demanda le docteur Zavatta en se
tournant vers Raèl. Le jeune homme, ne se sentait pas très bien et sa
respiration irrégulière pouvait être un symptôme d'anxiété que le docteur ne
pouvait pas ignorer.
- Oui, je vais bien - répondit Raèl, même si en réalité il avait du mal à
respirer et se sentait étouffer dans cet espace. Lui qui était habitué à la
liberté, se promenant de toits en toits sans contraintes avec le ciel comme
toit, ces petits espaces lui donnaient l'impression de manquer d'espace et
d'air. Cependant, l'agoraphobie n'était pas l'unique raison de sa crise
légère.
Lorsque l'ascenseur arriva à destination et que les portes s'ouvrirent, Raèl
fut accueilli par une activité de CEM cérébral (Champ électro magnétique)
irrégulière. Même sous cette apparence humaine, Mavh avait suffisamment de
sensibilité pour ressentir des épines lui percer le cuir chevelu. Et la source
de cette émanation, éphémère, d'un fugace instant, était droit devant, sous le
dôme de verre.
- "Davy, qu'est ce qui se passe ?" - se demanda Raèl en se
figeant sur place, le cœur battant la chamade. Leurs problèmes étaient leurs
problèmes, mais ils n'en étaient pas moins frère et en ce moment son inquiétude
de frère commençait à être titillée.
- Tu comptes rester là longtemps ? - demanda Dalanda en se
retournant.
- Euh, non - répondit Raèl en se demandant s'il était le seul à avoir senti
cette bizarrerie et s'il devait en parler. Au vu de sa relation compliquée avec
son frère, est ce que sa mère allait même prendre la peine de l'écouter, et
pour dire quoi ? Qu'il avait senti de la colère chez Davy ? Beaucoup de
colère... Mais comment ne pas en avoir dans sa situation était la réponse qu'il
allait surement entendre.
L'ascenseur ouvrait directement sur une chambre qui servait de salle de
décontamination cernée par des portes plastiques en lanières. Une fois à
l'intérieur, un gaz décontaminant était relâché pour purifier de toutes les
bactéries extérieures. Puis, de l'autre côté se trouvait un dressing rempli de
combinaisons étanches munies de casques, pour bloquer l’échappée de bactéries
internes aux corps humains. La raison était simple, Davy, entre autres
problèmes, avait un système immunitaire défaillant et pouvait facilement
développer des infections et des maladies. Il avait déjà un rhume, une
bronchiolite et de l'ictère qu'il a gardé depuis son enfance et qui demandaient
un traitement trimestriel. Après être guéris, les symptômes revenaient encore
et encore avec de légères mutations. C'est la raison pour laquelle docteurs et
infirmiers devaient se balader en combinaison étanche pour limiter le risque de
nouvelles infections à zéro.
Après le dressing, on tombait sur une pièce circulaire dont le centre était
occupé par un dôme de verre fumé destiné à donner au patient un minimum de vie
privée. Le dôme occupait un espace d'environ 75 m² et était divisé en une pièce
centrale de 58 m² qui faisait zone de vie et zone de traitement. Le plus gros
de l'espace était occupé par un lit électrique à élévateur entouré de matériels
comme des supports de porte sérum remplis de substances médicales, un
respirateur, un appareil de sédation à vaporisation, des pompes à perfusion, de
moniteurs médicaux, un appareil à dialyse... Il y avait là tout le nécessaire
pour maintenir Davy en vie, ou plutôt à lui alléger l'existence.
A l'approche du docteur Zavatta et de Dalanda, la vitre fumée s'éclaira
dévoilant Davy flottant dans les airs, grâce l'absence de gravité. Souffrant
d’ostéogenèse imparfaite avancée, la maladie des os de verre, il ne pouvait
poser le pied à terre sous gravité sans se casser quelque chose. Le nombre de
fracture qu'il avait était un véritable. Le jeune homme dans la vingtaine, dont
la peau recouverte de plaques et de pustules jaunâtres, percée de toute part
par des aiguilles de transfusion, se retourna lentement lorsque sa pièce
s'éclaira et sourit de toutes ses dents imparfaites en voyant sa mère. Ses yeux
dont la couleur virait à l'orange, commencèrent à perler avant que Davy ne
hurle de toute la force de ses poumons défaillants.
- MAMAN ! - comme un enfant ravi.
- Hey, mon bébé - répondit Dalanda en souriant en retour, avalant sa peine
tout en l'enfermant tout au fond de son être. Malgré les tambourinements de
cette dernière à la porte de sa conscience, la femme, la mère, tenait
bon.
Malgré le physique d’un jeune homme dans la vingtaine qui avait terminé sa
croissance physique, certes avec plusieurs imperfections comme l'attestaient la
longueur irrégulière de ses membres, ainsi que son apparence d'anorexique, Davy
avait un cerveau sous développé pour son âge. Il avait l’intelligence et le
comportement d'un enfant de cinq ans.
La raison de ce profond retard de développement mental était liée à la douleur
chronique, similaire à une celle de plusieurs caries simultanées, lui vrillant
le crâne en permanence. Et la seule chose que la médecine moderne pouvait
faire, était d'alléger la souffrance sans jamais réussir à en venir à bout. De
ce fait, réfléchir, développer les pensées, les nourrir de faits et
d’arguments, mûrir, toutes ces choses" naturelles" chez un humain
normal, n'avaient pas pu se réaliser correctement dans le cas de Davy. Son
corps avait continué sa croissance, mais son esprit, lui, a été halté dans la
sienne.
- Maman ! Tu es venue ! – hurla faiblement le jeune homme ravi et soulagé
de la voir. Comme s’il pouvait en être autrement, comme si elle pouvait se
détourner de son rôle et l'abandonner, lui le fils qui ne lui pose que des
problèmes. C'est pourquoi il ne pouvait être qu'ému de la voir, et ce à chaque
fois qu'elle lui rendait visite, ou plutôt que son état lui permettait des
visites.
Cependant, fatidiquement, le regard de Davy se posa sur le géant à
proximité de sa mère et ses yeux oranges virèrent au rouge sang. Il essaya de
serrer ses poings rachitiques mais ses muscles atrophiés ne permettaient de
sceller le geste.
- "Et c'est reparti" - pensa Raèl en croisant les bras, tout en
se raidissant, pour se protéger mentalement des cris et des injures.
- Sal..Salut Raèl - dit Davy amicalement, ce qui laissa son frère
grandement étonné au point où sa mâchoire faillit tomber par terre. Et il
n'était pas le seul, même Dalanda ressenti un certain soulagement visible à
travers ses épaules qui se redressèrent comme si elle venait d'ôter un poids
particulièrement lourd.
- Je vais bien e... - "Et toi" voulu demander Raèl machinalement,
sous la suggestion de ses compétences sociales limitées, mais même lui compris
qu'il allait faire une sérieuse boulette. "Et toi ?", il ne fallait
pas être un génie pour comprendre que "pas bien" serait la réponse -
Je vais bien...
- Et toi mon bébé, comment est-ce que tu vas ? - demanda Eiling en posant
la main sur le verre - le docteur Zavatta m'a dit que tu allais mieux - dit elle
et Raèl essaya de se rappeler à quel moment cette conversation avait eu lieu,
parce que, de ce qu'il avait entendu, la santé de son frère ne faisait
qu'empirer.
- "Est ce que maman est en train de mentir ?" - se demanda-t-il
en prenant du recul.
- Oui, c'est vrai. Et même que bientôt, et même que bientôt j'irai beaucoup
mieux - s'extasia Davy
- Ah oui ?! - réagit Dalanda en jetant un regard sévère au docteur
Zavatta qui se tenait non loin.
- Tout comme vous, je n'ai aucun doute sur la guérison de monsieur Davy -
répondit le docteur, soit en se mirant dans le verre, soit en contemplant son
patient.
- Hmpf, la chambre est prête ? - demanda Dalanda au docteur
- Oui, bien sûr. Et elle n'attend que vous.
- Bien. Vient Raèl, on va voir ton frère - ordonna Dalanda avant de dire -
j'arrive mon bébé, on a plein de choses à te raconter.
Blabla de l'auteur
Hello à vous chers lecteurs ! J'espère que vous avez passez un bon moment de lecture :)
Texte time !
Hmm, il y a peut être beaucoup de choses à expliqué, je le fais au fur et à mesure dans les pages journalières. Mais si jamais vous avez des questions, suggestions, etc... n'hésitez pas à laisser un commentaire ou à m'écrire ici: unepageparjour@hotmail.com
Alors, je vous souhaite beaucoup de repos ce week end, car selon une récente recherche de l'université de Stockholm en partenariat avec l'institut de Karolinska, a montré que l'absence de repos durant la semaine et le week augmente le taux de mortalité de 52 %. Alors faites une sieste, parce que moi, là, j'entend l'appel de l'oreiller :)
Merci de me lire ! Vous êtes formidables !! Tchuss et à demain !!! Portez vous bien !!!!
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