Je
ne sais pas quand ça a commencé : mon mal-être. À vrai dire, je ne sais pas s’il
y a une date exacte au début de tous mes problèmes, mais personnellement je l’ai
constaté un soir au boulot. Mes doigts pianotaient nerveusement sur mon bureau,
ma cravate m’étouffait, quelle bonne trouvaille ça la cravate, un nœud de
pendaison portatif et ce n’est pas l’intention de l’utiliser comme ça qui
manquait... J’avais chaud, j’avais chaud au torse et au cou, froid au front et
aux mains, je transpirais des aisselles comme un porc... je ne sais pas, je ne
me sentais pas bien. Je m’étais dit que je couvais quelque chose, un début
d’allergie à quelque chose ou un diabète. Vu comment je me goinfrais de fast
food ces derniers temps ce ne serait pas étonnant, mais je n’avais pas le temps
de bien cuisiner. Depuis ma promotion, d’où la cravate sinon jamais je n’aurai
porté une telle horreur, je n’ai le temps de profiter que de mon lit et
encore...
-
On a de gros contrats Francis !
-
Il faut aller plus vite Francis !
-
Il faut clôturer le dossier Francis !
-
Tu as appelé Jean Paul pour négocier le contrat FRANCIS !!
-
FANCIS, FRANCIS, FRANCIS !!!
Je
crois que c’est ça, je n’en pouvais plus, mais je ne voulais pas le reconnaître.
Une question de fierté sans doute, ou une question de peur... probablement les
deux. Pourquoi eux ils y arrivaient à gérer toute cette pression et moi pas ?
-
Est-ce que je suis un loser ?
Je
ne m’étais jamais posé cette question avant, mais depuis ce poste je me la pose
presque tous les jours et la réponse me fait peur. Je ne vais jamais trop loin
dans cette réflexion.
Face
à ce problème, je m’étais décidé à faire ce qu’il fallait. Je me suis acheté une
balle antistress qui ne quittait pratiquement plus jamais mes mains. Ca m’a
musclé les poignets ce machin un truc de fou, pourtant le stress, il était
encore là. Je me suis passé des musiques relaxantes : pluie, dauphin, baleines,
au moins toute la faune maritime y est passée, mais le stress ne partait pas. Je
me suis tourné alors vers des méthodes que je trouvais risibles, oui déjà la
musique est risible, mais là je parle yoga et toutes ces conneries de feng shui
ou feng shiu... bref ces trucs qui viennent du côté des bridés... et vu que le
temps était un problème je me formais moi même avec des vidéos et des forums
entre deux dossiers ou deux repas.
Ça
m’occupait l’esprit aussi c’était pas mal. Je n’y ai pas trouvé de réponse à mon
stress, c’est comme ça. Il y en a qui font des régimes et ça ne marche jamais,
moi ce doit être pareil pour mes nerfs. Ils sont en effervescence constante,
apparemment... Mes recherches m’ont poussé vers quelque chose qui devrait être
qualifié d’occulte, mais qui porte un nom scientifique : transférence
émotionnelle. Du moins c’est ainsi que l’auteur l’expliquait. Ce n’était pas un
livre très lu, sur Amazon il y avait deux ou trois avis mitigés, mais j’étais
prêt à lire tout et n’importe quoi qui m’aide à me sentir moins mal.
-
Pourquoi je n’ai pas quitté mon job ?
Vous
en posez vous de drôles de questions... Je ne sais pas. Comme vous pouvez le
constater, j’ai pensé à tout sauf au plus simple, il faut croire. Quitter mon
job, ça m’aurait sûrement évité tous ces ennuis.
Le
bouquin émettait un postulat intéressant selon lequel tous les humains étaient
connectés comme un réseau et comme tout réseau il y avait des systèmes de
«compensation». Lorsqu’une partie du réseau était surchargée, la charge pouvait
être transférée à d’autres. Je m’étais dit
-
Super ! Comment je fais.
J’avais
d’ailleurs une idée de qui allait être mon porteur.
Il
y avait quelques techniques décrites dans le bouquin, mais hélas, aucune ne
marchait. Là encore j’avais l’impression d’être un loser et je me suis rendu
compte que c’était juste un tas de conneries. J’ai jeté le bouquin et pour la
première fois de ma vie je me suis senti comme une bête en cage. J’étais arrivé
au bout de mes recherches, je n’avais plus aucune idée de quoi faire, mais une
chose était sure je ne voulais pas retourner au boulot. Rien que d’y penser je
commençais à me sentir fiévreux.
Cette
nuit-là je n’ai pas dormi, je cherchais quelles excuses je pouvais utiliser,
comment faire ? Est-ce que je devais aller voir un médecin du travail ? Est-ce
que c’était si grave ? Il y avait plein de dossiers à traiter et sans moi mes
collègues allaient avoir plus de travail... Je tournais, tournais, tournais, et
je ne sais pas pourquoi je m’étais mi le doigt sur la tempe comme pour me tirer
une balle. J’ai eu peur de ce geste parce que pour la première fois de ma vie ce
n’était pas juste pour rigoler, j’y avais trouvé un certain plaisir en appuyant
sur ma gâchette fictive.
Ça
m’a fait peur. Absurde je sais, mais j’ai préféré tirer vers le plafond pour ne
pas me tenter dans mon mal-être. Et puis ça s’est passé. Lorsque j’ai appuyé sur
la détente de mon pistolet imaginaire, je me suis senti délesté d’un poids.
J’étais si confus que j’ai regardé mes doigts comme s’ils étaient magiques, je
pouvais même sentir une sensation étrange dans mon index comme un vague de
chaleur. J’ai fermé alors les yeux pour faciliter ma concentration. Tous les
livres que j’avais lus disaient la même chose, qu’il était important de donner
une certaine forme au monde qu’on a à l’intérieur. Je n’étais pas à ce niveau,
le mien était flou et obscur à l’image d’un jour de blizzard. J’ai pensé à tirer
de ce monde ce que j’avais de négatif. Bon c’est plus du ressenti qu’autre
chose, mais j’ai juste guidé ce négatif le long du bras et puis bang ! J’ai tiré
à nouveau vers le plafond et à nouveau ce sentiment de soulagement.
Pourquoi
un pistolet ? J’avais tout essayé jusque là, mais jamais je n’avais utilisé
cette image. Je n’ai jamais aimé les armes, je n’ai jamais eu d’armes ni tenu
une arme hors mis un couteau de cuisine. Les armes à feu me raidissent comme un
bout de bois et je les trouve le sommet de l’injustice et pourtant là, c’est
cette image de pistolet qui me fait du bien. Pourquoi un pistolet ? Peut-être
que c’est simplement une image, l’image d’une libération comme un orgasme.
C’était étrange, mais j’étais prêt à prendre tout et n’importe quoi pour me
sentir mieux, même l’image d’une mamie centenaire en petite tenue. Vraiment
étrange comment l’esprit fonctionne...
Autant
dire que je n’ai pas dormi de la nuit. Je me suis mi un vieux film de cow-boy et
j’ai passé la nuit à tirer mon stress dans toute la maison. Au petit matin
j’étais prêt à bouffer la vie à pleine dent et me venger un petit peu de mon
boss qui n’avait que Francis fait ci ou ça à la bouche. Je m’étais préparé à ce
que j’allais faire. Le matin il était toujours à la machine à café avec son
petit air supérieur, comme si le monde lui appartenait alors qu’il est con comme
une chaussette... J’allais rappliqué tout sourire en lui faisant
-
Hey ! Hey ! Hey ! Comment ça va ce matin ? - en faisant un double geste de
pistolet. Il n’allait rien voir venir et moi j’allais me sentir comme un charme.
Tout
s’était passé comme prévu, il m’avait regardé comme si j’étais un abruti complet
en me répondant
-
Ça va très bien mon petit et vous aussi à ce que je vois. Où en est le dossier
clément ?
Et
j’avais répondu
-
Il sera remis clé-en-main ! - pas peu fier de mon petit jeu de mots.
Ho,
la tête qu’il avait fait. Habitué à me voir malheureux, peut être même ravi de
me voir malheureux, cela avait du lui faire bizarre de me voir en forme. Armé de
mes deux index, je n’avais plus peur de rien.
J’ai
fait comme ça pendant deux mois, tous les jours je lui tirai dessus et il
s’était même pris au jeu le con en me rendant la pareille sans le petit extra
bien sûr. Mais au bout de deux mois, j’ai commencé à voir les résultats ... Au
début je me disais que c’était marrant qu’il ait le revers de médaille, mais ce
n’était plus devenu marrant, c’était devenu inquiétant. Même son teint était
devenu jaunâtre comme s’il était devenu malade. Vu les résultats et le petit jeu
matinal, on avait commencé à parler plus et là toute sa vie partait en l’air. Il
m’avait même avoué qu’elle avait mis une baffe à son petit si fort qu’il lui
avait pété une dent et il ne comprenait pas pourquoi, le petit posait juste des
questions innocentes, mais il a vu rouge. Je sais, ce n’était qu’un juste retour
des choses je me disais, il s’en fichait moi de mes problèmes je me disais... je
ne sais pas, j’aurai dû m’arrêter, j’aurai vraiment dû m’arrêter.
Au
bout du quatrième mois, c’était un jeudi j’ai juste entendu un bruit de vitre
brisée depuis son bureau. On s’était tous levé pour se précipiter vers son
bureau et il n’y était pas. Il était en bas, 5 étages plus bas, la tête éclatée
comme une pastèque. J’ai eu un haut-le-cœur insupportable. J’ai vomi dans sa
poubelle avant de me réfugier dans les chiottes loin des yeux accusateurs, loin
de ma culpabilité, mais cette connasse m’avait suivi.
L’idée
d’avoir tué un homme, cet homme, un humain... j’étais responsable de sa mort, je
le savais. Même si mon cerveau essayait de tuer cette culpabilité, je savais que
c’était moi avec mes tirs de pistolet imaginaire.
Je
ne suis pas revenu au boulot depuis, je ne pouvais pas et surtout je ne pouvais
pas imaginer que ce qui venait de se passer n’était que le début de mes ennuis.
J’avais passé une semaine à «tirer» tout mon mal-être dans la maison et il y en
avait beaucoup trop même. C’était comme si ma maison était devenue une de ces
maisons bordéliques avec le linge partout, l’évier salle, les boîtes à pizza au
sol, vous voyez le tableau. Mais ce n’était pas physique, la saleté et la
puanteur n’étaient pas physiques...
Comme
je l’ai dit, ce n’était que le début de mes ennuis. Mais vrais problèmes ont
commencé après un cauchemar où je voyais Charles, mon boss, il s’appelait
Charles. Je crois que je tombais, je tombais et tout tombait d’ailleurs. Es
tables, les chaises, mes collègues... il n’avaient pas de visage comme des
mannequins de crash test. Avec des vêtements, mais sans visage. On tombait comme
ça de plus en plus vite vers une sorte d’obscurité. J’ai ensuite vu Charles
tomber avec moi, lui par contre il avait un visage, son visage explosé contre le
béton. Il s’était tourné vers moi et commença à nager dans ma direction. J’ai eu
peur, j’ai flippé, et sans réfléchir j’ai commencé à nager le plus point
possible de lui. Du moins j’essayais de le faire, mais c’était impossible vu que
j’étais en train de tomber.
-
Tu m’as tué ! - qu’il criait
-
Non ! C’est faux - que je lui criais.
Mais
ce n’était pas possible, on était en train de tomber.
Lorsqu’il
arriva vers moi, il me saisit la jambe. J’ai riposté en lui donnant des coups de
pieds au visage. On a commencé à se bagarre et pendant qu’on tourbillonnait
comme deux coqs en chaleur, j’ai vu dans cette obscurité deux gros yeux qui nous
regardaient.
Je
me suis réveillé direct en hurlant de peur. Je n’ai jamais eu de cauchemar comme
ça, aussi... réel. Mais le plus terrifiant c’est que lorsque je me suis réveillé
j’ai vu deux yeux flotter au-dessus du lit et puis pouf, ils ont disparu.
Blabla de l'auteur
Voilà,
ça m’a pris comme ça. C’est une petite histoire née du sujet d’hier, ou inspirée par le sujet d'hier concoctée à la va-vite. Après mon cerveau a fait le reste et a modifié le machin pour donner je ne sais quoi. J’espère que ça vous a plu. Je ne sais pas si je vais la continuer, n'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez.
Merci de me lire ! Vous êtes formidables !! Tchuss et à demain !!! Portez vous bien !!!
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