vendredi 14 décembre 2018

Meliacor : Stargorad, pages 61 à 80


- "Quelle journée..." - pensa Alésha, allongée sur le sol de sa chambre, « généreusement » fournie par Van Alphen. Elle ne pouvait se résoudre à s'allonger dans le lit aux draps non changés et salis par du sang séché, ainsi que des bouts de cervelle. Apparemment, le dernier occupant s'était fait sauter le crâne, mais comment l'en blâmer ? Après le cauchemar qui avait dû se produire ici, une balle dans la tête devait être vue comme un véritable salut pour l’ancien occupant : Choki Dimitriou.

Elle avait trouvé le nom sur les documents encore présents dans les tiroirs. Laissant parler sa curiosité naturelle, Alésha lut tout ce qu'elle put trouver et n'en fut que plus attristée. Il semblait être un type bien, avec quelques problèmes de conscience et plusieurs soucis professionnels… mais l’enquêtrice avait du mal à imaginer qu’on puisse vouloir mettre fin à ses jours au lieu d’affronter ses problèmes…  

La jeune femme était au sol à côté de son armure, le contact avec le métal froid était suffisamment rassurant pour lui donner le confort nécessaire à la détente. C’était son arme, c’était son armure et son bouclier pour lutter contre l'angoisse de l'obscurité, non celle de la pièce éclairée, mais celle de son esprit endormi. Néanmoins, son imagination n'aidait pas. Elle voyait cette ombre gigantesque dévorer tout le monde comme sur les enregistrements non détruits, un monstre venu des profondeurs de l'enfer sans nul doute. Quelle autre explication pouvait-il y avoir ? 

La jeune femme était allongée sur le sol à côté de son armure, tantôt fermant les yeux pour essayer de capturer quelques minutes de repos, deux trois minutes seulement avant de les ouvrir à nouveau, étouffée par la peur issue des bruits environnants. Elle sentait quelque chose approcher, quelque chose rodant non loin, mais elle savait aussi que ce n'était que le fruit de son imagination. Pour autant l'angoisse était là, présente, et n'avait que faire de la réalité, elle créait simplement la sienne. Et dans celle-là, la créature pouvait surgir à n'importe quel moment ! Et c'est là qu'elle ouvrait les yeux, se sentant ridicule et rassurée à la fois. 

Au bout d'une heure, elle eut marre de ce petit jeu avec son propre esprit qui l’épuisait plus qu’autre chose. Alors elle entra dans son armure avant de prendre la porte pour aller juste en face, au diable la fierté. Cependant, avant de frapper à la porte de son frère, sa vue périphérique et son ouïe capturèrent quelque chose. La jeune femme tourna la tête rapidement, la main sur l'arme pour dégainer au besoin, et fut figée de stupéfaction. Au-dessus du sol, accompagnée par une étrange musique, flottait une tête étrange aussi grosse et ronde qu'un ballon, dépourvue d'yeux, mais parsemée de dents sortant de tous les côtés comme des lames de couteaux. 

Soudain, la tête fit apparaître une main griffue flottant au-dessus du sol, tenant un objet doré duquel provenait la musique. Sans attendre, sans comprendre, sans avoir besoin de savoir qui, quoi, quand, comment, pourquoi, Alésha, dans un calme olympien qui l'étonna elle-même, dégaina son arme et ouvrit le feu sur la chose. 
Ba ba ba bannngggg !!! Alésha appuyait si vite sur la détente que l'arme avait du mal à suivre la cadence, tirant plus comme un revolver qu'un semi-auto. Dans un mouvement expert, elle rechargea son arma en un souffle juste au moment où Monroe sortit de sa chambre en éclatant la porte à coup de pied avant de se mettre en position de tir. 
- Qu'est-ce qui se passe ? - demanda-t-il ensuite de sa voix monotone sans pour autant ranger son arme. Même si ses radars et ses yeux ne voyaient rien, cela ne voulait pas dire qu'il n'y avait rien. Pet être que quelqu'un était camouflé et sa sœur l'avait remarqué, mais pourquoi ouvrir le feu ? - Ça va ? tu vas bien ? - demanda Monroe en concluant que la seule possibilité était que sa sœur avait été obligée d'ouvrir le feu parce qu’elle était en situation de légitime défense - Tu as vu qui s'était ? - demanda-t-il ensuite en pointant son arme dans la direction opposée histoire de couvrir leurs arrières - Alésha ? - insista Monroe en reculant à petits pas, scrutant chaque centimètre carré du couloir du sol au plafond. 

- Est-ce que tu vois ce truc ? - demanda Alésha en essayant de reprendre son souffle déréglé par le stress. 
- Voir quoi ? - demanda Monroe en jetant un rapide coup d'œil derrière lui, en direction de sa sœur, avant de regarder à nouveau droit devant lui, l'arme en poing. 
- Ce truc ! Là ! - demanda Alésha agacée en pointant vers le sol, où était posée une boîte à musique dorée qui avait cessé de fonctionner. La chose qu'elle avait vue et qu'elle ne savait comment appeler l'avait laissé là avant de disparaître. Elle l'avait posé au sol comme une invitation à la prendre, alors que les balles la traversaient comme si elle n'existait pas. Puis, son visage se creusa au centre, devenant semblable à un tunnel de feu aux murs parsemés de rangées de dents circulaires, un tunnel se perdant dans l'infini, un sourire d'un autre monde. 
- La boîte à musique ? - demanda Monroe
- Oui ! La boîte à musique ! Quoi d'autre sinon ? Tu as vu quelque chose d'autre ? - demanda-t-elle sur un ton qui se voulait détacher tout en pensant très fort - "Dis-moi que tu as vu quelque chose d'autre s'il te plait, dis-moi que je ne suis pas folle !"
- Non, je n'ai rien vu d'autre - avoua Monroe en décidant de baisser son arme, mais à la garder en main, au cas où - qu'est-ce qui s'est passé ? Tu vas bien ? Tu as vu ton agresseur ? Et...

- Doucement les questions Monroe, je n'ai pas de réponses à plusieurs d'entre elles - répondit Alésha en fixant intensément la boîte à musique. En cet instant son esprit lutait entre deux questions d'une banalité infantile : la prendre ou ne pas la prendre. C'était d'ailleurs une question qui n'avait pas à se poser vu que la réponse rationnelle était de ne pas prendre. Aucun débat sensé ne pouvait même avoir lui, pas après ce qui venait de se passer, pas après ce qu'elle avait vu. Et pourtant, malgré le fait qu'elle soit consciente de cette folie le débat avait prenait quand même place dans son esprit pour une raison et une simple raison d'ailleurs : l'envie. Face à cette pulsion grandissante, la logique et le sens commun se voyaient écrasés. Se sentant perdre, Alésha ouvrit le feu sur la boîte à musique. Le projectile heurta le métal doré et fut dévié sans laisser la moindre trace.

Monroe saisit le bras de sa sœur pour réagir face à ce comportement anormal, mais avant de faire quoi que ce soit d'autre il remarqua l'anomalie. Dorée ou non, la balle aurait dû laisser une trace sur la surface de la boîte.   
- Étrange ! - dit-il alors en laissant la main d'Alésha. Le jeune homme s'accroupit pour voir l'objet de plus près. 
- Non ! - hurla Alésha, mais trop tard, Monroe l'avait déjà entre ses mains.
Crrr rrr crr crrr rrr. Lorsque Monroe toucha l’objet, ce dernier s’anima, et commença à jouer de la musique. Cependant, le son était parasité et la boîte elle-même craquetait et toussait, comme si le mécanisme était grippé. 
- Fascinant ! - commenta le jeune enquêteur, intrigué par le mystère devant les yeux. Monroe Niko avait toujours été fasciné par les jeux d’esprit, par les puzzles physiques et mentaux. Cependant, son acquisition de la boîte fut de courte durée, car Alésha le shoota du pied hors de la main de son frère. L'objet fila comme un ballon à plus de 300 km à l’heure et s’encastra profondément dans le mur. 
- Je peux savoir pourquoi tu as fait ça ? - demanda Monroe en regardant sa sœur avec incompréhension, alors qu'à l'autre bout du couloir la boîte lâcha comme un son, plus clair, mais également grippé.
Tiirriirrrr rriitti...

La musique ne dura qu’un instant à peine et puis ce fut à nouveau le silence.
- Il faut qu'on parte d'ici - dit Alésha sans donner d’explication à son comportement violent et dénué de sens, en apparence.
- pourquoi ? – demanda calmement son frère en se levant. Son esprit travaillait à vive allure en essayant de comprendre pourquoi. Sa sœur était rustre et masculine, un trait qu’elle avait développé parce qu’ils partageaient les mêmes amis, principalement des garçons, et le séjour en armée n’avait rien arrangé à la situation. Elle avait également un tempérament agressif doublé d’une faible patience, cependant, l’éducation de Haysh Niko faisait barrière à ces mauvais côtés. Jamais au grand jamais, elle ne s’était comportée de la sorte avec un membre de sa famille, à moins qu’elle soit convaincue que c’était la bonne chose à faire. Comme durant leur bizutage qui s’était mal passé où elle lui avait pété plusieurs côtes pour le faire tomber et éviter de se faire fracasser le crâne avec un haltère. Dans l’esprit d’Alésha, cette méthode faisait sens, mais uniquement lorsqu’elle avait une excuse. Alors quelle était l’excuse cette fois-ci ? Monroe ne pouvait trouver, après tout ce n’était qu’une boîte à musique.

- Je n'ai pas envie de l'expliquer maintenant. Allez vient ! – dit Alésha en faisant volte-face pour partir.
- ... Et ce truc ? - demanda Monroe en hochant de la tête en direction de la boîte à musique. 
- Eh bien quoi ? on la laisse là – répondit sa sœur agacée.
- Non – répondit calmement Monroe.
- Non ? Comment ça non ? – s’étonna Alésha.

- Je crois comprendre que ton comportement étrange est lié à cet objet. Pourquoi, comment ? Je ne sais pas, mais je te connais suffisamment pour savoir que tu as peur...
- hmpf...
- ... de cette chose – expliqua le jeune homme - elle doit présenter un danger que j'ignore, alors si c'est le cas, nous ne pouvons juste la laisser là. Quelqu'un d'autre pourrait la trouver, n'est-ce pas ? 
- ... Ouais, ouais, c'est vrai – admit Alésha - mais... – « Mais ce n’est pas notre problème, ça nous dépasse », voulu-t-elle dire.
- Pas de mais. Je te rappelle qu’en l’absence d’officiers de police, nous avons comme mission de nous substituer à ce rôle dans l’intérêt de la protection du public – dit Monroe.
- Ah tu fais chier Monroe, ce n'est pas le moment de penser à ce genre chose. 
- Alors quand est-ce que c'est le moment ? Si face on danger on décide de fermer les yeux et d’ignorer nos responsabilités alors n'avons-nous pas failli notre rôle ? C’est ce que tu veux être ? Un échec ?
- ... Putain – s’énerva la jeune femme en étant à court d’arguments. Son frère avait fait mouche et elle ne pouvait riposter sans perdre la face en faisant preuve de mauvaise foi.
- Tu es trop émoti...
- Ah ça va hein ! Ne commence pas. Tu n'as pas vu ce que j'ai vu.
- Et qu'est-ce que tu as vu ? Tu refuses de me le dire – rappela Monroe.
- ... Un fantôme – répondit Alésha après quelques instants d’hésitation.

- Un fantôme ? Par fantôme tu veux dire une personne...
- Non, pas une personne camouflée ! Tu me prends pour qui ? Je te parle d'un vrai fantôme ! J'ai vidé mon chargeur sur cette créature et rien, rien !
- Hmm, une seconde - demanda Monroe en passant un appel privé - oui, papa ? On a une situation particulière.
- Qu'est-ce que tu fais ? - demanda Alésha furieuse - raccroche tout de suite ! – dit elle morte de honte. Ils n’étaient plus des enfants, ils pouvaient gérer cette situation tous seuls. Et comment elle allait lui parler de fantômes ? Il allait sans doute penser qu’elle avait céder face au stress.
- Trop tard, il va arriver - répondit Monroe juste avant d'entendre un petit "clank !". Le jeune homme baissa le regard et vu la boîte à musique au pied de sa sœur. 
Au son du choc métallique à ses pieds, Alésha sursauta intérieurement. Son instinct avait la réponse à la question qui naquit naturellement dans son esprit, l'instinct : capacité qu'à l'être humain de traiter une information si vite que le cerveau n'avait pas le temps de dérouler tous les arguments logiques, pure information issue de la combinaison de l'expérience, de l'intelligence, du savoir, compressés, compactés ensemble pour donner une information simplifiée ; cet instinct avait déjà dessiné l'image de la boîte à ses pieds. Cependant, il n'y avait pas que la boîte. A moitié sortie du sol, la créature de tantôt était encore présente, poussant l'objet contre le pied de la jeune enquêtrice.

Tiiirrriii rri tii tiii, la boîte commença à jouer obligeant la jeune femme à reculer d'un pas et une fois que le contact fut rompu, ce fut à nouveau le silence. La chose, le fantôme, portier d'entre deux mondes la regarda intensément. Malgré l'absence d'yeux sur le visage, Alésha pouvait le sentir, ce regard froid, glacial, effrayant, percer en son âme. Elle pouvait sentir cet appel, ce murmure grandissant : "veux-tu survivre ?". Murmure accompagné d'images floues et entrecoupées montrant une ville étrange, elle, le cadavre de son frère dans ses bras, une personne qu'elle n'avait jamais vue, un z'hum félidé et immense aux griffes trempées de sang et quelque chose au-dessus de leur tête, gigantesque et circulaire...

- RAHHH ! - hurla la jeune femme en ouvrant le feu à nouveau, mais comme avant, les balles ne firent que traverser la chose, perforant le sol innocent.
- Alésha ! - demanda Monroe en maîtrisant physiquement sa sœur, la plaquant contre le mur - Arrête ! Qu'est ce qu'il y a ? Tu commences à m'inquiéter.
- Je le vois Monroe, le fantôme, je te jure. C'est lui qui a ramé la boîte, je ne suis pas folle. Je le vois ! Regarde ! - demanda, non, supplia sa sœur alors que la chose sortait du mur, son visage presque collé au sien.
Monroe regarda autour de lui et ne vit personne, mais ne pas ressentir d'émotion ne voulait pas dire ne pas entendre d'émotion. Il dut apprendre, ou plutôt réapprendre à les comprendre, les intellectualiser à défaut de les ressentir, et là, il entendant une profonde détresse, détresse qu'il choisit de ne pas ignorer.
- Où ? - demanda Monroe
- Là, juste devant, il est juste devant moi ! Lâche-moi que je le fasse retourner en enfer !
- Du calme sœurette ! - demanda Monroe en lâchant la pression. Il ordonna à son armure de changer de spectres lumineux : infra rouge, ultraviolet, gamma... et parmi toutes le options qu'il avait, une seule produit un certain résultat. Il put voir, à quelques pas de lui, un léger contour électromagnétique à peine visible - je crois que je le vois aussi - dit-il ensuite en ne sachant pas s’il devait croire ses yeux, ou si c’était son esprit qui essayait de justifier sa sœur en lui montrant ce contour.

Les possibilités de l’existence d’une telle chose le dépassaient complètement. Lui, né et élevé dans un monde pragmatique, ayant embrassé le scientisme ou la religion de la science, ne savait comment opérer cette information.
- Tu le vois ? Monroe ?! Je ne suis pas folle ?! 
- Je ne sais pas encore, à dire vrai je préfère que tu sois folle - répondit son frère en la lâchant - qu'est ce qu'il veut à ton avis ? 
- La boîte, il veut que je la prenne - répondit Alésha
- Pourquoi ? - demanda Monroe
- ... Sérieusement ? Tu crois que je le sais ? 
- Il n'a pas communiqué ? Il n'a rien dit ? - demanda Monroe sur son ton monotone. 
- Je ne suis pas sure
- Tu n'es pas sure ? 
- Oui, je ne suis pas sure. Je commence à entendre une voix dans ma tête...
- Qu'est ce qu'elle dit ? 
- ...
- Alésha, qu'est ce qu'elle dit ? 
- Que nous allons tous mourir, si je ne prends pas cette boîte.
- "..." - Monroe ne savait que penser. Si cette chose n'était pas le fruit d'une hallucination collective, s'il y avait bien autre chose derrière ce voile électromagnétique qui n'était pas qu'une simple anomalie, bug, ou autre, mais bien un être doué de raison, et si cet être était lié d'une quelconque manière à la boîte. Alors cette mise en garde avait de fortes chances de n'être que mensonge. Cependant, Monroe était également la meilleure personne pour savoir que forte chance n'était pas synonyme de garanti. Après tout, son opération avait de fortes chances de se passer sans provoquer le phénomène quelques fois appelé : déshumanisation cyborgnotique. C'est pourquoi il ne pouvait prendre le petit pourcentage restant, cette hypothèse peut-être improbable que la chose ne mentait pas, avec sérieux.

- N'écoute rien de ce que tu entends - entendirent-ils dans l'intercom de leurs armures. 
- Haysh ? -  s'étonna Alésha ? Tu as tout entendu ? 
- Oui, Monroe a laissé son intercom ouvert. N'écoute rien de ce que tu entends dans ton esprit. Je suis désolé, j'ai peut-être été trop hâtif en t'amenant sur le terrain.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? 
- Le stress a dû provoquer...
- Tu n'y es pas du tout ! - répondit sèchement Alésha en secouant la tête pour faire taire les murmures incessants - Monroe, tu vois bien non ? Dis-lui !
- Alésha je ne suis pas certains de ce que je vois, c'est trop flou. Ça peut être juste un bug...
- Un bug ? Ne te fou pas de moi ! Comment est-ce que ça peut être un bug ? Je ne suis pas folle ! Ce truc est juste devant moi et il me parle ! Il me montre des images horribles ! Pourquoi tu fais ça saloperie ! - hurla la jeune femme en essayant de taper la créature, mais ses poings ne faisaient que toucher le vide. 
- Alésha arrête ! - demanda Monroe et au bout de quelques instants elle tomba au sol, ronflant comme un bébé. 

- Je suis désolé, je ne voyais pas d'autre solution - dit Haysh via l'intercom après avoir activé à distance l’injection de morphine. Toutes les armures de survie et militaire étaient équipées de diverses substances pour permettre à leurs occupants de survivre : morphine, adrénaline, pcp, et drogues diverses, ou plutôt stimulants divers. Et quant à sa capacité de contrôler certaines fonctions de l'armure d'Alésha, elle s'expliquait simplement par le fait qu'il avait les codes maîtres pour l'armure de ses enfants, non parce qu'il était leur père, mais parce qu'il était le leader.  
- Je comprends papa - répondit Monroe 
- Remet là dans sa chambre, j'arrive - demanda Haysh. 

Ce dernier courait aussi vite qu'il pouvait, montant les marches six à six, survolant presque les escaliers, inquiet pour ce qui était en train de se passer. Il savait que sa fille était émotionnelle, mais de là à agir de la sorte, ce n'était pas normal. Mais un fantôme ? Non, c'était du pur délire. 

Haysh sortit ensuite dans le couloir qu’il avala en quelques instants puis tourna à l’intersection pour voir Monroe entrer dans la chambre d’Alésha.

Il se précipita juste derrière pour la voir posée sur le lit, plus un geste symbolique qu’une nécessité.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? - demanda Haysh 
- Je ne sais pas - répondit Monroe - je l'ai entendue tirer dans le couloir. Je pensais qu'elle avait été attaquée, mais elle a commencé à me parler de fantôme. 
-  Tu l'as vu ? 
- Non c'était trop flou pour être sûr. Par contre, ce truc s'est déplacé en même temps que nous. 
- Comment ça ? Où est ce qu'il est ? - demanda Haysh de manière rhétorique. Il passait déjà d'un spectre lumineux à l'autre et finalement aperçut quelque chose au-dessus du lit de sa fille et son sang ne fit qu'un tour.
L'intelligence est l'une des choses les plus précieuses au monde. Une étincelle de quelque chose qui dépasse l'entendement humain, venue de nulle part, et pourtant omniprésente. Et haysh Niko était une personne dotée d'une grande forme d'intelligence pragmatique, et sans doute là était l'une de ses plus grandes faiblesses. 

Haysh pensait avoir compris le monde, et cette certitude l'avait rendu rigide. Tout ce qui était dans son intervalle de compréhension, il pouvait le traiter avec une efficacité redoutable, et c'est cette certitude qui faisait de lui un inspecteur hors pair. Mais voilà qu'encore une fois, sa compréhension du monde était chamboulée, et cette fois par un fantôme, qui avait tout d'un vrai. 

Incrédule, Haysh essaya de toucher ce truc, ce voile, ce flou montré par la visière de son casque, mais sa main traversa l'anomalie comme si elle n'existait pas, ou presque. Il y avait là une légère augmentation de température qui ne pouvait être constatée que par la peau humaine malgré la supériorité des capteurs artificiels. La chair réagissait à quelque chose que les machines ne pouvaient commencer à comprendre. 

- Qu'est ce que c'est que cette chose ? - murmura Haysh. 
- Ce n'est donc pas un bug - constata Monroe
- Non, fils, si on le voit tous les deux alors ce n'est pas un bug... - murmura Haysh, qui ne savait plus que penser ni comment penser d'ailleurs. C'était comme si les rouages de son esprit n'arrivaient plus à se connecter. 
- Papa, qu'est ce qu'on doit faire à ton avis ? - demanda Monroe, mais son père n'était pas en état de répondre. 

Il est dit qu'un trauma est issu d'une confrontation entre son système de pensée et la réalité. Lorsque les fondations de tout ce qu'on croyait étaient chamboulées alors la conséquence est un choc émotionnel. Choc que Haysh commençait à ressentir en se sentant complètement désemparé : quelle était la nature de cette chose, quelle était la motivation de cette chose, pourquoi est-ce qu'elle avait choisi de s'attacher à sa fille, est-ce qu'elle présentait un danger pour sa fille, qu'est ce qu'elle fichait ici sur Meliacor, dans ce labo... Les questions émergeaient toutes en même temps et s'empêchaient de franchir la porte de la réflexion, encore et encore, laissant Haysh se les poser sans arrêt sans commencer à les traiter.

- Papa ? - demanda Monroe, surpris de voir son père si désemparé. Mais cette surprise fut de courte durée. 
- Est-ce que cette chose s'est comportée de manière agressive ? - demanda Haysh en reprenant le dessus. La voix de son fils l'avait tiré de sa stupeur, car il avait une double responsabilité de père et de leader. Leader par l'exemple, car il ne pouvait demander le meilleur de ses hommes sans lui-même donner le meilleur, voir plus que le meilleur. Il devait être un exemple, un idéal que les jeunes doivent essayer d'attendre. Père par exemple, car c'était une question de légitimité : fais ce que je dis, car je fais ce que je prêche. Et cette légitimité était la fondation du respect que ses enfants avaient pour lui, malgré les problèmes personnels qu'ils partagent. C’était difficile de faire sens de la situation, c’était difficile de ne pas être englouti par la peur de cette inconnue, mais il devait le faire, car il n’avait pas d’autres choix que de garder la tête froide pour sortir ses enfants de là.
- Non, papa - répondit Monroe, rassuré que son monolithe était encore debout.
Ce n'était pas facile de garder son sang-froid. C'était une lutte entre la raison et l'émotion dans le but de maintenir une émotivité raisonnée.
- "Du calme, réfléchi" - se disait Haysh, malheureusement il n'était pas seul dans sa tête. Ce n'était pas de la schizophrénie ou une forme de folie, non, c'était simplement l'une des voix qui accompagne le commun des mortels : peur, passion, pulsion, envie... la voix de la faiblesse innée en tout humain.
- "Comment veux-tu que je garde mon calme ? Ce truc est peut-être dangereux"
- "Elle ne s'est pas comportée de manière agressive"
- "Et alors ? Si ce n'est pas maintenant alors ce sera bientôt, à n'importe quel moment"
- "Du calme, pas de conclusions hâtives. D'abord..."
- "Qu'est-ce que je dois faire"
- Il faut qu'on éloigne Alésha de cette chose - dit Haysh 

- Je ne sais pas si c'est possible, l'anomalie semble la suivre partout - répondit Monroe
- Hmm
- "Elle veut tuer ma fille, c'est impardonnable !! Je dois m'en débarrasser !"
- "Comment ?"
- "Avec mon arme"
- "Stupide, ça ne marchera pas. Réfléchis Haysh, ne panique pas"
- "Il faut la sortir de là"
- " Mais s'il devient violent ?"
- "Qu'est-ce que je dois faire ?"

- Ce n'est pas grave si elle nous suit. Tant qu'elle n'est pas nuisible. Allez vient - dit Haysh en s'approchant de sa fille, mentalement préparé à devoir la défendre contre quelque chose qu'il ne comprenait pas. Les dents serrées, il posa une main sous le cou d'Alésha, puis il entendit une mélodie d'une beauté à couper le souffle.
En cet instant, le monde changea, devint plus net. L'ombre qu'il voyait à travers les yeux de sa machine se dévoila à lui dans toute son horreur au-dessus d'un ciel cyclonique rouge qui laissait échapper une pluie de sang. Et derrière ce ciel, caché parmi les nuages, Haysh put apercevoir un objet gigantesque et circulaire amenant la mort partout sur son passage. Et sous ses pieds il put voir, des corps par ci et là, défigurés, statufiés par la souffrance et la folie. Et parmi ses cadavres, il y avait ses enfants. 

Pris de panique, Haysh s'éloigna d'Alésha comme s'il venait d'être touché par de l’électricité. 
- Nom de dieu ! - fit-il, perturbé par sa vision. 
- Papa ? 
Haysh regarda au-dessus de lit, la créature était claire comme le jour : une tête ronde comme un ballon sans oreilles, ni nez, ni yeux, que des dents sortant de partout de manière désordonnée. Elle n'avait pas de cou, mais un corps serpentin encerclé autour d'Alésha et de long bras chétifs et griffus qui tenaient la tête de la jeune fille. 
- Lâche là tout de suite ! - rugis Haysh en dégainant son arme. Un réflexe on ne peut plus normal quel que soit la situation ; inutile, mais complètement compréhensible. 
Le visage de la créature s'élargit en son centre créant un tunnel de dents et de flammes vers une inconnue terrorisante. Cependant la créature obéit et pointa du doigt vers Haysh, ou plutôt vers sa main qui tenait un objet. 
- Papa ? - fit à nouveau Monroe
Et là, l'inspecteur prêta attention. Il tenait dans sa main une boîte dorée qui jouait une musique d'une beauté à couper le souffle.
- "Comment est-ce qu'elle est arrivée là ?" - se demanda Haysh.

- "Tu as vu un futur inéluctable, une prophétie" - entendit-il une voix dans sa tête, une voix démunie de genre et à la sonorité unique 
- "Quoi ? Qui parle ?"
- "Mais tu es chanceux. Cet objet que tu tiens te permettra de t'y soustraire"
- "Ha ! Mais bien sûr. Je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que vous êtes, mais je vous conseille de sortir de ma tête immédiatement !"
- "Tu l'as vu de tes propres yeux, humain. Tu fais désormais partie de la prophétie. Accepte le destin qui...."
Avec un effort non négligeable, Haysh, fit taire la voix. La créature le fixa pendant plusieurs secondes de ses yeux non existants, puis disparus sans laisser de trace. L'enquêteur se plia en deux pour reprendre son souffle et calmer son mal de crâne. 

- Qu'est-ce qui s'est passé - demanda Monroe - l'anomalie a disparu
- Allez vient - dit Haysh en laissant tomber la boîte au sol. Il prit Alésha dans ses bras et sortit de la pièce pour ne plus jamais y revenir. 
- « Qu’est-ce que je dois faire ? » - pensa-t-il à nouveau, l’esprit encore là-bas, sous le ciel, sous cette aube rouge. Et l’expression horrifiée de ses enfants, littéralement morts de peur, refusait de s’effacer, inclinant dangereusement sa volonté vers une direction qu’il savait sans issue. Mais la peur n’avait que faire de la logique…
C'était toujours le même rêve depuis sa descente sur Meliacor : une douleur atroce au ventre, une lumière blanche, des voix qui s'agitent, elle qui demande ce qui se passe, mais personne ne l'entend, des cris de bébé et le visage du docteur. Cette expression, son expression, d'incompréhension, de confusion et de peur lorsqu'il leva les yeux vers elle, conscient qu'il allait devoir annoncer une terrible nouvelle. Au moment où elle vu le regard du docteur, son monde tourna sens dessus dessous, une sensation qu'aucun cauchemar ne pouvait récrée à la perfection, et pourtant cette piqûre de rappel fut suffisante pour que Dalanda se réveille en sursaut, les larmes aux yeux.  

Elle mit du temps à revenir à elle, à comprendre que ce n’était qu’un cauchemar et qu’elle n’était pas à l’hôpital. Et lorsque revint enfin à elle, elle remarqua, pile devant elle, accroupie, Castillyone.
- Qu'est-ce que ! - pensa Eiling en essayant de dégainer par réflexe, mais la spécialiste stoppa la tentative sans aucun effort - CID ! - hurla la jeune femme en se débattant, mais sans résultat. 
- Ton protecteur n'est plus là - répondit Castillyone amusée alors que Bender et O'Ryan se réveillèrent en panique, cherchant d'où venait le danger. 
- Qu'est-ce que tu lui as fait ! - hurla Eiling.
- Moi ? Rien du tout - répondit Castillyone en libérant sa prisonnière - vous là, ramenez-vous, j'ai quelques explications à donner - dit-elle ensuite en tendant la main à Dalanda pour l'aider à se lever. Cette dernière ignora le geste et recula le plus possible, la main sur son pistolet.

- Qu'est-ce qui se passe ? - demanda Bender en pointant du fusil sur Castillyone - où est Cid ?
- Parti – répondit spécialement la spécialiste sans prendre la peine de lever les bras en signe de reddition.
- Parti ? Comment ça partit ? Où est-ce qu'il est parti ? - demanda Dalanda à la limite de l'hystérie - "Comment ça parti ?" - tournait elle dans la tête les mêmes questions.
- Du calme, il va vous le dire vous le même - répondit Castillyone en faisant passé un message préenregistré tantôt. 
- Je sais que vous avez beaucoup de questions, mais on n'a pas de temps à perdre. Suivez Casty...
- "... Casty ?!"
- ...courez le plus vite et le loin possible, je vous retrouverai quand j'aurai fini. 
- "Alors c'était ça..." - pensa Bender en se sentant un peu bête d'être tombé dans le panneau. 
- C’est tout ? – demanda Dalanda
- On n’avait pas non plus la journée à papoter – se moqua la spécialiste
- Où est-il ? Pourquoi est-ce qu'il est parti ? Qu'est-ce qu'il fait ? - demanda Dalanda.

- Eh bein, tu poses toujours autant de questions ? Je comprends mieux pourquoi il m’a proposé un partenariat - rigola Castillyone 
- Quoi ???
- Je plaisante, je plaisante. Allez, file-moi ce flingue - dit la spécialiste en désarmant la jeune femme - et prend le sac.
- Humph ! – lâcha Dalanda alors que Castillyone se débarrassa enfin de son poids d’une manière un petit peu violente
- Hey ! – réagit Jess qui n’approuva pas le geste, mais il ne savait pas quoi faire ou que dire d’autre. Il savait que s’approcher de cette folle furieuse était dangereux alors le « hey » était la seule bonne idée qu’il put trouver pour montrer sa désapprobation.
- Si vous avez des remarques, faites-les-moi après que j'ai sauvé vos misérables vies ! – répondit sèchement la spécialiste.
- ...
- Vous me suivez ! Si vous êtes fatigués... Tant pis pour vous, nahahaha
- C'est moi où elle me rappelle quelqu'un ? - commenta Jess
- Allez, les glandus ! On se bouge ! - ordonna la spécialiste en prenant la tête de la course. 
- Mouais... En pire je dirais.
- Définitivement...
- « Fais chier Cid ! Qu’est ce que t’as pris, où est-tu ? » - pensa Eiling, contrainte de suivre les autres, et étonnée que Bender n’ait rien dit pour protester contre ce soudain leadership.

À plusieurs kilomètres de là, Cid, la musique dans les oreilles, descendait la pente d'un des nombreux tunnels, irradiant d'une hostilité qu'il essayait de contenir en temps normal. Mais là, il était bien trop énervé pour porter le manteau de la civilité. Les insectes devaient comprendre qu'ils avaient dépassé les bornes, et qu'une dague pouvait et allait les frapper en plein cœur, une dague pourvue de griffes, de crocs, et sacrément en pétard.
- "Hihihisss, ça va puer les tripes de cafard". 
Le z'hum était plus discret qu'une ombre, un avatar de sauvagerie, une concentration phénoménale d'agressivité, mais d'une précision chirurgicale. Il était la représentation de concepts qui se voulaient antinomiques : un paradoxe trompeur. 

Chaque insecte qu'il rencontrait, en groupe restreint de quatre au plus, ou isolé, était décortiqué et éviscéré. Cependant chaque coup porté, aussi brutal fut-il, visait une zone que le z'hum considérait comme sensible. 

Durant ses affrontements avec ces... paramélures, comme il les avait nommés, il ne faisait pas qu'essayer de les détruire, il récoltait également des informations sur leur anatomie dans le but d'être plus efficace dans leur élimination. Il apprit ainsi que la vitalité de ces créatures était hors normes même sur son échelle de mesure. Leur ouvrir le ventre ou fracasser le crâne ne servait qu'à les énerver, mais : leur ouvrir le ventre, tirer les boyaux puis fracasser le crâne servait à les plonger dans le sommeil éternel. 

Les... paramélures avaient cette particularité métabolique d'organes mous, mais pas que : ces derniers étaient également ouverts et baignaient dans l'hémolymphe ou ce qui sert d’hémolymphe : de sang d'insecte, qui avait la fâcheuse tendance de geler au contact de l'oxygène.  

Elles bénéficiaient donc de deux systèmes circulatoires différents, avec deux cœurs différents et des organes de rechange. Ce qui expliquait leur résilience face aux traumas physiques ainsi que leur force qui n'était surpassée que par une autre aberration de la nature : Cidolphas Marshall. 

C'est ainsi qu'il se baladait, ne se dévoilant que pour frapper avec toute la rage animale et toute la folie humaine cumulées, se transformant en un vent silencieux qui ne portait qu'un seul message : la mort. Un vent qui n'avait de répit que d'aller plus bas, encore plus bas, dans les entrailles de Meliacor. 

Et, au bout de quelques heures, il tomba sur un nid. 
- KRUU RRU RRUU RRRRUUUU !  - éclata de rire le z'hum - sacré comité d'accueil - dit-il ensuite avec ironie. 
- "Hihihi, une mère reste toujours une mère. Peuh ! Cet instinct me donne envie de vomir et de gober ces œufs". 
- "Ta gueule ! Ne me fais pas me sentir plus sale que je ne le suis" - répondit Cid, dégouté par les images flashant dans son esprit.
- "Hihihisss"

A la sortie du tunnel se tenait une petite "armée" d'insectes, et tout autour, Cid pouvait les sentir converger. Comme il le souhaitait, la reine avait fait converger ses forces pour la protection de sa progéniture. Face à ce danger réel, elle n’avait d’autre choix que de mettre de côté son plan concernant l’embuscade, laissant ainsi à Dalanda et aux autres une chance de s’en sortir. Mais ils devaient faire vite, ils devaient s'éloigner le plus vite possible du territoire de la reine, car Cid ne se sentait capable de maintenir les insectes, ici, que durant quelques heures, trois jours au grand maximum. 
- "Allez, au boulot" - pensa le géant en s'étirant les membres avant de pousser un rugissement qui secoua la caverne, rugissement accueilli par des milliers de cliquetis venant de toutes les directions.  La musique dans les oreilles, Cid se mit à quatre pattes, bandant tous ses muscles d'acier. Puis, il se projeta comme une fusée, percutant un insecte à l'abdomen si fort qu'il roula en arrière comme une boule de bowling, l'estomac explosé. 
- RAMENEZ VOUS !!! - hurla le félin et les créatures ne se firent pas prier, l'assaillant de tous les côtés...

Affronter plusieurs adversaires qui ont en tête, non, à cœur de vous découper en fine lamelle de saucisson est synonyme de folie. Si les adversaires non ni peur de se faire très mal, ni égard pour leur propre vie, la tâche devient simplement suicidaire. 

Conscient de cela, Cid n'avait d'autres choix que de conter sur un outil qui l'a rarement trahi jusque-là : la mémoire musculaire. Devoir affronter autant, c'était gérer une quantité astronomique d'informations, une quantité telle que même Cid ne pouvait consciemment gérer. Il fallait un raccourci, entre la perception et l'action. Ce raccourci était la mémoire musculaire : lorsque le corps était comme animé de sa propre volonté, agissant sans le concours de la réflexion, simplement en puisant dans le puis de l'expérience. 

Au milieu de toutes ces créatures qui ne cherchaient qu'à le charcuter, au même titre que lui d'ailleurs essayait de les oblitérer, Cid ne pensait pas. Il ne réfléchissait pas comme lors d'un duel à la prochaine manœuvre, il n'avait pas le temps, il n'avait pas le luxe d'opérer de cette manière. Tout ce qu'il voulait était de fournir suffisamment d'information visuelle pour réagir de manière optimum. Avec les cliquetis, les bruits de pattes-faux tranchant l'air, les pas lourds, et autres stimuli auditifs, le z'hum préféra ne pas compter sur ses oreilles. 

Les premières créatures l’encerclèrent par dizaine. Dans des cliquetis de rage, elles abattirent leurs protubérances dorsales, aiguisées comme des lames de rasoir, mais le Z'hum était déjà parti. Bouger, ne jamais rester en place, bouger et semer le chaos en utilisant le nombre contre eux, et surtout ne pas avoir peur de prendre un mauvais coup. Il valait mieux être blessé que d'être mort... en vérité il valait mieux fuir que de se faire subir de tels tourments, mais Cid était en mission, et il était déterminé comme jamais. 

Le z'hum plongea au sol sans aucune hésitation, car sa vie en dépendait. Il entama une roulade pour se repositionner, non pas vers l'avant, mais pour trouver les hauteurs. En mi-roulade, le z'hum plaça les mains au sol et se propulsa, pattes arrière en avant, droit dans la tête d'une paramélure qui exposa comme une tomate trop mure sans pour autant la tuer sur le coup. C'est pourquoi Cid s'en servit comme une plateforme pour se projeter au plafond, pour éviter de se faire déchiqueter par les pattes des autres qui essayaient de l'atteindre sans aucun égard pour leur semblable.

 Cependant sur les murs comme un plafond, Cid ne pouvait espérer trouver de répit, car toute la caverne pullulait de ces horribles créatures, rendant le conflit complètement tridimensionnel : une discipline que très peu arrivaient à maîtriser, mais là-bas, dans les cages arènes qui l'ont vu renaître, cette discipline était devenue le prérequis pour ne pas finir dans l'assiette.  

Après plusieurs acrobaties qui paraissaient légèrement en désaccord avec les lois de la gravité, évitant les assauts répétés et infatigables des paramélures, Cid eut marre d’être sur la défensive. Il agrippa fermement le plafond de ses doigts, puis le frappa de ses jambes, de toutes ses forces. La caverne trembla violemment, comme si elle venait d’être frappée par un missile, créant un début d’éboulis l’envoyant, lui, les insectes et plus important, quelques tonnes de pierres s’écraser contre le sol.

Dans sa chute, il saisit un gros rocher qu'il projeta ensuite en dessous de lui comme une petite météorite qui fit trembler à nouveau la caverne, créant une onde de choc et de chaleur qui fit reculer les insectes qui se retrouvèrent alors écrasés, partiellement. 
- KRUU RRUU RRU ! - rugit Cid de rire en s'étirant à nouveau.
- « Hihihi, on a eu chaud ! »
- « Ta gueule ! C’est la seule idée que j’ai pu avoir »
- « Hihihi ! »
- « Bon, l'échauffement est terminé, c'est le temps pour la baston ! » - pensa-t-il ensuite tout excité en prenant une réelle posture de combat, non pas une imitation d’animal comme dans certains arts martiaux, mais celle pratiquée par les z'hums carnivores, toutes griffes dehors. 
Dans un claquement de queue qui retentit comme un coup de feu : signal de départ de la plus vieille compétition de l’univers dont le prix était la survie ; Cid plongea dans la mêlée sans réfléchir, laissant sa nature s'exprimer dans toute sa violence. Son corps, forgé par des décennies de combats et de situations désespérées à la frontière de la mort et de la santé mentale, opérait comme une machine conçue de destruction.

Flash, flash, et il esquiva comme dans un jeu de twister pour se retrouver dans une position de yoga avant de se sortir de là. Flash, flash et il frappa un insecte d’un drop kick comme au catch, l’envoyant rouler dans ses semblables. Flash, flash et il enchaîna plus pirouette avant de plonger ses griffes dans le crâne d’un insecte et l’écarter dans une explosion de cervelle, d’os et de sang…

Les insectes, dans des cliquetis de rage, affluaient sans relâche essayant d'utiliser une stratégie de nombre et le noyer dans la masse, étouffer, enterrer, écraser, à défaut de transformer en chichekébab. Une stratégie désespérée aux yeux des humains, mais complètement sensée pour des insectes pouvant se reproduire en si grand nombre. Et une stratégie que Cid pouvait contrer en disparaissant momentanément. Non par magie, mais simplement en se creusant un trou dans le sol ou dans le mur ou même le plafond, histoire de disparaître des radars quelque minutes, voire quelques heures.

Son plus gros souci n'était pas le nombre, mais une unité de mesure qui diminuait continuellement à chacune de ses actions, à chacune de ses respirations, à chacun de ses battements du cœur : calories. Cid n'était pas préoccupé par l'énergie de son armure qui fonctionnait en mode support en fournissant le minimum pour assurer la survie, ni par la largeur de l’armée qu’il devait affronter. Non, ce qui lui faisait peur était la micro gestion de cette ressource : calorie.

En temps normal, il aurait pu dévorer ses proies pour refaire de plein de protéines, de glucides et de vitamines, mais croquer dans ses insectes n'allait avoir pour résultat que de lui glacer l'estomac avec une diarrhée en prime, si ce n'était pire. Mais là, il n'avait d'autre choix que de compter sur ce qu'il avait et se recharger avec des rations embarquées.

Là, était tout son problème : comment être le plus efficient possible, comment être le plus performant en utilisant le moins possible de ressources... Cependant, là n'était pas le seul problème de Cid, ni de ses compagnons d'ailleurs. Il est dit qu'une espèce évolue par nécessité pour survivre. Ces changements ne sont pas drastiques et concernent le plus souvent la couleur du pelage ou la forme du bec, néanmoins, quelques fois, face à un stress intense, quelque chose peut se débloquer dans la banque génétique.

À l'insu de tous, et même de la reine malgré le fait que son état émotionnel désastreux était le catalyseur de ce bond évolutif, un peu partout dans les différents nids de la colonie, des œufs essayaient de donner naissance à des outils de défense biologique : de véritables soldats, puisant dans le patrimoine riche des paramélures et dont le rôle était simple : détruire la menace.

Alors que Cid se baignait dans le sang et les tripes des paramélures, fracassant leurs pattes-faux à coups de jambes, envoyant tout le monde valser aux quatre coins du champ de bataille, cinq œufs sur des millions fabriquaient une réponse à la menace qu’il représentait. Cinq, dont un prématuré qui se préparait à voir les ténèbres des tunnels du Meliacor.
Alors que la lutte faisait rage durant des heures et que Cid sema temporairement ses poursuivants, profitant de quelques minutes précieuses minutes pour souffler, un œuf commença à remuer à deux kilomètres de sa position. 

De cet œuf sortit un condamné, un prématuré, un aperçu d'une route évolutive possible pour cette espèce. Le petit être était petit, fragile et en besoin d'attention, attention qui ne tarda pas à arriver. A la première inspiration de cette pathétique petite chose, il entra dans le lien télépathique entre la reine et ses sujets. Cette... injection dans le réseau de pensées créa une légère instabilité dans le contrôle de la reine, comme si quelqu'un contestait son autorité. 

La panique de la pauvre créature fut à son comble, elle voyait son règne, sa ruche, détruite. Cependant, un message unique changea la donne, une réponse qu'elle ne comptait jamais recevoir : une réponse instinctive comprenant issue d'une association complexe d'idées dont la signification la plus proche était "maman".

Jamais auparavant, il n'y eut d'échanges entre une reine et ses sujets. La communication n'aillait que dans un seul sens, telle était la nature de leur relation. Mais là, là, la reine ne put qu'éprouver une curiosité craintive en cherchant la source de cet appel, et en voyant cette nouvelle création imprévue, elle ne put être qu'émerveillée. 

Là, sur le sol, gisait, elle le savait, elle le sentait, elle le comprenait ; là, sur le sol, gisait la solution à tous ses problèmes d'invasion. C'est pourquoi elle n'hésita pas une seconde à envoyer les nourrices s'occuper de cette petite perle, ce miracle génétique.

- " maman...faim" - pensa la chose et une fois qu'elle reçut l'aval de la reine, la petite chose se leva sur ses pattes tremblantes et se jeta sur les nourrices avec une gloutonnerie irraisonnée. Grosses, juteuses, elles avaient tous les éléments nécessaires à la croissance de l'être. Il n'avait d'autres choix que d'user de cette méthode, car, il le savait, son existence en ce monde était temporaire. Une évolution spontanée de cette nature était loin d'être parfaite, très loin d'être parfaite, et ne servait qu'à remplir qu'une seule fonction. Et en échange des outils nécessaires pour remplir cette fonction, le prix à payer était un métabolisme accéléré résultant en une courte espérance de vie. Un prix que le petit être était prêt à payer volontiers, car plus insecte que... que cette bouillie génétique parcourant ses veines. Il n'avait aucun libre arbitre hormis une volonté raisonnée de défendre son espèce et sa mère. 

Cependant, ce métabolisme accéléré permit au petit être d'avoir une croissance accélérée. Et là-bas, dans les entrailles de Meliacor, à l'insu de tous sauf de la reine, une arme biologique était en train de se repaître de ses semblables pour arriver à maturité. Et dans un cri de douleur déchirant, du fait que son corps opérait des changements si drastiques si rapides, le monstre se jeta dans les tunnels en quête de sa proie. 
Flash, flash ! Dans un enchaînement acrobatique tiré de la Capoeira, Cid évita de se faire sauvagement empaler à plusieurs reprises. Mais le nombre conséquent d'ennemis ainsi que la promiscuité, rendaient le fait de tout esquiver simplement impossible. Les paramélures n'avaient aucune stratégie, aucune discipline à exploiter, elles se jetaient simplement dans la masse en jouant des pattes-faux dans toutes les directions sans aucun égard pour leur semblable. Affronter une armée qui avait des problèmes humains était envisageable, car elle pouvait avoir peur, elle connaissait la faim, le froid, la malnutrition, elle avait des souvenirs, des croyances, des idéaux, etc... ici, il n'y avait rien de cela. Juste la volonté de tuer pour le bien de la ruche. C'est pourquoi il était impossible pour Cid d'échapper à tout. 

Dans la marée de coups qui montait en intensité, le z'hum ne pouvait échapper à des éraflures, des bosses et des fractures, mais il arrivait à éviter les blessures sévères et là était la marque de son expertise. Minimiser les dégâts reçus en maximisant les dégâts infligés : là était l'essence de l'art dans "l'art de la guerre". Là était toute l'expertise et la finesse même dans cette boucherie. 

Bang, Bang ! Avec des coups qui ne diminuaient aucunement d'intensité malgré les heures, les coups de poing du z'hum continuaient à exploser les exosquelettes et les organes internes des créatures avec une efficacité monstrueuse. Respiration, rythme, mouvements optimums, la machine de guerre qu'était Cid maîtrisait tous ces concepts basiques, lui permettant de maintenir son endurance bien plus longtemps. Autrement dit, il pouvait garder cette cadence durant encore quelques jours, tant qu'il pouvait faire ou une deux pauses déjeuner entre ses cessions de carnage. Mais, tout avait ultimement une fin. 

CCRRRRIIIIIII !!! entendit Cid qui lui leva tous les poils de son pelage. Ce mauvais pressentiment fut également accentué par le comportement des autres paramélures qui s'arrêtèrent avant de s'écarter et de fuir, sans pour autant aller bien loin.

CCRRIIIIII !!! entendit Cid à nouveau et le bruit était bien plus près cette fois. Cependant, sa vue était masquée par une montagne de cadavres. C'est pourquoi il se fia à son ouïe pour tracer une image approximative de ce danger et à en croire la pression des pas, ce qui venait vers lui était petit et quadrupède.

Ce détail soulevait une nuée de questions que le z’hum jugea inutiles, car il n’allait pas tarder à faire la rencontre de cet être mystérieux. Il ne suffisait qu’à attendre, et pour cela il se prépara physiquement et mentalement, en profitant de ce temps pour s’injecter de la nourriture et reprendre des forces.

CCRRRRIIII !!! entendit-il à nouveau juste de l’autre côté des corps déchiquetés des insectes géants, puis il y eut le silence suivi par un son extrêmement dérangeant de chair et d’os consommés qui laissa Cid perplexe.
- " Un charognard ? " - se demanda-t-il ? Cependant, il ne put tourner les talons et continuer sa mission, car animé d’une fascination macabre pour ce qui était en train de se passer avec les cadavres, plus aspirés que dévorés.

La biomasse disparaissait à un rythme affolant même pour un gourmand comme Marshall. Ensuite, il y eut un son de propulsion qui faillit prendre le z’hum par surprise. Ce dernier évita de justesse le projectile qui lui était destiné en perdant l’équilibre, et tombant au sol d'une manière ridicule. 

En partant de la source d’origine, des centaines de projectiles osseux furent projetés comme des pieux dans le mur, mais là n’était pas le réel danger. Avant que Cid ne comprenne il était déjà trop tard, ses tympans commencèrent à saigner et sa vue à se brouiller. La douleur était telle qu'un rugissement échappa à ses mâchoires serrées, vissées, pour ne pas faire preuve d'une telle indignation. 
- "GRAAAA !!! - hurla Cid en tombant à genoux alors que le charognard lui fonçait dessus. Mais les jambes du z'hum refusaient de le porter, le ramenant à l’épisode avec le gaz. Son cœur commença à battre la chamade alors que la perspective de mourir devenait réelle et avec cette crainte, le chaos s'installa à nouveau dans son esprit.
- " Hihihi c'est reparti pour le chaos !"
- "NON !" - hurla intérieurement Cid pour résister à cet appel venant des profondeurs de son être. Répondre positivement à cette voix était aussi inconscient que de se donner le cancer pour perdre du poids. L'efficacité allait être au rendez-vous, mais le prix à payer était bien trop cher. Toute forme de vie amie ou ennemie allait être détruite et la probabilité de retour de Cid à la surface était si faible qu'elle se voulait négligeable. 

C'est pourquoi il ne pouvait compter que sur lui et le soutien des murmures dans son esprit, étouffés par les folies même si c'était difficile, surtout parce que c'était difficile... Non, Cid n'avait d'autres choix que d'y arriver sans faire appel à ses démons. 

En se mordant les lèvres jusqu'au sang, et à s'en faire craquer les crocs, le z'hum pu rassembler ses forces pour bouger juste à temps pour éviter de se faire empaler, mais là 'était que le début d'une dance macabre, car l'autre n'avait aucune intention de le laisser souffler. Il n'avait qu'un but, qu'une fonction, qu'un rôle et que peu de temps pour y arriver. 

Cette monstruosité quadrupède était différente des autres paramélures, très différente et surtout très moche. Déjà que les autres paramélures n'étaient pas des canons de beauté, mais cette chose devant le z'hum donnait envie de vomir toutes ses tripes rien qu'en la regardant : immonde, mal formée et gluante de liquide embryonnaire. Sa tête déformée ressemblait à celle d'une mante religieuse dont le sommet du crâne, gondolé, pulsait au rythme de ses battements cardiaques. De ses orbites sortaient deux mandibules, anomalie génétique issue d'une malformation osseuse dont la raison était simple : sa prématurité. Cependant la créature n'avait visiblement pas besoin d'yeux pour repérer sa proie ainsi qu'à percevoir son environnement. 

Contrairement aux autres paramélures, celle-ci n'avait pas de torse. Ou plutôt n'avait pas de torse complet, mais un début de cage thoracique qui était directement lié à son abdomen rachitique recouvert d'un exosquelette à l'apparence fragile. Il était même difficile d'associer cette créature à celle que Cid avait combattue jusque-là, si ce n'était la présence de ces pattes faux caractéristiques avec, ici, une différence. Ces dernières étaient plus fines, plus pointues, mais comportaient également, tous les cinq centimètres, une masse osseuse. La raison de cette protubérance était simple : ouvrir la plaie plus largement pour créer une sévère hémorragie ; et ce bien sûr, dans l'hypothèse ou il pouvait y avoir une lutte. Car l'arme principale de l'insecte n'était pas ces faux, mais les projectiles qu'elle avait lancés tantôt. 

Ces derniers étaient des armes soniques dont la vibration combinée créait une fréquence nocive capable de blesser la chair, à l'image de bout de verres pouvant pénétrer le cerveau. C'était cette vibration, cette fréquence, qui arrivait à bout de Cid l'empêchant d'écraser son adversaire comme un moustique, car il avait du mal à rassembler les dernières parcelles de force que possédait son corps pour fonctionner correctement. La migraine, la douleur, l'interférence avec le réseau nerveux, autant de défis qu'il avait à surmonter pour ne serait que bouger le petit doigt. Autant dire, qu'il était considérablement ralenti. L'un des êtres le plus rapides de l'univers connu, le plus sauvages et dangereux était désormais réduit à tituber et rouler au sol comme un nouveau-née apprenant à marcher.

- "Grrrr !!" - rugissait il intérieurement, mais il ne pouvait se permettre de se laisser aller aux réflexes de douleur : fermer les yeux ou secouer la tête. Il devait avoir toute son attention sur ce qui lui venait sur la tronche, pire ! Il devait arriver à anticiper le danger qui lui sautait dessus sans relâche, s’il voulait avoir ne serait-ce qu’une infime chance de triompher. Cependant, cette difficulté n’était pas pour lui déplaire. La réalité était simple : le plus fort survit et cette force n’est pas simplement physique, mais mentale aussi.
Un pas à gauche, genoux à terre, roulade, pas en arrière... le z'hum se retrouvait sur la défensive, ce qui l'exaspérait au plus haut point. Il savait qu'il n'avait le choix, il fallait qu'il soit patient et qu'il attende le moment opportun pour donner le peu qu'il avait et changer la donne. Il était conscient de ce fait, mais cela n'empêchait pas qu'il se sentait comme un faible. Faible ! De ne pas pouvoir surmonter cette épreuve par la seule force de sa volonté. Faible !  De rugir de douleur et de ne pouvoir l'accepter avec dignité. Et cette sensation de faiblesse était accentuée par ses voix moqueuses et chaotiques qui faisaient ressembler son esprit à une ruche si habitée qu'elle implosait sous l'effet du volume sonore. 

Flashhh ! Flasshh ! Cid, évita de justesse un coup de faux qui effleura la mâchoire de son casque, lui faisant perdre l'équilibre. Le colosse tomba au sol et tout de suite après, la paramélure mutante se jeta sur lui pour l’empaler comme une brochette. Saisir les armes de l'insecte était impossible, bouger la tête n'allait pas aider vu que la créature ciblait le torse, il fallait donc se dégager de là. Mais cela également était impossible. Tout ce que le z'hum pu faire était de se déplacer un petit peu pour les lames pénètrent l'abdomen et en cet instant, avant que son adversaire ne touille ses intestins en l'éventrant, Cid fit deux choses. 
- Premièrement, il contracta tous ses muscles abdominaux aussi fort qu'il pouvait le faire pour bloquer les appendices au mieux, et au pire ralentir leur progression. 
- Deuxièmement, il saisit ces appendices à mi-hauteur et le plus fort qu'il pouvait pour éviter de se couper. Une lame est dangereuse lorsqu'elle pénètre et lorsqu'elle coupe, mais cette dernière action demande un mouvement. C'est l'avancée ou le recul de la lame qui crée la déchirure, et sans ce mouvement une arme blanche n'était autre qu'un bâton, en théorie. En pratique, plusieurs éléments venaient complexifier cette simple réalité, cependant Cid n'avait pas le luxe de repenser son plan. Il n'avait qu'un seul plan : survivre, même s'il devait perdre quelques doigts au passage. Son organisme allait surement les faire pousser après un certain temps.  

Le z'hum saisit les pattes du mutant de toutes forces, si fort que ces constructions osseuses fines commencèrent à craquer sous la pression. La paramélure hurla en essayant de se dégager, mais elle était plantée là, incapable de s'éloigner à temps. Dans l'instant qui suivit, Cid plia ses jambes sur son torse puis les fit exploser de toutes ces forces dans l'abdomen de la créature qui poussa un hurlement plaintif et pathétique avant de s'écrouler. Les jambes du géant avaient explosé la carapace fragile de l'insecte avant de la traverser comme un tronc d'arbre, projetant ses organes malformés et son sang jusqu'au plafond. Puis, ce fut le silence.

Les vibrations s'étaient arrêtées en même temps que les fonctions vitales du mutant. Et la raison de ce phénomène était simple. Les vibrations n'étaient pas émises par les piques elles-mêmes, elle réverbérait et modifiait le signal issu d'une source : les cliquetis infrasoniques uniques à la créature. Maintenant que cette dernière était morte, il n'y avait plus rien à réverbérer et le silence reprit ses droits. Cependant, le z'hum savait que ce répit n'allait être que de courte durée. 

Maudissant tous et tout le monde, surtout lui et ses idées de merde, le félin se leva très péniblement. Son armure opérait les premiers secours et les microplaques refermaient les brèches causées par les pattes-faux pour restaurer l'intégrité de l'espace de vie, et c'est uniquement lorsque l'oxygène put être à nouveau purifié que le colosse commença à respirer correctement. Ce n'était pas uniquement la puanteur des cadavres et de leur habitat qui l'avait poussé à maintenir sa respiration, mais également la présence de microbes inconnus. 

Kriii ! Entendit à nouveau Cid l'obligeant à pousser un soupir épuisé alors qu'une nouvelle vague s'appétait à lui tomber dessus. 


Au même moment ses compagnons, guidés par Castillyonne, couraient comme s'ils avaient le diable aux trousses. 
- Par-là ! - commanda la spécialiste en tournant à droite dans un énième tunnel
- Tu es sur ? - demanda Jess en respirant lourdement. Cela faisait des heures qu'ils maintenaient un rythme de sprint et malgré l'assistance des exosquelettes, ses muscles commençaient à accuser le stress et la fatigue. 
- Rien ne t'empêche de prendre un autre chemin ! - répondit sèchement la spécialiste en cherchant des indices sur la voie à suivre. Elle pensait avoir plus de temps avant que les créatures ne leur tombent dessus. Soit Cid avait échoué et servait de petit déjeuner aux insectes, soit il y avait un facteur inconnu qui avait changé la donne, et ce facteur pouvait tout foutre en l'air. Mais, quel que soit le cas, une chose était certaine, ils allaient devoir bouger leur jambe comme si leur vie en dépendait, car c'était justement le cas. L'étau se resserrait autour d'eux de tous les côtés et ils n'avaient d'autres choix que d'être rapides. 
- Il est où Cid quand on a besoin de lui ! - se plaignit Jess 
- En train de te sauver les miches alors ferme là et bouge ton cul ! - rétorqua la spécialiste énervée - "putain d'amateurs !". 

Alors que chacun des compagnons faisait de son mieux pour survivre, dans les ténèbres de cette ruche, quatre œufs commençaient à bouger, mettant au monde des mutations génétiques toutes plus particulières les unes que les autres. Et leur naissance fut accueilli joyeusement par leur mère qui voyait en eux un avenir on ne plus radieux. Mais, cette conclusion de sa part était on ne peut plus précipitée. Caché de tous, un cinquième œuf représentait le véritable danger et constituait une évolution on ne peut plus naturelle, telle que l'espèce n'avait pas vu en des milliers d'années. Le cinquième œuf qui avait éclot dans l'obscurité, libéra en ce monde un être volontairement coupé du réseau télépathique de sa mère, une ombre pour les siens, car il savait que son ambition n'était pas compatible avec l'existence de la reine, sa mère. 

Alors que cette dernière se réjouissait de la naissance de ses quatre merveilles, son règne lui fut retiré de force. Son contrôle sur tous les membres de la ruche lui fut retiré, prit de force par une source bien plus forte retournant les enfants contre leur mère qu'ils massacrèrent sans hésitation. Il ne pouvait y avoir deux reines dans une même ruche... Non, il pouvait y avoir plus de deux reines sur Meliacor... 
Tout commença par un rêve, tout commença à cause du rêve. La seule et unique évolution que l'espèce avait connue au cours de nombreux millénaires. Une simple évolution, une simple progression sur le sentier de la conscience. Mais une évolution non désirée en ce monde...

Tout commença par un rêve, l'unique rêve qu'un insecte n’ait jamais eut et dans ce rêve la créature commençait à connaître ce qu'était la conscience : pensées, ressentis, expériences, envies, désirs, même si primitifs, mêmes si enfantins, même si incomplets...

Au départ le rêve était bien simple et suivait la voie prédestinée : une vie dans la ruche à chercher, chasser, et servir. Une vie prédéterminée et qui avait l'avantage d'avoir ce cadre, d'avoir tout décidé à l’avance pour le bien commun. Et ce rêve était beau, était simple, était rassurant, et éphémère. Après tout, la vie d'un insecte ne durait que quelques années, quatre à peine. 

Son rêve continua sur sa lancée, l'embarquant dans un rodéo temporel qui refusait de s'arrêter malgré son envie. L'être voulait revenir dans ce cocon, dans l'histoire de sa vie, dans sa promesse de bonheur, mais son désir était ignoré. Comme un enfant prit par une main invisible, le rêve continuait et montrait les cycles de vies encore et encore et encore et encore, un cycle qui ne changeait jamais malgré le temps, un cycle de répétition et de stagnation qui remplit l'être d'une tristesse qu'elle ne comprenait même pas.

Les jours se répétaient, et encore et encore, et encore, toujours la même chose, toujours les mêmes taches, mais dans quel but ? Survivre au lieu de vivre ? Et survivre pour croupir ? Pour pourrir sans jamais grandir ? Le rêve était devenu un cauchemar, une prison, un constat d'un futur sans perspective, d'une existence dénuée de sens, d’une répétition dont la résultante était invariable, inutile, dépourvue de cause et de progrès. C'est alors que le rêve changea, qu'il prit le chemin d'une révolution, de la révolution la plus brève imaginable, car à la naissance, la reine prenait le contrôle sur tous ses enfants et il n'y avait qu'une autre reine qui avait le potentiel d'y résister avant de former sa propre colonie ou remplacer la reine morte...

Tout commença par un rêve qui se voulait merveilleux, par des pensées qui se voulaient nouvelles et intéressantes, mais ce rêve devint un cauchemar qui n'avait aucune échappatoire. L'être savait qu'à sa naissance, il allait connaître cette vie sans espoir, similaire à toutes les autres, dépourvue de sens et de progrès. Et avant même sa naissance, l'être voulait déjà périr, mais un ange baigné de lumière vint à lui, lui tendant la main dans les ténèbres de son désespoir. Cependant, cette rencontre était-elle le fruit d'un simple hasard ? Aucun ange ne s'intéresserait au bien-être d'un insecte aussi sentient soit-il. 

La main tira le petit être de sa cage de pensées en lui montrant un futur différent, un futur d'infinies possibilités rendant le progrès possible. L'espèce pouvait avoir une direction, un futur hors des tunnels Meliacor, un futur de conquête parmi les étoiles. Il lui montra des mondes différents, des espèces différentes, la folie et la futilité de leur existence ainsi que leur besoin de salut... Mais pour cela tout devait changer et ce futur radieux devait d'abord connaître un sanglant présent, à commencer par la reine. 

Dans l'obscurité des tunnels de Meliacor, un œuf qui ne semblait pas différent des millions d'autres, naïf et triste, pactisa avec un ange qui n'en était pas un, un être ni de ce monde ni d'ailleurs, à cause d'un rêve... Changé, muté, unique spécimen et précurseur d'une nouvelle ère, un œuf changea sa destinée et prit sur lui de changer le destin de ses semblables même si pour cela un océan de sang devait engloutir Meliacor. Et dans ce but, une offrande fut offerte à la nouvelle reine, des soldats également uniques en leur genre...Cette rencontre était-elle le fruit du hasard ? Où faisait-elle partie des rouages de ce monde ? La réponse n'a que peu d'importance en réalité. La réalité, même si inattendue, était désormais là et ne pouvait être ignorée, elle refusait d'être ignorée...

Alors que Dalanda essayait de se fermer à tout ce qu'elle ressentait, car la peine, la souffrance et la colère lui vrillaient le crâne et collait à la peau comme du mazout, une voix se fraya un chemin jusqu'à elle : dominante, forte, impérative. 
- "Humains, êtes-vous humains ?"
- "Quoi ? Qui êtes-vous ?" – répliqua Eiling.
- "La reine, la seule qu’il n’y aura jamais »
- "La reine ? Mais ce n'est pas avec vous que ..."
- "Je suis la reine ! Humains, que cherchez-vous ici en mon domaine ?" - demanda la reine, mais cette question n'attendait pas de réponses, car elle essaya d'arracher la réponse directement dans l'esprit de la jeune femme, siphonnant chaque once d'information que cette dernière ne pouvait protéger. 
- "Argh ! Qu'est-ce que vous faites ?!"
- "Ah ! Ahh !!! Voilà qui est intéressant. Humains, il semble que vous essayiez de prendre une chose qui m'appartient"
- "Je ne suis pas une voleuse !"
- "Vous n'aurez pas l'occasion de l'être, non. Je suis la reine, la seule qu’il n’y aura jamais, et ce que vous cherchez m'appartient de droit !"

- On a un problème ! - hurla Dalanda
- Qu'il fasse la queue alors ! - répondit sèchement Castillyone en retour sans ralentir sa course. N'étant pas une pisteuse de profession, chercher les indices pouvant les mener à la sortie lui demandait toute la concentration dont elle était capable. Si elle ne faisait pas attention, tout le monde risquait de se perdre et leur chance de survie diminuerait drastiquement. Par "leur", il était bien évidemment question d'elle et d'Eiling, le reste pouvait mourir sous ses yeux sans qu'elle batte des cils.
- HEY ! -  s'énerva Dalanda en tirant la spécialiste par l'épaule. Déjà qu'elle avait du mal à la supporter, elle n'allait pas non plus... Bang !

Encore plus vive qu'un serpent, Castillyone décocha un crochet qui mit Dalanda à terre. Sa vision devint subitement floue, ses oreilles tantôt bourdonnaient tantôt sifflaient comme si elles n'arrivaient pas à décider du son approprié à produire tant l'assaut fut soudain... 
- PERSONNE NE ME TOUCHE ! PERSONNE, SANS MA PERMISSION ! EST-CE QUE C'EST CLAIR ????!!! - prévint Castillyone en perdant son sang-froid pour la première fois depuis des années. En temps normal elle aurait réussi à prendre sur elle et faire taire son trauma, mais dans ce contexte... L'inimitié qu'elle avait de manière naturelle à l'encontre de Dalanda, qu'elle trouvait faible et privilégiée, dans sa bulle, cumulée au stress de la situation ainsi qu'à toute la colère qu'elle n'avait pas pu extérioriser... Tout sortit en même temps, et elle se le justifia en se disant qu'elle devait mettre des limites claires dans leurs interactions, dans leur hiérarchie. 

Pour Dalanda s'en était trop, la goutte venait de se transformer en océan et cet océan était rouge de colère. 
- RAHHH !! - hurla-t-elle en voulant se jeter sur la spécialiste, mais Bender la saisit avant que la situation ne dégénère.
- VOUS PENSEZ VRAIMENT QUE C'EST LE MOMENT ?! HEIN ? - gronda-t-il les deux femmes sur le ton du père. Après tout il était le plus vieux du groupe, avec le plus d'expérience de vie...
- FERME-LA, le vieux ! Si tu n'avais pas fait le con avec la navette, on ne serait pas dans cette situation ! Et je ne suis pas aussi sympa que le matou pour ne pas te le rappeler ! Tu n'as aucune place dans cette conversation alors je te conseille de ne pas te mêler de ce qui ne te regarde pas ! 
- ...
- Lâche-moi ! Que je lui règle son compte à cette salope ! – s’énerva encore plus Dalanda, ou du moins c’est ce qu’elle voulait faire. Mais il fallait croire que les fourneaux étaient en panne, à mois que ce soit le calme de Jonathan qui l’ait impacté et ramené à la raison.
- Vous avez raison - avoua Bender - je suis vieux, je ne suis pas vraiment utile et la seule responsabilité que j'avais, je l'ai merdée...
- Serg !

- Non, c'est vrai Jess. Un homme doit savoir admettre quand il est dans l'erreur même si cela lui coûte de l'admettre. Vous avez raison, je n'ai peut-être pas ma place dans cette conversation, par contre ! Je pense connaître assez bien cette jeune femme pour vous affirmer qu'on devrait l'écouter. Elle est la seule qui désire nous sortir en vie, nous tous, et cela, je crois que vous le savez aussi - dit Bender en libérant Dalanda avant de lui dire à voix basse - ne tombez pas à son niveau, vous valez mieux que ça. 
- Tssk ! Parle alors, et ne me fait pas perdre mon temps - répondit sèchement la spécialiste. 
Dalanda prit sur elle pour ne pas riposter, l'une d'entre elles devait se montrer plus mature. Après toute cette histoire, après que Cid soit revenu, elle lui rendrait son coup. Mais pour l'instant, il y avait un sujet plus important. Et puis, pendant un court instant, alors que Castillyone hurlait de ne pas la toucher, elle sentit une craquelure dans sa carapace émotionnelle. Une craquelure dont elle ne savait que penser. 

- Je pense qu'il y a eu un renversement de pouvoir, un coup d'État - ajouta-t-elle en comprenant que son explication était limitée
- Où ça ? - demanda Jess
- Ici. La reine a été remplacée.
- Hmm, je comprends mieux ... - murmura Castillyone pensive. Elle se disait bien qu'il y avait quelque chose qui clochait - Ok, raconte-moi tout ce que tu sais...
- On peut le faire ailleurs ? Je crois que je les entends venir - suggéra Jess.
- Évidemment qu'on ne va pas rester bavarder ici, crétin ! Allez, on bouge, et toi, parle ! - commanda la spécialiste et son ton fit grincer Eiling des dents, et faire sourire Bender jaune. Quelqu'un devait apprendre les bonnes manières à cette peste, mais rien que de penser à tous les efforts nécessaires, le sergent en eut un léger malaise. Leur coopération n'allait pas être de longue durée de toute façon. Et puis, son esprit le poussait dans une autre direction : celle des coïncidences. Il arrivait beaucoup trop de problèmes et de situations étranges autour d’eux. Même sa rencontre avec Cid et Dalanda était une de ces fâcheuses coïncidences, puis Akiro, puis la navette intouchée dans le hangar, puis ça ? Non, il y avait clairement quelque chose de louche qui se tramait, mais quoi ? Là était toute la question.
- Quand on était sur le mur, je ne sais pas comment exactement, mais je suis entrée en contact avec la reine de cette ruche... - commença à expliquer Eiling lentement, pour ne pas casser son rythme. Après tout, la respiration est l’élément crucial de l’endurance avec, ou sans armure.
- Oui, je l'ai compris. Abrège ! – répondit sèchement et rapidement la spécialiste comme si elle marchait au lieu de sprinter.
-  Ne me parle pas comme ça ! – prévint Dalanda. Elles n’avaient pas à s’apprécier, mais cela n’empêchait pas de se respecter un minimum.  
- Sinon quoi ? Tu vas me jeter tes sous à la figure ? – se moqua la spécialiste.
- Alors c'est ça ton problème ? Le fait que … je sois riche ? – demanda Dalanda entre deux souffles.
- Hahaha ! Ne perds pas ton souffle pour rien. Abrège ! – répondit Castillyone
-  ... ! - « Ok, du calme. Pense que c’est Cid en jupe, du calme » - pensa-t-elle ensuite avant de continuer sur un ton plus calme - J'ai été contactée par une autre reine qui m'a fait comprendre que c'est elle qui dirige maintenant. 
- Oh ? Jolie parallèle, je la soutiens de plein cœur – se moqua la spécialiste.
- Eh bien tu ne devrais pas. Elle nous voit comme une menace…
- Notre position n'a pas changé alors, merci de m'avoir fait perdre mon temps ! - dit-elle en s'arrêtant nette - Silence !
- Combien ils sont ? – demanda Bender en percutant qu’il devait y avoir des ennemis dans les environs.

- Silence ! - siffla Castillyone. Ses sens n'étaient pas aussi développés que ceux de Cid, loin de là. C'est pourquoi elle avait besoin de silence pour capter les sons amplifiés par son armure. Le scanner ne montrait rien encore, mais l’instinct de la jeune femme : ses tripes la mettaient en garde contre quelque chose, un danger qui était tapi non loin. Ayant survécu en tant "Baby grunt" (la génération des baby grunt est celle des enfants soldats utilisées sur les colonies appauvries par la guerre contre les Kiss. Devenues des no man's land : des terres sans foi ni loi éparpillées dans la galaxie, où les plus faibles n'avaient d'autres choix que d'obéir, les plus faibles étant les enfants. Des millions de Baby grunt ont été utilisés pour tout et n'importe quoi, allant du travail forcé dans les champs à celui sur les champs de bataille), son instinct a été forgé dans les pires des conditions imaginables pour lui donner le meilleur des outils indispensables à sa survie sur les nombreux champs de bataille qu’elle avait arpentés depuis son septième anniversaire. Et la spécialiste savait qu'elle ne pouvait avoir confiance qu'en lui - restez ici, ne bougez pas.
- Quoi ? - protesta Eiling
- Silence ! Si je ne reviens pas dans les vingt prochaines minutes, considérez que vous êtes seuls - dit-elle avant de partir subitement en faisant le moins de moins de bruits possibles. 
- Hey ! Attends ! - murmura en retour Dalanda, mais la spécialiste l'ignora complètement. 

- Et elle est partie... - murmura Jess incrédule - qu’est ce qu'on fait du coup ? 
- Je refuse de rester planté là à me tourner les pouces – protesta Eiling. Elle avait l’impression d’être une enfant, une incapable alors qu’elle était Dalanda Eiling, présidente de l’une des plus grosses compagnies jamais conçues. Après tout ce qu’elle avait enduré sur Meliacor, le fait qu’elle soit traitée ainsi était presqu’un crachat au visage, même si parti de bonnes intentions, le résultat était insultant - non, mais pour qui ils se prennent tous les deux hein ? Foutus égoïstes ! Ils pensent que je me sens comment moi à être mise à l'écart ? - fulmina Dalanda à voix basse. 
- J'imagine que nous sommes tous égoïstes alors - répondit Bender en se levant doucement.  
- Serg ! Vous allez où ? – paniqua O’Ryan en saisissant fermement le bras de son sergent.
- Faire mon job. Je suis vieux, mais je ne suis pas mort. Si jamais je ne reviens pas dites à ma fille...
- Vous lui direz vous-même ce que vous avez à dire ! - s'énerva Jess - je suis peux être jeune, mais je suis un White owl, serg ! Vous n'irez nulle part sans moi. Par contre, on est ce qu'on est certain qu'elle a besoin d'un coup de main l’autre folle ? Je dis ça, parce qu'on a peut-être l'air ridicule à se motiver pour rien. 
- Hmpf, tu veux prendre ce risque ? – demanda Jonathan.

- Ouh, je l'ai déjà entendu une fois ça et j'en ai encore des cauchemars – répondit Jess en repensant au choix qu’ils avaient dû faire après la mort de Morel.  
- Tu n'es pas le seul... – avoua Bender en combattant l’envie de vomir.
- Alors c'est décidé on y va tous ensemble. On va leur montrer qu'on sait se défendre aussi - annonça Dalanda en déposant son sac. Elle fouilla à l'intérieur avant de sortir deux disques métalliques - tenez ! ce sont des bombes à chaleur, elles peuvent faire fondre pratiquement n'importe quoi. 
- Oh, je m'en rappelle - répondit Jess en prenant l’un des disques.
- Tant mieux, il y a trois boutons : deux sur la droite et un sur la gauche, vous devez les appuyer en même temps pendant trois secondes pour lancer le compte à rebours. Vous aurez ensuite 15 secondes avant la détonation.
- Ok ! Mais vous n'auriez pas une arme en trop dans le sac ? - demanda O'Ryan.
- Malheureusement, non. Mais prenez celle-là – dis la jeune femme en offrant son pistolet.
- Euh, madame ! Il est hors de question que j’accepte votre offre – répondit le jeune homme - ne vous inquiétez pas, je suis plus forte que je n’y parais. Ça va aller ! – dit Dalanda en se voulant rassurante.
- Vas y Jess, je lui fais confiance – dit Bender en ajustant son fusil.
- Très bien, mais uniquement parce que vous avez insisté – répondit le chirurgien en prenant l’arme et les munitions.  
- Je nous souhaite bonne chance !
- Ce n'est pas de refus. Allez, on y va !

Les trois compagnons se mirent à suivre les traces de Castillyone en faisant attention. Le danger pouvait venir de n’importe quelle intersection,
- Par où est-ce qu’elle est partie ? – demanda Jess
- Par ici, elle laisse des marques à chaque fois pour ne pas revenir sur nos pas - expliqua Eiling. Après tout, on peut haïr une personne et respecter certains de ses aspects comme son expertise ou sa force de caractère, ou sa force tout courts. C'est pourquoi elle regardait comment fonctionnait la spécialiste pour apprendre, apprendre comment elle pense et comment elle fonctionne au cas où elles devraient à nouveau croiser les poings. 
À mesure que le groupe suivait la piste de la spécialiste, ils pouvaient entendre des bruits de lutte intense
Bang ! Crac ! 
- Merde ! On y va ? - demanda O'Ryan avec une pointe aiguë de stress.
- On y va ! - commanda Bender avant de sprinter dans la direction d'où venait le bruit de lutte. 
Ba ba ba ba bang !

Le Derickson 7zf entre les mains de Castillyone tirait comme une mitraillette grâce à la sensibilité de la gâchette, avec une précision de sniper. La spécialiste était une experte en combat à très courte, courte et moyenne portée, et elle maîtrisant plus de la moitié des armes conçues par la main de l'homme : pistolets, fusils, lames diverses et armes contondantes, c'était d’ailleurs même sa spécialité. Lorsqu'un enfant était envoyé sur le front avec un seul chargeur dans son fusil dans le meilleur des jours, il fallait rapidement trouver d'autres solutions pour se défendre. 

Cependant, il y avait un élément indispensable pour le succès d'un affrontement à très courte portée : le temps. Le succès dépend du temps nécessaire à éliminer un adversaire, plus ce temps est réduit et puis les risques diminuent. Et ce temps jouait contre elle, car les insectes avaient une vitalité hors du commun et leur exosquelette était suffisamment résistant pour absorber plusieurs tirs avant de craquer. Avant même qu'elle puisse terrasser un adversaire, deux autres étaient prêts à se joindre à la confrontation. 

Néanmoins, la jeune femme avait connu bien pire. À douze ans, elle avait été envoyée en mission suicide : punition pour sa désobéissance. Son objectif était d'infiltrer un avant-poste d’un groupe rival et de s'y faire exploser pour fragiliser leur contrôle sur la région. Mais la jeune fille avait d'autres plans et réussit à s'emparer de l'endroit en éliminant toute résistance en ne se servant que d'un couteau. La raison de son succès n'était pas qu'elle était plus forte, ou mieux armée, ou plus douée, elle n'avait que 12 ans et les hommes en face étaient des combattants aguerris. Ce que la gamine avait pour elle était la compréhension de deux concepts simples justement issus de l'acceptation de sa faiblesse : timing et positionnement. Quand frapper, où frapper et comment faire pour ne pas se retrouver dans une situation sans échappatoire, où je dois me tenir pour maximiser mon efficacité et réduire celle de l'adversaire. Elle voulait être seule avec sa victime sans risque de se faire surprendre. 

20 ans plus tard, ces concepts appris dans le sang et la douleur lui servaient encore. Certes, elle ne pouvait pas éliminer les paramélures d'un coup puissant de griffes, mais elle pouvait éviter de se retrouver encerclée en amenant les adversaires où elle voulait, tout en prenant en compte là où elle devait être. Castillyone volait comme un papillon et piquait comme une abeille, sapant l'endurance colossale des insectes tout en surveillant ses échappatoires. C'était une danse : une danse fatale.

Bien sûr, il aurait été plus prudent de fuir, il n'y avait rien de déshonorant en prenant la fuite lorsqu'on se savait surclassé. Malheureusement ce n'était pas une question de choix, mais de nécessité, car le chemin que Castillyone pensait mener à la sortie passait par ces créatures et ces dernières ne voulaient pas bouger. La spécialiste opta donc pour leur élimination qu’elle espérait être rapide et espérait à tort !

TARARA ! TARARA !

Bender ouvrit le feu en essayant d’être le plus efficient possible en termes de munitions. Son viseur et son exosquelette soutenaient son adresse en lui permettant de loger chaque balle l’une à côté de l’autre avec une marge d’erreur de 3%.

Dalanda se dopa à la colère l’enrageant au point où elle était à la limite de la folie. Envahie ainsi, avatar de rage, elle était capable de surpasser les limitations du corps humain. La chimie neuronale produite dans cet état faisait taire les nocicepteurs rendant le concept de la douleur obscur et lointain. Les muscles pouvaient alors exercer toute leur force sans les freins mentaux, mais bien sûr, ce saut en force peut venir avec de très lourdes conséquences pour les ligaments, les muscles, les organes et même les os. Après tout, une contraction musculaire anormale pouvait briser l’os sur lequel les muscles étaient attachés. Et conscient de ces risques, la jeune femme n’hésita pas une seule seconde à utiliser cette épée à double tranchant.  

Elle percuta un insecte qui ne s’attendait pas à une telle folie. La force produite par l’exosquelette et par le métabolisme poussé à l’extrême leva la paramélure qui gémit d’incompréhension et de surprise.

Sans essayer de comprendre pourquoi ces abrutis étaient venus au lieu d’attendre patiemment, Castillyone profita de l’ouverture fournie pour sauter sur la tête de l’insecte puis planta profondément le Derickson dans l’un des yeux du monstre avant de presser sur la gâchette.

BANG !

La balle explosa le crâne de l'insecte et traversa son torse d'un bout à l'autre, cependant, cela ne voulait pas dire que la mort fut immédiate. Surprise par une telle endurance, Castillyone faillit se faire avoir par les pattes-faux qui moulinèrent avec une frénésie écervelée sans égard pour l'intégrité corporelle de leur porteur. L'insecte se réduisit lui-même en charpie, cependant, il réussit à balafrer la spécialiste à plusieurs reprises au torse et au cou, avant qu'elle ne puisse créer de la distance.

- Hey ! Ça va ? - se précipita Jess sur la spécialiste pour voir si tout était ok. Mais sa visière lui montrait déjà que la spécialiste avait de sérieuses lésions et une hémorragie qui devait être soignée - laissez-moi... hmpf !
- Mêle toit de ce qui te regarde ! - répondit la spécialiste en poussant le chirurgien, alors que les micro-plaques de son armure refermèrent les brèches laissées par les coups de pattes. Quant à ses blessures, elle avait connu pire. 
Lorsqu'on avait ses règles, plusieurs balles dans le corps, des blessures par armes blanches, et qu'on était tirée par des chevaux sur plusieurs kilomètres sans une goutte d'eau, de temps de repos ou de nourriture... Cette punition pensée drôle par son psychopathe de Mahaï (père d'adoption), était bien pire que ces blessures qu'elle considérait être des égratignures. Et puis l'armure procédait déjà aux premiers secours en fournissant les drogues et antibiotiques nécessaires pour calmer la douleur et permettre à l'opérateur de continuer. Et par continuer, bien sûr qu'il était question de se battre. 

La spécialiste se rua au combat en serrant les dents, après tout, le temps jouait contre eux. Les renforts n'allaient probablement pas tarder et il fallait qu'ils aient fichu le camp avant que cela arrive. Deux choix se présentaient donc à eux : essayer de se faufiler et continuer, mais le risque était qu'ils pouvaient perdre des membres de l'équipe dans cette tentative, sans parler du fait qu'ils allaient devoir gérer la pression d'avoir ces parasites au cul. L'autre était de se battre, mais le risque était bien sûr de se retrouver submerger. 

- LES YEUX ! - hurla Castillyone. 
- JE SAIS ! - hurla Bender en retour en réorientant ses tirs, obligeant les paramélures restantes à passer sur la défensive, utilisant leurs pattes-faux comme boucliers. Jess supportait le sergent en visant également les yeux, Dalanda quant à elle se jetait sur les insectes pour les déstabiliser et Castillyone utilisait sa force inhumaine pour percer les exosquelettes, pistolet en main, et tirer depuis l'intérieur. Avec cette coordination, le groupe arriva à bout de l'obstacle qui les séparait de leur échappatoire en quelques minutes. 

- OHH OUAIS !!! - cria Jess encore sous l'effet de la dopamine et de l'adrénaline, alors que la dernière paramélure mourait dans de terribles convulsions - WOOOHH !! Putain !
- Un peu de tenue !
- Désolé sergent, mais je déteste ces trucs ! Hoo, on a bien gér...
- Qu'est-ce que vous fichez là ? Je vous ai demandé d'attendre ou de vous barrer ! - les interrompit Castillyone
- Pas de merci hein ? - constata Bender
- Merci de quoi ? Je gérai très bien la situation. 
- Je vois ça - se moqua Eiling en regardant les traces laissées par les coups de griffes. 
- Tssk, les amateurs... - dit la spécialiste déçue, en secouant la tête - allez, on bouge.
- Madame, je refuse de faire un pas de plus tant que je n'aurai pas inspecté vos blessures - insista Jess. 

- Alors, reste là si tu veux, t'es assez grand pour savoir comment tu veux mourir ! Et avant que vous n'ayez le temps de dire quelque chose de stupide...
- NON ! C'est toi qui vas m'écouter, toi et tes grands airs à la con - la coupa Dalanda - SI tu veux te barrer toute seule bon vent, dans ton état tu ne tiendras pas plus de deux heures. Alors pour la première fois de ta vie, tu as l'occasion d'agir comme une personne raisonnable. Saisis ta chance ou disparais ! Le choix t'appartient. 
La spécialiste pencha la tête sur le côté en fixant intensément son interlocutrice derrière la visière. Il était désormais évident pour elle, qu'elles ne pouvaient pas s'entendre, jamais. 
- Pour la première fois de ma vie ?!
- Mesdames, je ne pense pas que ce soit le moment pour votre conversation, regardez ! - montra Bender à l'aide de son fusil, avant de s'attirer les foudres de la spécialiste. Derrière eux, l’une des carcasses bougeait de manière étrange. Quelque chose remuait dans son abdomen et se griffait une voie de sortie.
- Nom de dieu ! - s'exclama O'Ryan le souffle coupé. 
- Seigneur ! Qu’est-ce que c’est ? - demanda Dalanda de manière rhétorique, comprenant bien que personne n'avait de réponse, personne ne pouvait avoir de réponse, personne ne pouvait savoir qu'une telle chose pouvait être possible...
- Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible !
- Jess… - grommela Bender
- Ce n’est pas possible !
- Jess ! C’est devant nous !
- Ce n’est pas possible
- …

Devant le groupe, sorti des entrailles de la paramélure, se tenait une forme de vie qui n’avait aucun sens, une insulte à la nature elle-même. Un organisme né de la mort, non, même pas un organisme, mais un amalgame de chair molle et d’os qui simulait grossièrement une forme de vie humanoïde.
Bang ! Bang ! Bang !
Le jeune chirurgien ouvrit le feu dans la panique, mais ce qui était mort ne pouvait être tuer si facilement.
- Humains ! - entendirent-ils dans leurs esprits une voix autoritaire...








Blabla de l'auteur !

Hello à vous chers lecteurs ! Bon week end à vous !

Texte time !

J'espère que l'histoire vous plait jusque là. Elle est perfectible, je sais, c'est pourquoi :

Si vous avez des questions, des suggestions, etc... n'hésitez pas à laisser un commentaire ou à m'écrire ici : unepageparjour@hotmail.com

Merci de me lire ! Vous êtes formidables !! Tchuss et à dimanche !!! Portez vous bien !!!!


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